Aconit – C. Ozanon, août 1996

L'enfant qui voulait tout savoir

   
M., âgé de 6 ans, est un enfant très attachant. D'emblée, il vous tutoie et vous demande comment ça va. "Tu vas bien, Docteur. Moi, ça va". A peine vous avez le temps de faire les préliminaires de principe, "bonjour Madame, vous pouvez vous asseoir ...", que M. est déjà sur mes genoux. Pas facile de remplir la fiche, d'autant plus qu'en 30 sec., mon bureau en général en ordre, se retrouve être un véritable champ de bataille. J'ai déjà eu droit à plusieurs bises bien baveuses. 
C'est avec un certain laxisme que j'aborde cette première consultation, la maman que je connais depuis longtemps m'avait prévenu ... Mais mon imagination était bien en deçà de la réalité. Un peu abasourdi, j'essaie de commencer mon travail, mais il m'est difficile d'en placer une. Enfin, il quitte mes genoux, mais cette fois pour explorer le cabinet ... Catastrophe, et que je te monte sur la table d'examen (bien sûr, c'est l'un des rares enfants qui trouve la manette électrique, en 30 sec., il fera monter et descendre la table au moins 30 fois), et que je te grimpe sur le tabouret devant l'appareil d'iridologie: "à quoi ça sert , tu me le donnes ? ". En 5 mn. il se sera déjà pesé au moins 10 fois, en sautant à pieds joints sur la balance ... Et toujours des questions, et des questions ... 
"Les questions, c'est moi qui les pose ici ! M'enfin ! ". Je constate ainsi que l'autorité de la maman sur M. est très défaillante. La mienne également semble être  mise à rude épreuve. Le temps passe, et il faut trouver une solution. Gentiment, il accepte d'aller jouer dans la salle d'attente, lui expliquant que j'aurais bien voulu tout lui montrer, expliquer, démonter et remonter ... mais on n'était pas là pour ça. "T'es pas fâché, Docteur

Enfin, tranquilles ... mais pas pour longtemps, lors de l'interrogatoire, il fera des allers et retours incessants entre la salle d'attente et le bureau ...


   
"M. a le nez plein et bouché en permanence. Il tousse gras le matin, régulièrement il fait des bronchites avec gorge rouge, les ganglions deviennent énormes. La température peut monter jusqu'à 40, il est rouge écarlate, sans sueurs, les yeux sont vitreux, complètement euphorique, encore plus excité et il continue à manger. Lorsqu'il va tomber malade, son oreille droite devient systématiquement violette.


Dans les ATCD, on note:
– de l'asthme de l'âge de 3 mois à 4 ans 1/2.
– à 3 semaines, eczéma, il aurait eu peur après une prise de sang: plaques rouges, symétriques sur les bras et les cuisses. Il est toujours présent avec des récidives après de fortes bronchites.

– de manière chronique, il présente des panaris au bord des ongles des pieds, des mains. Il cicatrise très mal.

A la naissance, une conjonctivite a traîné longtemps".


   M. pose cependant un autre problème plus grave, il présente en effet un retard psychomoteur important: à partir du 5° mois de grossesse, une échographie a mis en évidence une diminution du liquide amniotique, ainsi qu'une stagnation du poids de l'enfant. Quand le monitoring a commencé à montrer des anomalies, une césarienne est décidée à 36 semaines, d'autant plus qu'il s'agissait d'un siège: bébé de 2, 4 kg, les suites sont excellentes. 
Des examens complémentaires montreront une anomalie au niveau du cordon ombilical: existence d'une seule artère et d'une seule veine. On évoque une hypoplasie rénale. 


   
Les problèmes ont réellement commencé lors de l'apprentissage de la marche, acquise à 19 mois (avant, il ne marchait pas du tout), il reste très pataud, tombe facilement, se cogne partout et le langage ne s'est structuré que vers l'âge de 5 ans. La propreté est acquise à 3 ans. Il est suivi par un centre spécialisé depuis l'âge de 4 ans. Toujours en maternelle, il présente des problèmes de graphisme liés à sa maladresse. Il lit bien, aime compter. Lent à apprendre, à répondre. Problème de concentration majeure.

