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JM TRIBOUILLARD27/12/2000
13 rue de la Poste 


74000  ANNECY



L'alliance perdue




En janvier 1997, je reçois Mme Françoise B. âgée de 72 ans qui vient accompagnée de sa fille que je connais depuis environ 15 ans.
Elle a l'allure d'une petite femme un peu rondelette, soignée, légèrement rougeaude et souriante, assise bien droite et parfaitement immobile sur la chaise.
Le dialogue s'annonce difficile car elle n'arrive absolument pas à exprimer le moindre mot malgré quelques encouragements de ma part. Elle ne fait apparemment pas le moindre effort pour parler, se contentant de sourire. Le visage est figé, impassible, incroyablement triste malgré le sourire permanent, et il exprime aussi la souffrance. Le regard est perdu, vide ou absent, je ne saurais préciser la nuance, et pourtant je ressens une sensation un peu contradictoire d'une personne à la fois très lointaine et pourtant présente. 
Aucune parole, mais une larme qui finit par couler tranquillement sur ce visage imperturbableJ'abrège la torture et  m'adresse à la fille qui d'ailleurs paraît impatiente de parler à sa place. On la comprend…

–  On vient pour que vous tentiez d'améliorer sa dépression”.
– M'adressant à la mèreVous ne voulez pas parler?

: “Elle a horreur de parler, n'ose plus s'exprimer, parce qu' elle est persuadée qu'elle va se tromper de mot, ce qui arrive effectivement et ça la met tellement en colère qu'elle préfère ne plus rien dire”. 
– La fille: “Cela fait environ 6 mois qu'elle est comme cela, repliée recroquevillée sur elle–même, ne communiquant presque plus avec l'entourage, un peu comme emmurée. On dirait qu'elle s'est construit une carapace, qu'elle n'est pas avec nous, comme dans un autre monde, absorbée dans ses pensées et pourtant elle sait exactement tout ce qui se passe autour d'elle. Elle s'est mise à entendre beaucoup moins bien et ne parle presque pas. Elle est devenue sans réaction, elle qui était très dynamique à la maison, elle reste dans son coin à pleurer presque toute la journée, ou alors à dormir énormément”. “Elle a horreur du monde et ne veut plus voir ses amis”
– Que s'est–il passé?
– Elle a eu beaucoup de décès depuis 2 ans environ. Le premier a été celui de papa, puis celui de sa mère et ensuite de sa belle–sœur. Curieusement, elle n'a pas manifesté énormément de chagrin lors de ces décès alors qu'elle était très liée à son mari. Elle a continué à s'occuper de sa maison comme avant. Ce qui m'étonne, c'est que sa dépression est arrivée assez brutalement il y a 6 mois. C'est comme si tout cette accumulation de deuils avait fini par l'atteindre”. 
– Comment était–elle avant? 

– La filleJusqu'à il y a 6 mois, c'était une femme très active, extrêmement dévouée pour les autres passant son temps à s'occuper de son mari, faisant la cuisine, le ménage, la lessive pour ses deux fils célibataires qui vivent toujours avec elle. Jamais elle n'avait un moment de repos et elle ne se plaignait jamais. Elle était très soumise à son mari. Mon père était très dur décidait tout tout seul et se faisait servir, mais elle ne s'est jamais élevée contre cela. Et puis assez brutalement,  on a eu l'impression que quelque chose s'était cassé. En quelques jours, elle s'est mise à ne plus pouvoir marcher, est devenue absente, comme ailleurs,  figée, elle ne répond presque plus, pleure beaucoup mais ne se plaint de rien. On dirait qu'elle est dans un rêve. Nous l'avons montré à un neurologue et il nous a dit que l'état dépressif venait d'une maladie de Parkinson. Cela fait 3 traitements qu'il lui donne sans le moindre résultat.” (L–dopa, bromocriptine et antidépresseur).
– Je tente à nouveau quelques questionsVous pourriez me parlez un peu  de votre mari?
– Après hésitation, d'une voix monocorde, elle me dit:  “Nous étions comme les 2 doigts de la main, on s'était promis de partir ensemble. Je lui en veux de m'avoir laissé seule…”
Par la fille j'apprendrai qu'elle avait toujours vécu dans l'ombre de cet homme dur et autoritaire, ingénieur SNCF et qu'elle lui avait été soumise toute sa vie. D'une éducation très stricte, avec des études jusqu'à 18 ans dans un internat tenu par des religieuses, elle avait gardé une pudeur extrême, une habitude de dévouement. Elle parlait souvent de la cérémonie de la douche que les jeunes filles devaient prendre sans se déshabiller, dans une chemise spéciale. 

