faits

                             La dame aux cartons pas défaits….   
                                                             

 JM Deschamps – Chambéry




15/2/05:   Liliane, 65 ans, vient me consulter, l'œil éteint, le visage terne, elle est maigre, habillée triste, elle est ratatinée sur sa chaise et m'évoque un malheureux sac en papier qu'on aurait chiffonné.


En mai l'an dernier, mon mari est parti. J'ai fait un accident vasculaire transitoire, je suis tombée, j'ai perdu la parole, et j'ai été paralysée du côté droit pendant deux mois. En mai de l'année précédente, j'avais eu la même chose et j'ai eu beaucoup de mal à me remettre, ma main droite est beaucoup plus faible le matin surtout.


J'ai une sclérodermie depuis 1986, j'ai eu plusieurs médicaments, le Plaquenil® m'a entraînée des problèmes aux yeux. Actuellement j'ai des problèmes œsophagiens, de la fatigue, il faut que je mouline toute mon alimentation ou que je mange des pots pour bébés. J'ai un syndrome de Raynaud, l'air froid me donne des spasmes bronchiques et le problème classique aux doigts (prend Adalate ®). J'ai aussi un Gougerot–Sjögren  au niveau salive et yeux.


Mon mari a eu plein de problèmes de santé en 2004, carotides, ligaments croisés, et il est parti avec quelqu'un  qu'il a rencontré en centre de rééducation …alors qu'on devait partir faire un voyage. En deux mois, on a vendu la maison, et ma sœur habitant ici, je suis venue habiter à Chambéry, mais je n'ai toujours pas défait mes cartons.


J'ai toujours envie de pleurer, un soir sur deux je ne vais pas me coucher, je ne peux pas rentrer dans le lit seule, j'étais mariée depuis 30 ans, avant j'ai eu trois enfants, mais mon mari est décédé du cancer. J'ai travaillé jusqu'en 1989, puis j'ai été mise en invalidité avant d'être en retraite. Mais mon mari a vidé les comptes. Il a fallu payer un découvert, faire le déménagement, prendre un avocat. Je suis complètement démunie, je n'ai pas envie de faire à manger. J'ai eu des pensées suicidaires, mais mes petits–enfants m'ont sauvée.


Enfant, mon père a laissé ma mère en 43 avec 7 enfants. Je suis l'avant dernière. Ma mère a beaucoup travaillé, elle est morte à 61 ans. Ce sont mes sœurs qui m'ont élevée. Une de mes sœurs s'est mariée avec un savoyard et ils m'ont emmenée ici. J'ai eu un gros manque affectif, ma sœur n'était pas comme une maman et mon beau–frère est un vrai savoyard, dur. Par contre on est très liés avec leurs deux premiers enfants, on est comme frères et sœurs.


Je me suis mariée la veille de mes 16 ans sans rien découvrir de la vie, après j'ai été enfermée avec mes enfants, loin de tout, dans la campagne. Après mon deuxième mariage on a vécu à Annecy, et j'ai accepté de déménager dans un trou perdu près de R., car mon mari adorait la chasse, il partait tous les WE, il ne rentrait que le dimanche soir après avoir mangé avec ses amis, je me suis sacrifiée dans la maison pour rien. 

En 87 un de mes fils a eu des gros problèmes de drogue, chez nous il buvait même de l'alcool à 90 °, il était agressif, il est devenu séropositif, 5 ans d'enfer et comme ce n'était pas le fils de mon deuxième mari, cela a créé plein de problèmes. Je vivais volets fermés. A présent, il a 46 ans et est sous curatelle, il a un appartement et un travail, mais mes deux autres enfants ont du mal à garder des relations avec lui.


J'ai besoin de ma famille, je suis bien si tout le monde est bien, je regarde plus les autres que moi. Ma fille a eu un gros problème avec son mari alcoolique pendant huit années et j'en ai été malade, il y a eu des violences conjugales, je récupérais les enfants. Depuis 99 il n'a jamais rebu, mais cela a mis une distance entre nous et je voudrais que le mur se brise, qu'on redevienne comme avant.


Mon côté famille dérangeait mon mari, il ne supportait pas, il était un peu le contraire (NB: de moi…), un peu égoïste. J'ai toujours eu besoin d'avoir du monde autour de moi. S'ils ne viennent pas… que s'est–il passé ? Un problème dans leur famille, un problème grave ? Pourquoi n'ont–ils pas appelé ? Mon mari me disait : "laisse les vivre !" Il avait raison.


