HELLEBORUS
EMMANUELLE
Nous sommes en 1980. Emmanuelle sort d'une tentative de suicide au Valium. Elle a, deux mois auparavant, fait table rase dans sa vie privÈe : son compagnon ÈjectÈ brutalement n'a pas compris. Il revient timidement aujourd'hui frapper la porte pour s'entendre dire qu'elle l'aime !
Elle a trente ans et fait ce qu'elle appelle une dÈpression existentielle.
Quelques doses de Natrum muriaticum vont temporairement la tirer d'affaire sans, fondamentalement, changer sa vie.
Sa vie justement, parlons–en ! Elle ne lui plaÓt, ne lui a jamais plus. Elle traÓne depuis l'adolescence un spleen sans fin, un dÈsintÈrÍt profond de toute chose. Rien ne la motive vraiment. Elle fait ce qu'il y a faire
les Ètudes, le travail, l'amour
Elle pense mÍme (c'est nouveau) faire un enfant, lui n'en veut pas pour l'instant, pas grave elle ira s'en faire faire un ailleurs ! Plus jeune, elle a eu trois fausse–couches et une perforation utÈrine sur avortement.
Physiquement, elle prÈsente quelques troubles rÈcidivants : herpËs labial ou gÈnital, cystites, lombalgies parfois handicapantes (pincement L4–L5, scoliose avec rotation axiale), insomnies. Au milieu de tout cela, un drÙle de symptÙme rÈcurrent : dÈmangeaison des gencives !
Cette jeune femme ne viendra ensuite me revoir que trËs Èpisodiquement. 1983 (Nux vomica), 1985 (Ignatia), 1994 (Ignatia), 1997 (Ignatia). A partir de 1998, elle consultera plus ou moins une fois par an, malgrÈ mes demandes rÈpÈtÈes de pouvoir la suivre plus rÈguliËrement.
Toujours le mÍme discours, ponctuÈ des mÍmes troubles.
ØJe devais me marier et puis, cela ne s'est pas faitØ
ØJe n'ai plus de force pour lutter, j'ai ratÈ ma vieØ.
Forte de ses diplÙmes, elle travaille depuis quelques annÈes en gestion de patrimoine et ce, en indÈpendante. TrËs exactement, elle travaille chez elle la gestion financiËre et immobiliËre de l'Ènorme patrimoine d'une riche et vieille famille franÁaise qui lui fait toute confiance !
Hors cette activitÈ (qui l'oblige de frÈquents dÈplacements), elle ne fait rien de sa vie. EnfermÈe chez elle, elle refuse de sortir. ØJe n'ai rien dire, je suis un peu conneØ. ØJ'ai des hauts et des basØ. ØQuand je vois tous ces gens heureux autour de moi, cela me fait plonger encore plusØ. Elle vivote, s'ennuie
Elle a toujours le mÍme compagnon, ils n'ont jamais cohabitÈ, ils se voient, ils se sÈparent
Son ami est lui aussi dÈpressif et n'a pas plus de libido qu'elle ! ØJ'ai bien essayÈ un amant deux ou trois reprises mais bof
Ø
De temps en temps, lui reprend l'envie d'avaler des mÈdicaments ou de se jeter par la fenÍtre. Son pËre est mort lorsqu'elle avait sept ans et, dix ans, elle s'Ètait enfermÈe dans sa chambre en prenant des mÈdicaments ! Elle a fait deux essais de psychanalyse, vite avortÈs. Elle n'en veut plus. Quant aux antidÈpresseurs, les tentatives qu'elle en a faites ont ÈtÈ catastrophiques.
Ce qui lui est reprochÈ dans sa famille et mÍme son travail (comptables, banquiers, intendant du chteau des hÈritiers etc.), c'est son ton agressif, catÈgorique et cinglant, c'est aussi ses brefs mais violents coups de colËre parfois simplement parce qu'on lui parle, qu'on l'interrompt, qu'on s'oppose elle. De toute faÁon, paradoxalement, elle pense toujours avoir mal fait et se le reproche.
ØJe n'accepte pas ma vie, il est trop tard
Je joue le jeu, les Ètrangers me croient gaie et ÈquilibrÈe, en dehors de mes Ènervements. Mais tout cela est tellement superficiel !".
1998 : ØJ'ai eu des moments Èpouvantables. Il m'est arrivÈ de me taper la tÍte contre le mur. Je suis tellement en colËre contre moi–mÍme. J'ai achetÈ un piano avec l'idÈe de m'y mettre et je ne prends mÍme pas de cours, tout est comme cela. Si je ne me suicide pas, c'est que je manque de courage. En plus, ce serait un tel problËme pour mes employeurs, tous ces papiers, ils n'y connaissent rien !"
ØfrËre et surØ avec son ami de vingt ans est plus stable qu'avant mais, signe que la vie existe encore en elle, elle s'est prise un amant mariÈ Øqui l'a un peu dÈbloquÈeØ.
