la lutte contre ma tendance  la monoculture du chronique *
                     

         éry)

  
 " Un remède à la gomme ? 

                    ... mais qui a réussi quand l'allopathie échouait !           

               ou contribution à la lutte contre la monoculture du chronique

 


Pendant des années je l'ai cherché "son" remède. Depuis 1984 qu'on se connaît, j'ai eu le temps avec Bernard. A cette époque il déclare une polyarthrite chronique d'emblée sévère, aucun traitement ne pourra enrayer réellement sa maladie. Son parcours sera donc émaillé de multiples opérations ou complications des traitements: prothèse bilatérale des genoux, prothèse bilatérale des hanches, synovectomie des poignets, œsophagite, ulcère gastro–duodénal, ulcère cornéen, infarctus etc…
Pour avoir soulagé d'autres patients atteints de maladies auto–immunes avec leur simillimum, je suis d'autant plus désespéré de ne pas trouver de solution que Bernard est un patient très attachant avec qui se noue au fil du temps une relation chaleureuse; c'est vraiment le patient que l'on n'a pas envie de laisser tomber.


Hélas, tabac, exposition à de l'amiante, ainsi que d'autres raisons plus secrètes vont précipiter Bernard un peu plus bas, son destin ne se limitant pas à la souffrance et au handicap. En août dernier, on lui diagnostique une tumeur épidermoïde du lobe pulmonaire supérieur droit avec extension à la cage thoracique, je le retrouve à l'hôpital à mon retour de vacances dans un état catastrophique. Son état contre–indiquant tout traitement à visée curative ou même palliative (bref toute chimio), seule ma présence dans le service à plusieurs reprises et mon insistance pour le faire sortir et le suivre à domicile lui évitent la ronde des examens complémentaires répétés ad nauseam… Avec Bernard, on ne s'est pas beaucoup parlé, mais on s'est vite compris et je le retrouve donc chez lui.


Dans un premier temps j'utilise les traitements d'immunothérapie homéopathique du Dr. Jenaer. Au stade où en est Bernard, je ne pense bien sûr qu'à une rémission, mais ce que j'ai toujours observé depuis que j'utilise ces traitements dans les cancers incurables, c'est la qualité de la survie qu'ils permettentétat général assez bien conservé, appétit correct, diminution des douleurs, amaigrissement modéré,  qualité de la peau …. Et donc moral meilleur, relation meilleure.


Le revers de la médaille si l'on peut dire, c'est qu'un patient, même très atteint, va remanger, retrouver des forces, remarcher, et y croire dur comme fer… d'autant plus pour Bernard qui est très aimé, entouré par toute sa famille, ses voisins et bien d'autres, et que chacun, famille, amis et toute l' équipe que j'ai mise en place (aide–soignante, infirmière, kiné) l'encourage et le soutient moralement. Sauf que moi je sais à peu près ce qui va se passer car son cancer, il lui bouffe déjà les côtes. Et finalement au moment où tout le monde voit Bernard reprendre goût à la vie, je sais bien qu'on a atteint le top de ce qu'on pouvait atteindre, que la redescente n'est pas loin, et que la suite sera la phase difficile: l'état général s'aggravera inéluctablement, d'abord une lassitude persistante, les premiers doutes ("C'est pas pire mais c'est pas mieux, Docteur") puis des douleurs (PCE +cancer…) qui reviendront mais qu'on calmera encore assez facilement, une franche asthénie et une somnolence s'accentueront ensuite, la famille – incrédule après ce mieux être – posera des questions, suggèrera des solutions, exigera des examens, les relations seront plus tendues… jusqu' à l'acceptation, devant l'évidence de la dégradation, de cette fin qu'on avait cru pouvoir refuser. D'une certaine manière il nous a fallu revivre toute cette période que le passage à l'hôpital (uniquement centré sur le diagnostic) puis la phase d'amélioration à domicile avaient occultée.


C'est dans cette phase qu'un remède fera un petit miracle pour Bernard, me permettant … de respirer (vous allez comprendre), et convainquant radicalement la famille des possibilités de nos granules.
Au cours d'un épisode fébrile comme il en fera de nombreux, Bernard, ancien grand fumeur, s'encombre. Il a des mucosités dans la trachée et la gorge, elles deviennent vite jaunes, épaisses, difficiles à expulser. L'auscultation  pulmonaire est un peu plus chargée que d'habitude, sans foyer. Et la fièvre retombe, laissant cet encombrement asphyxier progressivement Bernard. J'ai beau jeu de vouloir convaincre sa femme que les antibiotiques ne servent à rien (en général ils ont surtout entraîné des diarrhées), il faudrait que je sois efficace pour être crédible…. Bernard bénéficie déjà de mucolytiques en aérosols, d'oxygène, et de kinésithérapie, rien n'y fait et moi je crains surtout de le voir mourir étouffé par ses mucosités.
J'ai déjà essayé quelques doses de remèdes connus pour agir sur les mucosités abondantes… que faire ?