Je ne peux pas me coucher si le soir je n'ai pas le projet de voir quelqu'un. Qui pourrais–je voir demain ? Je me suis inscrite aux AVF (Association de Villes Françaises) et le lundi on fait une marche amicale. J'aime la lecture et j'aime écrire aussi. Je fais partie du jury du festival du premier roman à Chambéry. Ce sont des plaisirs personnels, mais j'aurais besoin de trouver à donner aux autres, peut–être lire des histoires à des enfants …. Je suis allée à la cantine savoyarde, mais il y a de la violence. Ma fille me gronde car je ne fais pas assez pour moi. Mon petit–fils veut m'emmener en Grèce à Pâques, je dis à ma fille: "Vas–y toi !". J'ai un besoin de donner aux autres, mais cela me bouffe la vie.


Je suis née pendant la guerre, la 6ème sur 7, donc pas très bien accueillie. J'ai dû être la mal aimée, je ne voyais pas ma mère. Mes grands–parents avaient une ferme, on a logé chez eux un moment, puis toutes les fermes ont été incendiées, ma grand–mère a été fusillée car elle avait voulu retourner dans la maison. Après on n'avait plus rien, on a été recueilli dans le village. C'est ainsi que je suis partie avec ma sœur. Je n'ai jamais été à ma place, ni chez mes grands parents ni chez ma sœur, ni dans les endroits où l'on a été hébergé. Je me suis sentie de trop. Quand j'ai rencontré mon mari, je m'imaginais un chez moi, de l'argent, mais j'ai habité chez ma belle–mère qui s'occupait de tout… 


A 26 ans, j'ai décidé d'aller travailler, je n'ai eu un chez moi qu'à la rencontre de mon deuxième mari, on a fait construire, j'ai rempli la maison de choses inutiles et j'étais maniaque."


Ici s'arrête cette longue et spontanée litanie de malheurs, oserais je ajouter…
… que Liliane. a été opérée d'un fibrome hémorragique (hystérectomie), d'une hernie discale, des varices à droite, d'un tendon de la main gauche et d'une épicondylite droite. J'oubliais les amygdales à cause de crises de rhumatisme. Elle souffrait de maux de tête avant les règles, et comme elle avait des règles abondantes, elle faisait des pertes de connaissance. A chaque grossesse, pendant lesquelles elle a eu beaucoup de crampes et des phlébites, ses dents se déchaussaient, elle a maintenant un appareil dentaire supérieur. Elle dira " J'ai allaité longtemps, j'ai voulu donner à mes enfants ce que je n'avais jamais eu". 


Liliane a eu aussi de l'herpès labial et vaginal, une jaunisse à 16 ans, des crevasses des lèvres, des doigts, des engelures aux pieds, des coliques néphrétiques, des crises de goutte. En 93 on lui a fait une dilatation des coronaires en raison d'une hypercholestérolémie familiale, et d'une HTA. Du fait de la sclérodermie, elle a une cardiopathie, qui la rend essoufflée au froid et en altitude. Elle prend Cotareg 160, Elisor, Nitriderm, Unicordium, Adalate et Coumadine , sa coagulation étant  difficile à équilibrer.


Pour finir, Liliane souffre de claustrophobie, et les nuits ne lui apportent guère de soulagement, ils sont peuplés de ce rêve régulier : " Je tombe dans un trou, mais quand je suis en bas je ne peux pas remonter, il n'y a rien pour remonter et je me débats, je crie, et je me réveille en sueurs".

X… 200K


21/3/05 :  Quinze jours après la dose j'ai commencé à ne plus voir les choses de la même manière, je prend plus plaisir à manger, mes enfants ne me reconnaissent pas, j'étais comme en transit chez moi, maintenant je suis bien, j'ai ouvert mes cartons et rangé. Comme je suis plus détendue, je peux manger du poisson non mouliné, des légumes, seule la viande reste difficile. Je me rends compte que je peux avaler ma salive facilement alors que j'étais obligée de faire un effort pour l'avaler. Je m'étais renfermée sur mon année tordue et je n'arrivais pas à en sortir. A présent je fais des projets, c'est décidé je pars en Grèce avec mon petit–fils. Vous savez quand je suis venue, j'étais au bout du rouleau, j'étais entre hyperactivité et désir d'en finir, tous les matins je me demandais ce que j'allais faire. 