   
Sur le plan psychologique, c'est un enfant hypersensible:

"il prend le stress des autres, il ne supporte pas l'imprévu. Quand on le gronde, il s'effondre, il est impossible de discuter, négocier, il crie, pleure, se roule par terre ...
Il a toujours touché à tout, regarde tout, ouvre tout, démonte tout pour savoir comment c'est fait à l'intérieurénagers de la maison ont été ainsi détruits, les montres ouvertes ... Il demande toujours des choses impossibles: conduire un avion, une voiture de course ... Il n'a pas les désirs normaux d'un enfant.
Avec les autres enfants il serait bagarreur, mais il ne sait pas se défendre. Recherche la compagnie des adultes.  
Des moments d'absence, comme ailleurs.

Peur des orages. Hypersensible au bruit. A facilement le vertige, il se cramponne dans les escaliers sans fond.
Mange de tout, aime tout. Selles irrégulières, parfois dures, parfois molles.
Facilement rouge, transpire facilement quand il fait du sport, transpire également énormément en début de nuit".

   
Il recevra Silicea 1000 le 8/11/95, devant le peu d'évolution, une 10 000 le 16/11 (plus oligo–éléments). Je le revois le 21/11 avec une belle bronchite, une profonde toux grasse mais peu productive, gêne respiratoire, il mouche vert avec une belle chandelle quasi permanente. Pas de température. 
Par contre, en 3 semaines les panaris ont rapidement disparus sans se renouveler. Toujours aussi excité, parle toujours autant, les fantasmes sont toujours aussi extravagants.
L'ostéo qui le voit régulièrement a cependant noté un net changement: "son travail lui était difficile car il trouvait une structure osseuse très rigide, comme si l'ossification s'était faite trop tôt. Cette fois son travail est passé". La séance avait eu lieu 8 jours après la dose en 1000.
   
Il se laisse examiner facilement, très coopératif: je n'ai pas à lui demander de respirer fort, de tousser, d'ouvrir la bouche ... il en ferait même trop ... me prend mon stéthoscope, mon otoscope ... Il avait demander à me voir, ne se sentant pas bien *. Effectivement, il est réellement très pris, d'autant plus qu'il ne sait pas tousser. Je reste sur Silicea 15 dilué + oligos (n'ayant pas d'autre idée, ou croyant en une phase d'aggravation bénéfique ..., le commentaire de l'ostéo me semblait être d'une bonne augure).

   
Le  6/12, la mère me tel.: "pensez–vous que nous sommes toujours sur une phase d'aggravation ? Il est de plus en plus encombré". Il me vient l'idée géniale de prescrire le "Similimum" de la mère ... un remède que je lui ai donné (avec résultats) à 3 ou 4 reprises sur 3 ans (c'est quand même bien) pour des allergies, des angoisses, l'aider à accepter l'handicap de son fils, l'aider à gérer sa culpabilité, l'aider à ne pas regretter d'avoir tout abandonné pour se consacrer à son fils, alors qu'une brillante carrière l'attendait avec son Doctorat dans le domaine de l'écologie, la science du sol ... et toute la reconnaissance sociale à l'appui. Vous avez peut–être trouvé. Je lui donne donc Veratrum alb. 9, 3 fois par jour pendant 3–4 jours.

   
Je le revois 8 jours après. L'idée était en effet géniale, "Spectaculaire ! Amélioration dès la 1° prise. Extraordinaireée rapidement en 15 CH qu'elle donne depuis 3 jours, une fois par jour. Le nez et dégagé, il ne tousse plus. La peau est belle, les selles se sont normalisées. Son comportement aurait même changé, il s'investit beaucoup plus dans les séances de psychothérapie, plus calme (?). Je note également une agitation moindre ... mais quand on veut croire que ça va mieux !