Heureusement pour moi, et surtout pour Bernard, la chance finit par nous faire un petit sourire … 
Un soir à la maison, préparant des cours pour un prochain WE de cours à l'INHF, je me mets à parcourir mon Lathoud que j'aime bien car il donne des comparaisons de remèdes… 



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Solution :

Je lis donc dans Lathoud (page 118) à propos "de la faiblesse du vieillard qui, à chaque poussée de froid en hiver, fait une crise se manifestant par une hyper sécrétion de mucus bronchique blanc, épais, de la dyspnée qui le chasse du lit, l'oblige à s'asseoir dans un fauteuil et à être éventé…qu' Ant–tart. le soulagera un bon nombre de fois avant sa mort. Si le mucus est jaune et purulent, il faudra dans de tels cas, préférer Ammoniacum.


Ammoniacum ???  Inconnu au bataillon ! Tellement inconnu que je manque de le laisser  retomber dans l'oubli. Finalement j'ouvre Bœricke qui est à portée de main et j'y lis … qu'Ammoniacum dorema (ou Ammoniacum gummi) n'a pas grand chose à voir avec l'ammoniaque (Ammonium causticum), c'est en réalité une "gomme ammoniaque" ou si vous préférez, une gomme–résine produite par une ombellifère et partiellement soluble dans l'ammoniaque



Du fait de son nom, Ammoniacum est donc souvent confondu avec un ammonium, c'est à dire un sel d'ammoniaque.


La plante peut atteindre 2.5 mètres, elle contient une sève laiteuse au printemps et au début de l'été. La sève apparaît spontanément ou à la suite de piqûres d'insectes. Elle durcit à l'air pour former des boulettes de résine. Cette résine a un goût amer et âcre.
Ammoniacum dorema est proche d'Asa fetida et d'une autre plante, nord–africaine, qui produit une gomme résine de couleur sombre: Ferula lingitana..


La description de la matière médicale est courte:


"Remède des personnes âgées et faibles, il est particulièrement indiqué dans la bronchite chronique. Humeur maladive. Sensibilité au froid. Sensation de brûlure et de démangeaison dans le cou et l'œsophage.

Tête : Céphalée catarrhale, notamment au dessus des yeux, provoquée par l'obstruction des sinus. 

Yeux : Vue faible, le sujet voit des étoiles et des points lumineux flotter devant ses yeux. Facilement fatigués par la lecture. Amblyopie après un coup sur la tête

Gorge : Gorge sèche; aggravation en inspirant de l'air frais. Impression de plénitude et de raclement. Immédiatement après avoir mangé, impression d'avoir quelque chose de coincé dans l'œsophage, provoquant la déglutition.

Appareil respiratoire : Respiration difficileCatarrhe bronchitique chronique. Grande accumulation de matières purulents avec expectoration insuffisante; aggravation par temps froid. Mucus compact et dur.
Le cœur bat plus fort et se perçoit jusqu'au creux de l'estomac.


Comparaisons : Senega, Ant–tart. et –le non–moins connu– Balsamum peruvianum (Baume de Tolu) ou l'expectoration apparaît plus crémeuse que visqueuse."



Extraction répertoriale  (Millenium repertory)


Les symptômes mentaux n'ayant aucune spécificité, je privilégierai quelques aspects du remède par des rubriques qui permettent de fixer les polarités du remède:

YEUX; ÉCOULEMENTS de mucus ou de pus; général, en; purulents; canthi, commissure (20) *
YEUX; ÉCOULEMENTS de mucus ou de pus; général, en; purulents; canthi, commissure; interne (2) *
YEUX; ÉCOULEMENTS de mucus ou de pus; général, en; purulents; canthi, commissure; interne; matin en se réveillant, le (1) *


YEUX; LOURDEUR, PESANTEUR; lisant (1) *
YEUX; PULSATION; lisant, en (1) *


VISION; CERCLES, anneaux; colorés (13) *
VISION; CERCLES, anneaux; colorés; autour d'un centre blanc (8) *
VISION; COULEURS devant les yeux; intense, fantastique (13) *

VISION; COULEURS devant les yeux; intense, fantastique; halo (3) **
VISION; COULEURS devant les yeux; vertes; halo autour de la lumière (21) *


NEZ; BATTEMENTS des ailes; éventail, comme un; pneumonie, dans la (6) **: ammc.ant–t.kreos.Lyc.phos.sulph.


