Nitricum acidum - P. Servais- Liège 96

Trouvez l'erreur !

En 1983, Elisabeth a trente ans, est professeur d’allemand et ne croit plus du tout aux vertus de l’allopathie qu’elle a longtemps fréquentée. Et pour cause! Avec son eczéma constitutionnel, sa rhinite allergique et son asthme sévère, elle a moultes occasions d’avoir recours à la médecine. Elle veut se soigner autrement mais il n’est pas simple " de tout lâcher pour trouver la vérité ailleurs ".

Bien sûr, il y eut cette primo-infection à dix ans et cette mère veuve et abusive (Elisabeth est fille unique) qui s’appuie entièrement sur elle mais ne pourrait-elle pourtant trouver le bonheur et du corps et de l’esprit? Heureusement, il y a ce psychanalyste qui la suit pas à pas, trois fois par semaine, à 6h30 du matin! (Note de l’observateur: il s’agit sûrement d’un bon psychanalyste; le transfert s’est fait dans les justes règles de l’art; il faudra attendre le simillimum pour que débute le contre-transfert puis la séparation).

Elisabeth a les cheveux courts à la garçonne, les lunettes cercl ées de l’intellectuelle; plutôt jolie, mince et avenante, elle a pourtant l’expression valétudinaire de ceux qui luttent sur tous les fronts pour vivre. Dépressive, non pas vraiment car il y a trop à faire pour résoudre ses multiples problèmes. On pourrait plutôt parler d’existencialgie! Elle assume tout avec courage et détermination. C’est un professeur très conscientieux et compétent. Elle passe des heures à préparer ses cours et ne se répète jamais d’une année sur l’autre. Il y a toujours matière à affiner. En fin de compte, les vacances ressemblent plus à un vide angoissant qu’à autre chose. Où aller d’ailleurs? Les amis sont mariés, ont des gosses et ne sont plus disponibles. Les vacances organisées en groupe lui font horreur. Et puis, il y a chez elle toujours tant de choses à remettre en ordre. Les dossiers pédagogiques s’accumulent, il faut les classer. Il y a cette interminable succession familiale à gérer puisque sa mère en est incapable; non qu’il y ait quelqu’argent à espérer mais il faut que les choses s’éclaircissent enfin dans les affaires de son père commerçant, décédé récemment. Elle ne peut s’empêcher d’en vouloir à son oncle qui a liquidé l’affaire sans lui en parler, honnêtement mais autoritairement.

Certains jours, elle se sent comme parasitée par des idées obsédantes. Entre autres sur sa santé. Fait-elle vraiment tout ce qu’il faut pour que cela aille mieux? Voyons, elle s’occupe de son psychisme correctement mais il n’y a pas que cela! Elle devrait vraiment n’acheter que des produits " biologiques "; ce n’est pas la peine de se soigner si elle continue ainsi à faire des erreurs diététiques. Il faudrait aussi qu’elle s’aère plus en forêt le dimanche mais toute seule, ce n’est pas drôle. Il n’empêche, comment le remède du docteur Servais pourrait-il marcher si je me nourris n’importe comment, si le lendemain même de sa prise je m’énerve sur le manque de conscience professionnelle de ma collègue, si je suis en colère parce que je n’ai pas pu éviter que tel élève rate ses examens alors que je pensais l’avoir bien préparé?
Il faut dire que déjà enfant elle était angoissée. Elle se sentait responsable de sa mère, toujours malade; elle avait par dessus tout peur de devenir aveugle (car " l’oeil, c’est l’organe du discernement "), de mourir, de ce qu’elle pouvait avaler sans s’en rendre compte d’où sa phobie encore présente des épingles.