X… MK en avril


5/4/05:  elle me téléphone : "Je suis mal depuis quelques jours avec une sensation de trahison, presque un désir de vengeance…"


27/6/05:  Je vois arriver dans mon cabinet une femme qui a dix ans de moins qu'en février, souriante, bronzée, habillée de façon gaie, avec des teintes vives, du jaune et de l'orange…
"Je dors bien, je m’installe enfin chez moi, mes enfants ne me reconnaissent pas. Le cardiologue est très étonné car ma PA est bonne, et ma coagulation complètement stabilisée ! Il m'a supprimé l'Adalate ainsi que l'Elisor car mon cholestérol est passé de 3,17 à 2,10 !
J'ai été affectée par le décès d'une femme de notre groupe de marche dans le lac du Bourget, mais j'ai bien mieux réagi qu'avant, j'ai dit aux autres: " On se serre les coudes, de toutes façons c'est le destin…"
Ma fille m'a écrit une lettre qui m'a beaucoup touchée, me disant qu'elle avait retrouvé sa mère, qu'elle avait eu très peur car je me raccrochais beaucoup à elle, je me rends compte que je lui téléphonais bien souvent… A présent j'attends les coups de fil et c'est le bonheur de les recevoir. Même mon avocat m'a dit: "Mais ce n'est pas vous!"


A présent je peux rentrer chez moi, j'ai accroché des cadres avec les photos de mes petits enfants. J'ai été à Paris avec ma sœur, on a été partout, même à un spectacle. Avant on me disait "Regarde autour de toi il y a des plus malheureux", cela ne m'aidait pas, maintenant je peux prendre de la distance… J'ai mis une affichette pour "Immeuble en fête" en proposant quelque chose à ceux qui le voulaient, j'ai été débordée, on était 57 ! Une soirée mémorable, et depuis les rapports sont changés entre nous.


Dans l'atelier d'écriture, je reviens toujours le passé, sur mon enfance. La monitrice me dit que je tourne en rond et que cela revient toujours là.


Depuis avril je mange sans problèmes, avec encore un peu de difficultés pour la viande et le pain, et de la sclérodermie il persiste aussi des engourdissements des doigts le matin, ou si j'écris et une sécheresse des yeux."


17/10/05 : "En Juillet, j'ai passé deux semaines en Bretagne comme je n'ai jamais passé, en marchant avec des gens le long des sentiers côtiers, simplement en étant allée à l'office de tourisme, j'avais l'impression que tout me réussissait…Je me suis dit " Oui vraiment la vie continue", je suis revenue ici avec des pensées positives malgré le divorce à régler. Je suis aux AVF, on m'a mise dans le bain, je suis partie en stage à Lyon, en congrès à Tours, je suis désormais responsable accueillante, j'ai donné un sens à ma vie. 


Dans ma campagne auparavant, j'étais isolée et dépendante de mon mari car je ne conduisais pas. Ici j'ai plus de relations. Ma petite fille m'a dit que je me laissais étouffer par mon mari à attendre qu'il revienne de la chasse, elle me dit " Je ne te reconnais pas !" Je viens d'acheter un ordinateur cela épate mon entourage, j'ai envie d'écrire, sur moi dans un premier temps, il faut que cela sorte. J'ai jeté tout un tas de vieux habits, je me demande comment je pouvais mettre cela ! Ma psy m'a dit qu'elle n'avait plus besoin de me voir. Le cardiologue va me diminuer l'Unicordium et a passé la Coumarine à 7mg car l'INR montait trop ! Je n'ai plus les engourdissements des doigts. J'ai pris 5kgs depuis que je vous ai vu ,je pèse 48 kilogs.


On m'a ouvert la porte, voilà ce que je ressens
".


Soution du cas: Carbo animalis, le charbon animal


On peut dans ce cas clinique faire apparaître le remède dans une répertorisation:

On peut se souvenir de ce que Kent a écrit: "Les expérimentations de CARBO ANIMALIS offrent à contempler des individus brisés. Ce remède fit sortir chez les expérimentateurs exactement les symptômes qui surviennent dans les organismes vieux et usés, qui se rétablissent lentement et manquent de réaction. C'est pourquoi il a été un précieux palliatif chez les malades présentant des infiltrations et des indurations malignes, des indurations suspectes autour des ulcères et sous leur base, des indurations suspectes dans les glandes."