NEZ; OBSTRUCTION; général, en; nuit, la (56) *
NEZ; OBSTRUCTION; général, en; nuit, la; réveille, le (8) *


NEZ; CATARRHE; général, en; irradiation vers; sinus; frontaux (83) *
NEZ; SINUS, souffrance des (83) *

NEZ; SINUS, souffrance des; chroniques (70) *


LARYNX & TRACHÉE; CATARRHE; vieilles personnes, chez les (6) **
LARYNX & TRACHÉE; CHATOUILLEMENT dans les voies aériennes; trachée; enrouement, avec (2) *
LARYNX & TRACHÉE; MUCOSITÉS dans l'arbre respiratoire; trachée (100) **


RESPIRATION; DIFFICILE; mucosités dans; trachée, dans la (20) *
RESPIRATION; RÂLES; vieille personne (10) **


TOUX; VIEILLE personne, chez une (38) **
TOUX; CRÉPITANTE, GRÉSILLANTE; vieille personne, chez une (10) **


EXPECTORATION; ABONDANTE; vieille personne (7) **
EXPECTORATION; DIFFICILE; vieille personne (5) **

EXPECTORATION; MUCOSITÉS; temps froid, par (1) **
EXPECTORATION; MUCOSITÉS; vieille personne (1) **
EXPECTORATION; PURULENTE (142) *

EXPECTORATION; VISQUEUX (198) *


THORAX; CATARRHE; vieille personne (10) **
THORAX; INFLAMMATION; bronches, bronchite; vieille personne (26) *


GÉNÉRALITÉS; TEMPS; froid humide; agg. (136) *
GÉNÉRALITÉS; TEMPS; froid humide; agg.; vieilles personnes, chez les (1) *


On retiendra en conclusion pour Ammcniacum dorema


é yeux–sinus–trachée et bronches, 
écrétions purulentes difficiles à évacuer
ède de personne âgée et faible
é, l'hiver


La suite….

J'ai donc prescrit Ammoniacum 5CH  trois fois par jour à Bernard, sans y croire plus que çà vu le contexte…


Résultat: en deux jours nette amélioration de sa respiration par diminution des secrétions trachéo–bronchiques, en quatre jours plus rien, ces secrétions ont disparu ! J'arrête oxygène, mucolytiques et kinésithérapie Et je n'en crois pas mes oreilles… car l'auscultation pulmonaire n'a jamais été aussi bonne. Même dans le champ droit, au dessus et en dessous de la tumeur !. Devant cette amélioration inespérée, j'aurai évidemment toutes les peines du monde à faire arrêter la prise du remède…


Trois mois plus tard Bernard décède.  Jusqu'à sa mort, il n'aura pas besoin d'antibiotiques, jusqu'à sa mort, sa respiration restera libre. Les deux derniers jours me laisseront un souvenir pénible car malgré plusieurs essais, rien ne semblera agir sur son agitation agonique, mais celle–ci était peut–être provoquée par le morphinique prescrit en raison de la douleur de son côté droit….
Le jour de sa mort, sa sœur, se sentant mal, s'allongera dans une chambre et demandera à me voir seul. C'est là que j'apprendrai certains secrets de la vie de Bernard et de sa famille, secrets trop bien enfouis qui m'auraient sans doute aidé dans la recherche de son remède de fond, mais ceci est une autre histoire…



Réflexions :

Voilà donc encore un petit remède – à la gomme bien sûr – qui donne un gros coup de main ! Mais au delà de la découverte de cette souche quasi inconnue, l'accompagnement de Bernard m'amène quelques réflexions :


ère, c'est pour m'étonner, encore et toujours, des capacités de réaction de l'organisme humain et de celle de nos granules à susciter ladite réaction. Malgré sa PCE, son cancer métastasé et tous ses médicaments, Bernard se débarrasse en quelques jours de cet encombrement purulent important, là où – faut–il le redire – les moyens classiques n'avaient pas eu d'effet. Il m'est arrivé d'entendre des homéopathes prétendre qu'une seule tasse de café pouvait contrarier l'effet du remède homéopathique… personnellement cette expérience me laisse à penser que quand le remède est bon, peu de choses peuvent entraver son effet. Notre (mé)connaissance de la matière médicale et notre (in)capacité stratégique me paraissent plus souvent en cause…. mais c'est moins agréable à envisager pour l'ego.
 

