Agraphis nutans - D. Lustig (Mars 1998)

Les matières médicales n’accordent à ce remède que quelques lignes, c’est pourquoi il est peu connu et se trouve rangé parmi les
centaines de " petits remèdes " à usage exclusivement symptomatique. Le Dr Cooper, qui l’a introduit dans la pharmacopée, donne
comme indication principale : " végétations avec amygdales hypertrophiées, surtout lors de la dentition ". De fait, il s’agit d’un remède
dont la symptomatologie est largement centrée sur la sphère ORL, les symptômes mentaux demeurant très succincts. Dès lors, pourquoi
s’intéresser à un tel remède, surtout en l’absence de cas cliniques ? Si les données pathogénésiques sont pauvres, celles relevant de la
mythologie et de la symbolique permettent d’éclairer d’une manière différente les quelques indices que nous possédons.

I. Description

Il n’est pas toujours aisé d’identifier Agraphis nutans en raison de la multiplicité de ses appellations : Scilla nutans, Scilla non-scriptus,
Hyacinthus non-scriptus, ou encore Endymon penché. Il s’agit en fait de la jacinthe sauvage, dite aussi jacinthe des bois ou des prés.
On disait hyacinthe en vieux français. C’est une plante bulbeuse, de la famille des liliacées, dont la floraison commence au début avril pour s’achever à la fin mai. C’est une espèce vivace, c’est pourquoi on retrouve la jacinthe aux mêmes endroits d’une année à l’autre dans les forêts, les sols sablonneux et les lieux abrités. Sa répartition s’étend depuis la partie occidentale de l’Europe (Espagne et Angleterre, sauf Ecosse et îles Orcades) jusqu’au centre de la France et au littoral méditerranéen (Italie) à l’est.

La jacinthe sauvage est pourvue de feuilles très longues (20 à 45 cm) et très étroites (0,7 cm). Le bulbe, de petite taille (2 à 3 cm) et
de forme ovoïde, donne naissance à une hampe florale qui porte une rangée simple de clochettes, généralement de 4 à 12. Le périanthe,
qui correspond au calice et à la corolle confondus, comporte six pétales de couleur bleu-violet, exceptionnellement rose ou blanc. La tige
se courbe sous le poids des clochettes lors de la floraison. Celles-ci regardent alors vers le sol en prenant l’apparence de cylindres
verticaux aux bords légèrement recourbés. Quand le vent les agite, les clochettes se mettent à osciller de bas en haut, d’où l’adjectif nutans, qui signifie en latin faire un signe de la tête, hocher la tête (nuto, as, are).

La plante exhale une discrète odeur qui rappelle l’amidon, mais il s’agit en réalité d’inuline. Ce liquide visqueux, contenu dans les bulbes
et les autres parties de la plante, était autrefois utilisé comme substitut de l’amidon, en particulier pour empeser fraises et collerettes. On
s’en est servi aussi pour fixer l’empennage des flèches et relier les couvertures des livres. Les bulbes contiennent enfin une quantité
appréciable de mucilage. Si les bulbes présentent une certaine toxicité à l’état de fraîcheur, les racines, une fois séchées et réduites en
poudre, possèdent des propriétés balsamiques qui n’ont pas été encore entièrement explorées. On leur connaît surtout un rôle diurétique
et astringent. Sur le plan lexical, le synonyme Scilla nutans précise simplement la proche parenté de la jacinthe sauvage avec la scille
(Scilla, en homéopathie). Quant à l’autre adjectif — non-scriptus — nous verrons plus loin à quoi il se rapporte. Mais revenons à la
jacinthe et au héros grec auquel elle doit son nom, Hyakinthos.