Tous les individus brisés ne relèvent bien sûr pas de CARBO ANIMALIS, et la répertorisation, elle, est bien aléatoire…en réalité la solution de ce cas, et cela mène tout de suite au bon remède, réside dans ces quelques phrases que Liliane a lâchées tout en me racontant sa biographie:

– je regarde plus les autres que moi
– je me suis sacrifiée dans la maison pour rien
– j'ai un besoin de donner aux autres, mais cela me bouffe la vie.



Parce que le thème essentiel de Carbo animalis, c'est le sacrifice mal consenti ! Et il 
décompense d'autant plus qu'il (plus souvent "elle") s'aperçoit que son sacrifice était
inutile. Pensons à toute la pathologie de Liliane!


Comment fabriquer du charbon animal ? " On met un morceau d'épais cuir de bœuf entre 
des chardons ardents, et on l'y laisse jusqu'à ce qu'il ne jette plus la moindre flamme; alors 
on le place rapidement entre deux plaques de pierre, afin qu'il s'éteigne sur le champ, sans 
quoi le charbon continuerait à brûler, et se détruirait pour la plus grande partie."


Quand on fait brûler ce morceau de chair et de peau bœuf  et qu'on le presse entre deux 
plaques, il ne reste plus rien, on lui a tout enlevé ! Il a tout donné… mais l'anomalie 
c'est justement que tout don soit vécu comme un sacrifice !



Dans de nombreuses cultures, le bœuf  est un animal immolé en sacrifice, sa mise à mort 

en fait l'envoyé, l'intercesseur de la communauté auprès des esprits supérieurs. D'un autre 
côté, le cuir et le feu sont aussi reliés par le marquage des bêtes aux USA, on marquait 
aussi les personnes avant de les envoyer au bagne..


Ne dit on pas aussi qu'on sacrifie quelque chose à un usage ?


Carbo animalis s'épuise dans ce sacrifice. Tout ce qui vient de lui pour aller à l'autre 
l'épuise. Il n'arrive pas à se faire plaisir: il a très faim mais manger l'aggrave (cf.  les  
nombreuses rubriques du répertoire où il est aggravé après manger !), il est épuisé mais le 
sommeil,  difficile à trouver, ne le repose pas…) comme s'il devait être en permanence sur 
la brèche. Carbo animalis s'est sacrifié contre son gré au fond, et il doit s'endurcir 

(nombreuses pathologies d'induration, de tumeurs).


Alors qu'est ce qui pousse Carbo animalis à se carboniser ainsi,  à se retrouver 
prisonnier d'un destin le figeant dans un rapport particulier au monde et aux autres ? 

Pourquoi ne peut–il trouver la juste distance à l'autre ? De quelle illusion fondamentale est–
il le jouet ? 


Quelques rubriques où il est en remède unique en donnent peut–être une idée…



PSYCHISME; ILLUSIONS, hallucinations, imaginations; entendre, d'; sonorités semblant venir d'un autre monde (1) ***
PSYCHISME; ILLUSIONS, hallucinations, imaginations; ville déserte, il est dans une (1) *


Et puis rappelons nous le mode de fabrication de la souche: quelque part Carbo animalis – un peu comme Causticum – garderait la mémoire qu'il n'est pas passé loin… pas loin d'un feu qui obscurcit et étouffe tout par sa fumée ? A qui se raccrocher alors sinon à son entourage, à ses proches ? Son sacrifice aux autres n'a rien d'innocent !
Liliane, quant à elle, me semble revenir de loin, son avidité de à créer des liens et des relations sociales dans la ville n'est–elle pas son mécanisme de défense ?


Je rapprocherais volontiers de cette thématique de Carbo animalis un remède qui se dévoue toujours beaucoup pour les autres, Cocculus. Cocculus – disait Philippe Servais au congrès de l'INHF 2004 – tolère difficilement la souffrance des autres, ni que les autres ne puissent rien faire de leur souffrance. Son plaisir, c’est que l’autre soit bien. 
Mais Philippe ajoutait: Cocculus dépend de la solidité de l’autre, de sa bonne santé physique ou mentale Il ne va bien que si l’autre est solide. Il faut que l'autre soit bien, ne souffrant pas, et suive une destinée heureuse sinon il ne pourra pas s'appuyer dessus. Il veille les mourants désespérément, pour qu’ils ne disparaissent pas, pour qu’ils ne le privent pas de son support vital.


Quelle richesse que cette homéopathie qui nous permet d'approcher de façon si subtile l'intimité du comportement humain, comportement qui est induit par cette part de non humain en nous selon Rajan Sankaran, c'est à dire l'expression  de notre remède!
               
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