éflexion portera sur la prise en charge de Bernard à cette période
.  Je dois dire qu'au début, un peu trop pris par la gestion simultanée de divers traitements – et de leurs inconvénients – prescrits à l'hôpital (antibiotiques, cortisone, anticoagulants, antalgiques, pansements gastriques, intestinaux….) j'ai essayé de retrouver les réflexes du généraliste de quartier que j'ai été. Il m'a fallu me rendre à l'évidence, la médecine avait peu progressé pour aider un patient en fin de vie à part sans doute le traitement de la douleur. 



Progressivement donc, malgré une pratique personnelle surtout portée sur le chronique, j'ai retrouvé une pleine confiance en nos granules à cette période difficile. Secale par exemple, sera très efficace sur deux escarres, les infirmières en seront étonnées, Conium améliorera bien une douleur thoracique en coup de poignard etc… Je n'insisterai pas sur la facilité de la prise de nos remèdes et leur tolérance. Mais il faut absolument avoir des effets pour garder l'adhésion du patient et de la famille…


és à faire du domicile en plus du travail habituel, où j'ai été tantôt homéopathe, tantôt allopathe, un peu psychologue, parfois aide soignant voire brancardier m'ont fait réfléchir sur le sens de notre métier. C'est quoi être médecin au fond ? Et à cette période de la vie plus particulièrement ? Que signifie ce mot médecin ? Les "médecins" n'ont pas toujours existé: il y a des milliers d'années, c'était des exorcistes, experts en formules magiques, rebouteux parfois… Pour les désigner, les Indo–Européens utilisaient un mot tiré de la racine "med" qui porte l'idée de la mesure (le mot mètre vient de là), le médecin était chez eux celui qui dictait les mesures à prendre pour faire face au mal. 


En lisant ceci, j'ai trouvé que cette étymologie –pouvant naturellement s'appliquer à toute pratique médicale ainsi qu'à toute relation d'aide en général– était vraiment adéquate à cet accompagnement de Bernard, à ce que j'en avais ressenti… prendre la mesure du problème du jour, et trouver la solution, la meilleure pour l'instant présent, celle qui soulagera au mieux, avec le moins de contraintes ou d'effets secondaires. A un moment donné, Ammoniacum a été la bonne mesure, celle qui m'a permis d'être pleinement médecin, mieux encore que si j'avais été généraliste allopathe. Mais la bonne mesure peut–être le silence, ce qui n'est pas le plus facile, le regard, une main posée, le fait de s'attarder prendre l'apéro ou le café

….

 …toutes choses qui peuvent laisser une porte ouverte à une parole sur la mort, à une dimension spirituelle de la fin de vie. Ici encore, dans cet espace relationnel, par la disponibilité et l'écoute particulière qu'elle requiert, l'homéopathie est un précieux atout.


_____


    Cf J. Prat : Congrès du CLH – 2002, page 176


       

  1. Une gomme est une exsudation végétale visqueuse de nature glucidique, secrétées par les arbres en général, en réponse à une plaie du tronc, à une attaque parasitaire ou simplement à la sécheresse. On utilise les gommes en pharmacie, ainsi que pour les apprêtes, colles et vernis. Une gomme–résine est un mélange naturel de gomme et de résine. Vu la nature visqueuse de la gomme et celle, collante, de la résine, on a une idée du remède, en particulier de ses sécrétions.



       

  1. J'ai plusieurs fois ressenti,  dans la prise en charge chronique de pathologies lourdes, une difficulté à porter la double casquette du généraliste qui s'occupe du suivi (consultations spécialisées, traitement classique et ses conséquences), et de l'homéopathe qui cherche la personne derrière tout cela…. Vingt à trente minutes étant vite "perdues" à s'occuper du suivi  de la pathologie, et sans que cela n'apporte d' élément utile à la recherche du simillimum, il est parfois nécessaire de faire comprendre au patient qui ne veut pas avoir deux médecins, qu'il est préférable d'avoir deux types de consultations, dont chacune a un but précis.




       

  1. ….