C'est pour la maman que ça va moins bien: "pourquoi c'est mon remède qui a marché ?" Je ne sais plus qu'elle explication je lui ai donné pour ne pas ré–alimenter sa culpabilité.

Pour voir.

   
Un mois plus tard, contrôle. Retour à la case départ. La mère me rappelle qu'elle m'avait téléphoné pour un épisode fébrile brutal, à 40°, classique chez lui, mais ici sans symptomatologie infectieuse évidente. Aconit 30 avait été particulièrement rapide pour ramener les choses dans l'ordre. 
"Vous pouvez reprendre tous les symptômes de départ, ils y sont tous, son comportement, je préfère ne pas en parler, c'est infernal".

VAB 10 000 le 27/2/96. 

Ars. alb. 9, en cas d'épisode infectieux (il faut savoir que je ne suis pas le 1° homéo à avoir été consulté, et tous les remèdes qui vous viennent à l'esprit à la lecture de cette observation ont été donnés).


2/4/96. La toux s'était bien améliorée. Pour le reste ... Je reprends ma fiche et fait préciser certains points: "il n'est pas bien quand il ne sait pas, il a besoin de tout savoir, de tout connaître et de tout prévoir: où on va, qu'est–ce qu'on va faire ... On lui répète 36 fois les mêmes choses, mais ce qu'il sait déjà ne sert à rien. Quand il a peur, il s'agite ". Je venais de retravailler Aconit, et me rappelle de son action rapide sur une fièvre. Je vérifie mes notes et prescris 

Aconit 15, 18, 24, 30 à 3 jours d'intervalle. 

Tous s'est parfaitement nettoyé en 15 jours, le mieux s'étant fait sentir dès la 2° dose. Le comportement a également changé. Je conseille une 1000 début mai. J'ai revu la maman récemment: "M. est plus dans ses baskets, au quotidien il est devenu plus tranquille, il ne nous harcèle plus de questions, il commence à nous écouter". 


   
Jusqu'où pourrons nous aider M. dans la gestion de son angoisse, sa psore semblant avoir été touchée très tôt dans son histoire, la confrontation entre son imaginaire et la réalité ayant laissé des séquelles bien profondes, sans doute irréversibles ... l'avenir nous le dira.



Pour mémoire, un résumé du travail de l'AFADH:

Souffrance
: c'est un agité, qui ne supporte pas de rester en place, d'être contenu, il se lève, marche, s'assied, se relève, etc. ... Il est dans une grande agitation de corps et d'esprit, avec la sensation d'avoir un cerveau agité comme par de l'eau bouillante. Ce besoin de devancer le temps le mettra devant l'heure de sa mort qu'il sent si proche qu'il a l'impression d'être en ce moment même en train de mourir et c'est la terreur, car c'est cette réalité d'être mortel qu'il voulait nier, voulant connaître en toute éternité. Angoisse de ne pas atteindre le but, déstabilisé par les événements soudains. Doit maîtriser en sachant ce qui va arriver.  Il veut connaître sans passer par la nécessité des sens, du mouvement et du temps, c.à.d. de l'expérience (cf. Kali iod). Il a perdu la prudence avec ses 8 parties: mémoire (la capacité d'enregistrer l'expérience), intellect, raison, sagacité, prévoyance, circonspection, attention précautionneuse, docilité. Voudrait porter son flair a une telle perfection qu'il devienne voyance extralucide lui faisant faire l'économie du temps de démonstration, de délibération. Nostalgie: après s'être couché la nuit et pendant qu'il est assis le jour, il est dans un état de rêve éveillé et imagine à tord qu'il est loin de la maison. Peur de tout, de l'obscurité, des fantômes, de cogner les gens, de tomber, des accidents, de ne pas guérir, du futur, de la mort. Egotrophie: robuste, vigoureux, très gai, plein d'espoir, de hâte, qui fonce à travers les obstacles, l'esprit vif et actif, une grande mémoire et une grande imagination, vigilant nuit et jour, et surtout, douée d'une vision extralucide.        Egotrophie masquée: conduira les autres avec beaucoup d'affection, en sorte que chacun viendra vers lui demander conseil et protection, reconnaissant sa grande capacité d'intuition. Egolyse: incapable de penser ou de réaliser même le plus léger travail mental. Désire être seul. Peu disposé à la conversation. Faiblesse de la mémoire. Diminution des facultés intellectuelles. Grande confusion à la fois de la pensée et de l'action. Alterlyse: querelleur. Irascible. Misanthropie. Plaintes et reproches pour des bagatelles. Ambivalent. N'a d'affection pour personne.