II. Mythologie et symbolisme

Comme pour l’adonis et le narcisse, la mythologie antique regarde la jacinthe comme une fleur née de la mort d’un jeune homme,
c’est pourquoi elle a été appelée " fleur de chagrin et de deuil ". Le poète latin Ovide a rapporté dans ses Métamorphoses la légende
de Hyakinthos, en enrichissant les récits de ses précurseurs grecs Euripide et Apollodore.
Hyakinthos était un beau jeune homme de la cité de Sparte, dont Apollon, le dieu du Soleil, et le poète Thamyris furent tous deux
amoureux. La légende affirme que ce furent les premières amours homosexuelles. Lors d’une compétition poétique, Apollon fit par
jalousie perdre voix et mémoire au poète, qui ne les retrouva que parce que Zéphyr, le dieu du vent d’ouest, intervint pour les lui rendre.
Mais Zéphyr succomba à son tour au charme du jeune homme. Voyant que celui-ci lui préférait Apollon, il chercha alors à se venger.
Un jour qu’Apollon et Hyakinthos jouaient aux palets , Zéphyr détourna par son souffle la trajectoire du palet* qu’Apollon venait de
lancer. Le projectile vint frapper Hyakinthos à la tête et le jeune homme mourut*. Accablé de chagrin, Apollon fit naître du sang de
l’adolescent une fleur pourpre sur les pétales de laquelle il traça les lettres ai ai — qui signifient ah ! hélas ! — afin que sa douleur
se répande à jamais sur la terre*.

En réalité, la légende de Hyakinthos ne correspond probablement pas à la véritable jacinthe, car non seulement la couleur des pétales
diffère, mais encore la jacinthe ne pousse pas en Grèce ! La tradition a en fait associé cette fleur à la jacinthe des Anciens, la fleur du
chagrin et du deuil, c’est pourquoi Linné lui donna le nom de Hyacinthus. Quant à l’adjectif latin non-scriptus (non-inscrit), il fait
référence aux pétales qui ne portent plus le cri de douleur du dieu. Le mot grec agraphis a exactement la même signification.
La matière médicale de Murphy associe le remède à la planète Mercure, sans qu’on puisse déterminer si cette indication provient de
Clarke, de Cooper ou de l’auteur lui-même. Force est de constater que la symbolique astrologique de Mercure se retrouve de façon
marquée tout au long du mythe de Hyakinthos.
Mercure est par essence le symbole du double, tout comme le signe double des Gémeaux dont il a la maîtrise. Or il apparaît ici sous
un double aspect : il est à la fois l’adolescent dont s’éprennent les dieux — Mercure représente l’adolescence — et Zéphyr, le vent
d’ouest, car Mercure symbolise l’air et les courants d’air. Cette planète, qui est la plus proche du Soleil (cf. Apollon), gouverne
essentiellement les fonctions d’échange avec le milieu, notamment la respiration, le langage et la communication en général.

Si le symbolisme solaire d’Apollon est acquis, on peut s’interroger sur la signature astrologique de l’homosexualité, puisqu’elle se
trouve représentée ici sous une forme originelle. Or il se trouve que l’homosexualité masculine a longtemps été désignée sous le nom
d’uranisme, ce qui fait directement référence à la planète Uranus. Si cette planète est en effet presque toujours impliquée dans
l’homosexualité, elle montre aussi l’homme cherchant à transcender sa propre nature et à s’affranchir des lois divines. Souvent elle
représente les événements soudains, rapides et imprévisibles, qui viennent bouleverser les desseins et le destin des hommes : elle peut
alors symboliser l’irruption de l’esprit* ou la foudre tombée du ciel. On en retrouve bien sûr la marque dans l’issue tragique du mythe,
ainsi que dans la forme même du palet ou du disque.
Ce mythe est remarquable d’une part en ce que toute polarité féminine en est absente, et d’autre part en ce qu’il préfigure l’ambivalence
du masculin et du féminin présente en chacun de nous. Mais cette ambivalence ne caractérise-t-elle pas précisément la période de
l’adolescence au cours de laquelle s’élabore l’identité sexuelle ?