– Comment avez–vous rencontré votre mari?

– “C'était au bal, un coup de foudre. Nous étions attirés l'un vers l'autre comme deux aimants”. Le regard reste figé, sans aucune émotion, et pourtant  quelques larmes apparaissent de nouveau. Elle ajoute à voix presque imperceptible:“sa mort c'est comme une trahison.”
– La fille reprend la parole: “On dirait qu'elle lui reproche d'être mort, comme si il l'avait fait exprès, elle revient souvent là–dessus. D'ailleurs c'est sans doute très symbolique, c'est du jour où elle a perdu l'alliance de mariage de papa, qu'elle portait toujours à la main droite et qui était trop grande pour elle, qu'à mon avis elle a commencé sa dépression. Ce qu'elle a pu la chercher cette alliance…, des journées entières!” A cette évocation les larmes coulent abondamment et le visage manifeste enfin, derrière le petit sourire lointain, une réelle souffrance.



L'examen confirmera le syndrome parkinsonien, l'akinésie, la marche très difficile, à petits pas avec tendance à se projeter en avant. Il existe aussi une petite roue dentée, un réflexe naso–palpébral presque inépuisable, un réflexe palmo–mentonnier…etc (je vais pas vous faire toute la sémiologie du Parkinson). Mais pas de tremblements sauf des genoux  au début de la marche et une raideur de toutes les articulations des membres inférieurs qui sont douloureuses surtout la nuit. L'équilibre paraît précaire, et une chute sera évitée de justesse quand je lui ferai faire quelques pas en arrière pour l'amener sous la toise.


Pour ma première prescription que je vous demande éventuellement de trouver (est–ce bien didactique que de vous demander de chercher un mauvais remède?) je retiens les symptômes suivants êve. Lenteur des déplacements, absence de plainte, constipation récente (mais sous antidépresseur).Même si je sens bien qu'il ne s'agit que d'un remède partiel et je donne tout de même A ( 9CH puis 30 CH) à 20 jours d'écart.


Quand je la revois en févier 97, soit 1 mois 1/2 après la première consultation, elle paraît beaucoup plus présente, plus réveillée, elle dort moins, mais l'état dépressif et la marche ne se sont pas améliorés, et le syndrome parkinsonien s'est aggravé selon le neurologue, qui a augmenté les doses d'antidépresseur et de L–dopa. D'après sa fille, elle ne parle guère plus, sauf de son mari de manière très agressive. C'est nouveau…

– La fille: “Je trouve qu'elle est devenue rancunière et aigrie, comme si elle lui reprochait maintenant la vie qu'il lui avait fait subir et qu'elle acceptait pourtant très bien à l'époque.” 

Je poserai quelques questions qui ne donneront que des réponses vagues. Sauf une seule

– Que reprochez vous à votre mari?
De ne pas avoir tenu sa promesse.”
– C'est à dire?
– “On avait fait le pacte de partir ensemble, on ne pouvait pas vivre l'un sans l'autre.” – “Qu'est ce que je vais devenir sans lui, qu'est ce qui va bien pouvoir m'arriver…”


Elle n'en  dira pas plus. 


A vous de trouver le remède B, qui cette fois sera remarquablement efficace.
La méthode par laquelle on peut trouver remède est théoriquement répertoriale, mais cela me paraît hasardeux. Cette histoire est apparemment banale. Je vous conseille d'essayer de comprendre la cohérence très forte des symptômes de la malade avec le médicament, en tant que souche. Il me paraît facile de trouver à quel règne le remède appartient. Puis l'originalité de ce remède peut être envisagée sous l'aspect d'une affinité très forte avec le mari, en fait  je devrais dire avec le remède supposé du mari. 



   

L'ALLIANCE PERDUE
(solution)



ède. 