Thèmes communs avec mon patient:


La mort: peur de la mort prochaine. Vagissement pitoyables: "quand on le gronde, il s'effondre, il est impossible de discuter, négocier, crie, pleure, de roule par terre ..." L'agitation. Les pleurs, plaintes, et reproches. Passer brutalement dans l'état opposé. Instabilité des idées et distractions. Le travail intellectuel: répugnance pour le travail intellectuel. Grande confusion à la fois de la pensée et de l'action.  La hâte, l'impatience. Les obstacles: tout obstacle qui retarde son allure rapide est extrêmement ennuyeux; il bute contre les gens qui ne s'enlèvent pas de son chemin assez vite et grimpe les escaliers hâtivement à perdre haleine. L'éloignement: imagine à tord qu'il est loin de la maison. L'idée fixe. Les sottises enfantines et la gaieté extravagante: querelleur ... Gaieté avec inclination à chanter et à danser. Etre plongé dans ses pensées: il reste plongé dans ses pensées. " Des moments d'absence, comme ailleurs". La suspension de pensée. La vigilance: dérangement de la vigilance dans la concentration en lisant et en écrivant l'attention est troublée par une fréquente suspension de la pensée. Ne rien savoir: il ne peut rien penser ni réfléchir, il ne sait rien, et n'a aucune idée ou image de quoi que ce soit dans la tête comme d'habitude, mais il a le sentiment que toutes les opérations mentales se passent au creux de l'estomac. L'oubli du moment qu'il vient juste de faire et de ce qu'il vient de penser. Se vexer pour des bricoles. Suites de contrariétés: congestion, palpitations, fièvre, anxiété, hors de lui–même, menace d'avortement, congestion apoplectique. La frayeur: anxiété comme si un grand malheur allait lui arriver. Redoute qu'un accident se produise. Peur des fantômes. Suite de peur: extrêmement timoré spécialement après une peur; peur dans le noir. Guérit les effets de peur, spécialement la jaunisse. Insomnie. Se cogner contre les gens. Perdre la raison par les douleurs sont si intolérables, qu'elles le rendent fou; il devient très agité. Laête: congestion, plénitude, pulsations, constriction, lourdeur, confusion, pression, compression, écrasement, secousses, piqûres, déchirements, douleurs violentes, stupéfiantes, à perdre la raison, empêchant de parler.  Concomitants : vertiges, nausées, vomissements, perte de la vue. La respiration: inspiration avec une double secousse, comme le bêlement d'une chèvre, étant éveillé. L'anxiété empêche la respiration, avec sueur chaude sur le front. Nombreux symptômes de constriction du thorax et d'oppression. La congestion et l'inflammation violentes et brutales. Hors de, sortir de, pressé au dehors. Suite de froid. Les vertiges et tomber. Marcher et instabilité en marchant. Les enfants et personnes vigoureuses au cerveau actif et les enfants vigoureux. Les sensations imaginaires.


" Il avait demandé à me voir, ne se sentant pas bien" sur ce symptôme, il m'est souvent arrivé de prescrire Aconit avec succès chez les enfants, en aigu.