* Notes
1.Un palet est une petite pierre plate et ronde avec laquelle on vise un but. (Petit Robert)
2.Il existe une variante : alors qu’Apollon instruisait Hyakinthos dans l’art de lancer le disque, le vent Zéphyr rabattit le disque sur
Hyakinthos qui eut la tête tranchée.
3.Les deux lettres ai débutent aussi le nom d’Ajax. Or il se trouvait près de Sparte un temple consacré à Hyakinthos et à Ajax,
l’Amykleion, dans lequel se trouvait le tombeau du jeune homme. On célébrait tous les ans en juillet et pendant trois jours des
fêtes rituelles avec processions, sacrifices et festins.
4. La formule est d’Annick de Souzenelle.

III. Matière médicale

1) Mental
• peu enclin à parler ou à la conversation, désir d’être silencieux, taciturne : 1er degré
• euphorie : 1er degré
2) Audition
• baisse de l’audition : 2ème degré
• baisse de l’audition avec amygdales hypertrophiées et végétations adénoïdes (souvent au moment de la dentition) : 1er degré,
17 remèdes
• perte de l’audition : 1er degré
3) Oreilles
• catarrhe de la trompe d’Eustache : 1er degré, 50 remèdes
4) Nez
• végétations : 2ème degré, 56 remèdes
• coryza avec écoulement : 1er degré
• coryza provoqué par le vent froid et sec : 1er degré, avec acon. (3e) et spong. (2ème)
• obstruction : 1er degré
• polypes : 1er degré, 59 remèdes
Le Dr Didier Grandgeorge donne comme symptôme complémentaire : " l’enfant respire la bouche ouverte et bave sans cesse. "
4) Gorge
• affection des végétations : 2ème degré, 19 remèdes dont calc-f., calc-i., calc-p., sanguin-n. (sanguinarinum nitricum) et thuj.
(2ème degré).
• amygdales hypertrophiées : 1er degré, 63 remèdes
5) Rectum
• diarrhée après catarrhe ou coryza : 1er degré, avec rumx. (1er) et sang. (2ème)
• diarrhée après boissons froides : 1er degré, 47 remèdes
• diarrhée après avoir eu froid ou avoir pris froid : 1er degré, 46 remèdes
• diarrhée muqueuse après suppression de coryza : 1er degré, avec asar-c. (asarum canadense)
• diarrhée après suppression de refroidissement : 1er degré, remède unique
• diarrhée après exposition au vent froid : 1er degré, avec acon. (2ème) et dulc. (2ème)
6) Langage et voix
• retard de langage chez l’enfant : 1er degré, remède unique
7) Sommeil
• insomnie : 1er degré
8) Refroidissement
• refroidissement dû au vent froid : 1er degré, remède unique
9) Généralités
• catarrhe : 1er degré
• tendance à prendre froid : 1er degré
• préfère le soleil au vent
• mutisme chez l’enfant non relié à une surdité : 1er degré, remède unique
• amélioré à l’abri : 1er degré, remède unique.

IV. Synthèse

Autour de quels thèmes peut-on regrouper ces quelques symptômes, et en quoi reflètent-ils le mythe de Hyakinthos et la symbolique
qu’on lui a rattachée ? Il s’agit de toute évidence d’une problématique liée à Mercure, comme le suggérait déjà Robin Murphy,
puisque les fonctions symboliques de cette planète se trouvent ici contrariées ou empêchées. Cette problématique s’articule en effet
autour de deux axes correspondant à des attributs mercuriens : le vent et les échanges.
A. L’aggravation par le vent
Le vent, surtout lorsqu’il est froid, provoque du coryza (3 remèdes), de la diarrhée (3 remèdes), des refroidissements (RU). Le sujet
cherche alors à se mettre à l’abri (RU) et préfère de toute façon le soleil au vent. N’est-ce pas là une lumineuse illustration de ce que
Hyakinthos préférait Apollon à Zéphyr ?
B. Le blocage des échanges
1) Sur le plan respiratoire
L’échange aérien se fait mal en raison de l’hypertrophie des végétations, de la présence de polypes, du coryza et du nez bouché, qui
empêchent le sujet de respirer librement. A noter que les végétations, de même que les amygdales, remplissent une fonction immunitaire
qui consiste à prévenir les infections respiratoires.
2) Sur le plan de la communication
Il refuse de parler (retard de langage chez l’enfant, mutisme, peu de goût pour la conversation), mais aussi d’entendre (diminution,
voire perte de l’audition, catarrhe auriculaire).