La manière répertoriale


Ceux  qui sont très observateurs auront ramassé quelques petits morceaux du puzzle qui leur auront paru très caractéristiques tels que :



Mais il leur faudra être un peu chanceux pour trouver certains de ces symptômes dans le répertoire. Cela va permettre de s'interroger sur les quelques remèdes présents dans ces rubriques.  
Si on ajoute l'état confus, absent, perdu dans ses pensées (Confusion–Absorbed, Abstraction of mind– Thoughtful)ès marquée pour la conversation (Conversation agg.– Talk others agg.– Indisposed to talk)(Company aversion to)été pour l'avenir, le côté rancunier (Hatred, revengful)  MANGANUMède, à mon avis, aucune image cohérente, juste des symptômes éparpillés mis bout à bout.
Personnellement j'ai assez vite pensé au manganèse, car le souvenir de mes cours de neurologie était encore vivace où il était cité comme une substance pouvant provoquer un syndrome parkinsonien. Par chance je découvre aussi dans le répertoire le symptôme, Expression, comme un masqueù Manganum est présent, je me dis que ce remède est possible et le prescris mais sans conviction bien nette. C'est l'évolution de la patiente après les prises successives du remède qui me confirmera la profondeur d'action de la prescription et me conduira à une étude plus approfondie du remède.

Entendre le langage de la métaphore


Je pensède d'une autre manière en écoutant attentivement ce que disent la mère et la fille mais en prenant dans un sens très concret des mots abstraits. Que disent–elles?

à son mari était très fort, même s'il se faisait dans la soumission. 
Que le moment à partir duquel elle décompense correspond à la perte de l'alliance. C'est le symbole matérialisé de leur union, du sacrement du mariage et du pacte ou du serment mutuel que les époux se sont fait.
La patiente parle très peu, donc on peut supposer que les quelques mots qu'elle emploie sont riches de sens. De son mari elle dit“nous étions comme les doigts de la main”,“nous étions attirés l'un vers l'autre comme deux aimants.”
ître d'une grande banalité, mais comme la malade parle très peu, il faut les écouter avec une attention toute particulière. De cette façon je pense que l'on peut arriver à l'idée que le remède est un métal et que ce métal a une affinité très forte pour d'autres métaux dans une association qu'on appelle alliage. L'alliage ou l'alliance c'est la même chose.


Or le métal qui est le plus employé dans les alliages c'est le MANGANÈSE. Il a, nous le verrons, une très forte affinité pour le fer. Ferrum, c'était sans doute le remède du mari, cet ingénieur SNCF tyrannique, qui avait toujours raison et n'exprimait jamais ces sentiments.


Evolution après les prises


Entre le 15 février 97 et fin décembre 97 la malade recevra Manganum à 4 reprises avec un espacement de 15 jours pour les 2 premières prises en 9CH, puis une troisième dose sera prise en 200K 1 mois après  et enfin une dose en MK 2 mois après. 
Chacune des prises amènera des améliorations qui se feront d'abord au niveau physique tandis que le mental évoluera de façon différée. 
Après la première doseélioration de la motricité, mais en, même temps elle a très peur de marcher (Anxiety from motion, Anxiety walking while)à peine plus expressif, mais paraît anxieux. Malgré l'avis contraire du neurologue je fais diminuer la L.Dopa de moitié. L'état dépressif reste important avec toujours un refus de la conversation. La fille me dit  “ Elle marche mieux mais elle est beaucoup plus anxieuse, comme si elle vivait en permanence sous la menace d'un danger extérieur. Parfois elle regarde à la fenêtre ou dans le ciel avec un air très inquiet. Je lui demande  ce qui ne va pas, elle me regarde avec un air gêné, sans répondre.”(Anxiety about future, Fear of misfortune)) être mort sans elle. 
On voit donc que le remède a amélioré la motricité mais que le mental n'est pas bon. Cette aggravation doit être interprétée comme une prise de conscience douloureuse par la patiente de sa fragilité et d'un certain nombre d'évènements ou de situations dont elle s'était soigneusement protégée.


Après la deuxième doseès nette amélioration sur la motricité. La démarche est beaucoup plus fluide. Les pas se sont allongés. Peut faire un demi–tour et marcher à reculons. Il y a ébauche de mimiques du visage, une sorte de participation émotionnelle dans le regard. Surtout l'audition semble s'améliorer nettement. Toujours un refus de rencontrer du monde et de parler, mais accepte d'écouter la conversation des autres membres de la famille. Ne parle plus du mari. Pleure encore souvent Je fais arrêter la L.dopa, mais les anti–dépresseurs sont maintenus sous la pression de la fille.
Après la troisième doseélioration de l'audition. La marche est encore un peu incertaine, mais presque normale. L'humeur est beaucoup plus enjouée. Elle est allée seule rendre visite à la voisine à 50m, pour un prétexte futile. Se remet à parler assez spontanément. Quand je lui demande si elle en veut toujours à son mari elle me répond de manière très agressive.:“ Oh oui, quand je pense à tout ce que j'ai fait pour lui, il ne ma jamais fait le moindre compliment ni le moindre cadeau!”
êves (Dreams, many)éveil. 
Vous remarquerez que la plainte a changé. Je considère comme une évolution favorable que la patiente commence enfin à se rendre compte qu'elle a passé toute sa vie au service d'un autre sans contrepartie évidente et qu'elle manifeste une certaine agressivité pour la première fois de sa vie.