Elle m'avoue que, par moment, elle se met boire.
Il y a chez elle une telle hypersensibilitÈ, rÈactivitÈ, irritabilitÈ, soif de justice et d'ÈquitÈ que je lui donne Nux vomica en 1998 et 1999 qui lui fera beaucoup de bien (et accessoirement rËglera ses bouffÈes de chaleur dues sa prÈ mÈnopause).
DËs 2000, elle commence se plaindre d'une certaine confusion mentale qu'elle met sur le compte d'une fÈbrilitÈ intÈrieure. J'observe moi–mÍme, partir de l, de rÈels troubles mnÈsiques. Ses explications deviennent confuses, elle confond les mots en parlant ou ne les trouve pas, ne termine pas ses phrases ou l'histoire qu'elle me raconte. Elle n'arrive plus s'exprimer correctement, rÈflÈchir, me dit–elle. ØTout est en dÈsordre dans ma tÍte, tout se mÈlange en rÈunion de travail. Je ne peux plus lire ni me concentrer plus de cinq minutes. J'oublie tout. Mon esprit s'Èvade. Il m'est impossible de prendre la moindre dÈcision, moi d'habitude si expÈditive. J'ai des trous dans la tÍte, j'appelle mon neveu par un mauvais prÈnom, je me prÈsente moi–mÍme avec un autre prÈnom ! Je dis des phrases entiËres qui n'ont rien voir avec ce que je veux direØ.
ØJe suis en plein surmenage cÈrÈbral. Il faut dire que j'ai accumulÈ beaucoup de choses depuis cinq ans. Mon boss, cancÈreux, est mort en 1995. Il se reposait totalement sur moi. AprËs son dÈcËs, c'est la famille et son Èpouse que j'ai portÈes bout de bras, m'occupant de tout. Cette famille finissait par compter plus que ma mËre. Et puis, celle–ci est morte il y a six mois
J'ai heureusement pu m'en occuper dans ses derniers moments. J'ai ÈtÈ, pendant cinq ans, absente moi–mÍmeØ.
Natrum muriaticum est sans effet. Aurum arsenicosum puis Aurum metallicum vont beaucoup l'aider reprendre pied. Ce dernier sera poursuivi en 2001 et 2002. J'ai mÍme eu l'illusion un moment d'une action sur le plan mnÈsique. Mais elle s'est aperÁue qu'au moindre stress elle continue inverser les mots et tout dire de travers. Elle peut encore Ítre d'une grande violence en parole et son ami se plaint qu'elle le traite mal.
Fin 2002, elle revient me voir parce qu'elle n'arrive plus s'organiser, rÈflÈchir. Elle oublie tout, les mots, les lieux mÍme connus, comment faire les choses. Certains jours, elle ne comprend pas ce qu'on lui dit ou on ne comprend pas ce qu'elle veut dire.
la persuader d'aller consulter un neurologue. Je commence m'inquiÈter vraiment ! J'ai vu, dans le passÈ, une patiente dÈraper de la mÍme maniËre. Un an aprËs, elle Ètait plongÈe dans la maladie d'Alzheimer.
Conium maculatum aura un effet trËs positif heureusement mais, rÈpÈtÈ plusieurs fois en 2002 et 2003, il agira de moins en moins.
En septembre 2003, ØaprËs les avoir tirÈs d'affaireØ, elle donne sa dÈmission la famille d'aristocrates et se met au chÙmage. En effet, elle assume de plus en plus mal son travail, ne parvenant plus gÈrer correctement les affaires.
Ëre 8 ans, son caractËre qui change alors. Elle, l'enfant pudique et timide, devient irritable et mÍme violente avec son frËre. Sa mËre la qualifie alors de menteuse et de rusÈe. En fait, me dit–elle, j'ai toujours observÈ que, lorsque je suis triste, j'ai envie d'Ítre mÈchante avec les autres.
Ao°t 2004. Elle est dans sa famille dans le sud. Sa sur, inquiËte, (que j'avais eue au tÈlÈphone) est parvenue la persuader de voir un neurologue et d'accepter une exploration. Aux premiers tests pratiquÈs, le spÈcialiste (qui m'a envoyÈ un compte–rendu) est dubitatif. Au scanner cÈrÈbral, on ne trouve qu'une anomalie mineure ininterprÈtable. DÈcision est prise de refaire un bilan dans six mois.
ÈlÈphone, elle me demande d'essayer nouveau de l'aider. Je promets de la rappeler et je reprends le dossier tÍte reposÈe.
Que n'ai–je pas compris ? J'emploie alors une de mes techniques prÈfÈrÈes : je visualise le patient absent et je me mets dans un Ètat de flottement complet, d'absence, pour laisser venir ce qui peut venir. Et, qu'est–ce qui me frappe tout de suite ? Quels sont les mots qui me viennent ?