Conclusion

Ce que le sujet refuse, ou qu’il ne peut assumer, c’est l’échange collatéral — " horizontal " — avec l’autre, c’est-à-dire son semblable,
tel qu’on peut le vivre dans une fratrie ou, mieux, dans une relation gémellaire (cf. Mercure et les Gémeaux). Refusant ainsi la relation
d’échange symbolisée par l’élément air, il ne fait que s’exprimer " verticalement " en déversant l’élément qui donne la vie, l’eau : il a
du coryza, de la diarrhée, des écoulements auriculaires. En astrologie, l’eau est symbolisée par la Lune et le signe du Cancer,
significateurs de la mère.
Par ce processus de blocage des échanges, le sujet cherche en effet à revenir à l’état de béatitude indifférenciée éprouvé pendant la vie
fœtale et le premier stade de la vie, ainsi que le montrent " l’euphorie " et l’amélioration " à l’abri ". Il ne peut effectivement y avoir
d’échange véritable à ce stade de développement puisqu’il n’existe pas de conscience de l’autre en tant que sujet. Bien plus, l’état
que décrit Agraphis nutans semble correspondre à un monde où l’autre n’existe pas : aucun symptôme n’y fait référence. Selon
toute vraisemblance, Agraphis nutans est un remède du stade oral et paraît donc relever de la dynamique psorique.
Aucun élément de la pathogénésie ne vient suggérer l’idée d’homosexualité. On peut toutefois faire observer que la symptomatologie
mentale est réduite à sa plus simple expression et que le sujet-type n’a pas encore atteint la puberté. Qu’est-ce donc qui empêche
Agraphis nutans de s’impliquer dans la relation à l’autre ?
En astrologie, Mercure représente les frères plus jeunes, et de manière générale les collatéraux : frères et sœurs, cousins et cousines ;
il désigne également les camarades, c’est-à-dire ceux qui se trouvent sur le même plan que soi. On sait par ailleurs que le Soleil est le
symbole du père. Peut-être le mythe de Hyakinthos, élargi au-delà de sa dimension sexuelle, invite-t-il à s’interroger sur les modifications
qui viennent affecter chez l’enfant la relation au père lors de la naissance d’un petit frère (ou d’une petite sœur), ce dernier étant alors
identifié à Zéphyr, " l’autre soi-même " qui cherche à supplanter l’aîné aux yeux du père. Un tel vécu non résolu pourrait alors se
traduire par un renoncement à la relation à l’autre et à l’amour du père pour tenter de trouver refuge en soi-même, dans l’indifférencié
primordial, puis à l’âge adulte de donner lieu aux pulsions homosexuelles immortalisées par le mythe de Hyakinthos.

Références

• Synoptic Materia Medica II, Frans Vermeulen, Merlijn Publishers, 1996
• Concordant Materia Medica, Frans Vermeulen, Merlijn Publishers, 1994
• Encyclopédie des Symboles, Librairie générale française, 1996
• L’esprit du remède homéopathique, Dr Didier Grandgeorge, EdiComm, 1992
• A Modern Herbal, M. Grieve, http://www.botanical.com
• Logiciels Mac Repertory et Radar.

Remerciements aux Drs Michel Zala et Philippe Vois.