 Un mois après la quatrième doseécidé seule d'arrêter les anti–dépresseurs. La phase de rancœur concernant le manque de reconnaissance pour tout ce qu'elle avait fait pour les autres, s'est progressivement estompée pour faire place à un état de chagrin très intense. Selon les enfants, pendant presque un mois elle a pleuré de façon continuelle. Quand on lui demandait pourquoi elle pleurait, elle répondait“ Il me manque tellement, je regrette que nous ne nous soyons pas mieux connus”. (Mind Inconsolable)
Puis progressivement tout s'est normalisé. La marche, l'audition, l'état qualifié de dépressif. La patiente a repris ses habitudes de grand–mère dévouée, aux services des autres. Elle a repris aussi une vie relationnelle familiale et sociale active. 

Six mois après la prise de la quatrième dose“ Mon mari et moi, nous sommes enfin réconciliés”.  érison. (Dreams of reconciliationède unique)

Quelles sont les propriétés du Manganèse









De ces propriétés découlent les usages






Relation entre les propriétés de Manganum,  la matière médicale et le cas clinique


Pour se protéger, manganum doit s'allier, il doit le faire dans un pacte d'entraide réciproque. Manganum n'a pas la capacité de se fabriquer une couche protectrice externe d'oxyde comme le font le zinc ou l'aluminium. Il n'est pas protégé contre le mal. Il n'a pas d'existence propre sous forme métallique pur dans la nature. L'alliage, pratiquement toujours avec le fer, lui donne la sécurité car la substance seule est d'une extrême fragilité et instabilité. Il se trouve en proportion toujours très minoritaire dans les alliages. Même 1% de manganèse donne des qualités très riches aux alliages. C'est un "fer" valoiré et son dévouement lui permettent sa survie et sa sécurité. Il passe inaperçu, il s'adapte, il change sans arrêt de couleur  (caméléon minéral)
Quand elle se retrouve seule (la perte du mari ferrum) la patiente vit cela comme une trahison et devient rancunière et aigrie (Hatred, Embittered)éger par ses propres moyens de toutes les agressions extérieures mentales et physiques, dont elle a très peur car elle est très vulnérable ( Anxiety about future, Fear happen something will, Peur des nouvelles attristantes, Hn 238., Peur pour sa vie Hn 216, Peur de tomber par terre Al347)


Elle se construit une carapace (le blindage) et se fige totalement, met au repos toutes ses fonctions de communication, se coupe totalement de l'environnement. Elle a une atteinte de la mémoire, de la parole, de l'audition et de la motricité. (Senses dull, Talk others agg, Hearing impaired, Paralysis organ.  èse, ce dernier se concentre dans les noyaux gris centraux et c'est le seul endroit où il déplace le fer.  ère toute activité relationnelle comme potentiellement dangereuse et attend le malheur. Un rêve paraît particulièrement significatifRêves effrayants de soldat qui la transperce d'une balle. 


L'action de Manganum a permis à cette patiente de trouver enfin un équilibre. Bien sûr elle restera dans son schéma de dévouement–humilité également valorisé par Sholten et Sankaran (ainsi que l'éducation très répressive), mais elle a une vie relationnelle plus importante qu'autrefois. Elle n'a plus son mari Ferrum, mais après la rupture douloureuse, l'idée de la réconciliation (qui n'est possible qu'à la condition de pouvoir faire un mouvement physique de rapprochement vers l'autre) me paraît être une forme plus saine que l'alliance. L'alliance est un état fusionnel dans lequel Mang. perd son identité. La réconciliation suppose le rapprochement de deux entités qui se reconnaissent dans leur individualité et surtout dans leur différence. 
C'est dans ce nouvel état que ma patiente Manganum, a pu devenir plus autonome et se sentir moins vulnérable.




Bibliographie


       

  • Editions Médicales Internationales


  •    

  • èse, Encyclopedia Universalis


  •    

  • éalisée par Gilda Campos, 13/07/93