Ce qu’elle n’a pas voulu me dire dans les premières consultations, c’est cette histoire amoureuse compliquée avec ce garçon qui n’est vraiment pas fait pour elle mais avec qui elle n’arrive pas à rompre totalement parce qu’ "il y a des choses qu’il n’a jamais voulu m’expliquer clairement ". Ce besoin d’explication, c’est tout elle. Le jour où, pressé par une consultation trop chargée, je ne lui ai consacré " que vingt-cinq minutes ", elle n’a rien dit mais me l’a reservi la fois suivante. Ce fût l’occasion de revenir sur cet autre épisode "qu ’elle n’a jamais digéré " avec son psychanalyste". Il l’avait prise en retard de dix minutes, à 6h 40 et avait arrêté la séance à 7h 15 (normalement, c’est 45 minutes)! Elle pouvait tout à fait comprendre qu’il ait eu du retard et qu’il ne veuille pas retarder les patients suivants mais il n’avait pas donné d’explication ce qui était une erreur. "Il fallait en discuter pour que cela soit clair ". Heureusement que son psychanalyste n’était pas lacanien! J’ai hésité longuement (avant de trouver son simillimum qui rendit les choses beaucoup plus simples) à augmenter le prix de la consultation sans une explication valable!

Un de ses plus gros problèmes est son insomnie rebelle qui ne se résout qu’à coups de puissants somnifères. " Comme si je n’avais pas le droit de dormir vu le retard que j’accumule en permanence dans mon travail ". C’est au moment d’établir les notes pour les étudiants que le sommeil est le plus perturbé. En effet, sa grande crainte est de léser un élève en faisant une erreur de jugement; " je veux être parfaitement juste avec eux. Ces somnifères sont en eux-mêmes un problème: ils ont été minutieusement testés étant donné sa phobie des médicaments. D’ailleurs, il n’est pas question que je lui donne un remède sans en préciser le nom, sans qu’elle puisse décider elle-même du jour de la prise et sans que je lui explique pourquoi je le lui donne. " Je préfère ne pas faire d’erreur et vous-même, vous n’avez pas nécessairement tous les éléments pour en juger ".

Lors d’une consultation où son asthme m’avait paru en progrès après Arsenicum, je lui avais redonné une dose à ne prendre qu’en cas de rechute, ce qui était une grave erreur psychologique mais m’avait mis sur la piste de son remède. Elle l’avait prise quelques temps après " mais c’était une erreur qu’elle ne se pardonnait pas car, malgré une légère rechute elle aurait dû comprendre que la première dose agissait encore et que, par impatience, elle avait coupé la progression qui se faisait ".
Il y a chez elle un curieux mélange d’ordre et de désordre. Dans son appartement, " c’est le foutoir " et pourtant, sur des détails, elle devient complètement obsessionnelle. Dans ses relations avec les gens aussi d’ailleurs: elle investit exagéremment sur quelqu’un puis, à la moindre anicroche, demande à l’autre de s’expliquer et mène le pauvre dans ses derniers retranchements. Eventuellement, " l’autre doit réparer le préjudice qu’il m’a causé ".

Elle a très vite le sentiment de rejet de l’autre ne fût-ce que s’il n’adhère pas à ses idées. Rien de plus dur pour elle que d’inviter un ami au cinéma et que le film ne l’emballe pas. Elle l’a sûrement déçu et il doit se dire qu’il s’est trompé sur elle!
Elle a peur des hommes depuis toujours. Sans parler du mariage qui l’angoisse beaucoup, " par peur de l’étouffement " (comme d’ailleurs en métro, en avion, dans le noir, en groupe pendant plus de deux heures, lorsqu’elle avale un médicament et, bien sûr, pendant ses crises d’asthme).
Ce qui lui est le plus insupportable est d’être déçue d’elle-même comme lors de cet examen réussi avec quatorze sur vingt mais où elle avait fait une faute absurde. Elle se voudrait infaillible. " Je m’acharne sur mes failles, je suis ma propre proie ". D’ailleurs, elle s’en veut terriblement " de ne pas me donner les bonnes infos ". Elle aimerait briller plus, ne se satisfait pas " d’être dans la moyenne ", non pour les autres mais pour l’image qu’elle voudrait avoir d’elle-même.
Son dentiste ne lui convient pas mais elle n’ose pas le quitter car c’est son psychanalyste qui lui a donné l’adresse (et cela voudrait dire qu’il s’est trompé, n.d.r.).

A partir de Nitricum acidum, elle va rapidement guérir de son asthme, de son eczéma et de tous ses troubles. Son insomnie va se résoudre progressivement. Un autre personnage apparaît, plus gai, plein d’humour, débarrassé de ses angoisses et de son mal de vivre. Lors de la dernière consultation en janvier, en vue de ce congrès, je lui demande quelques précisions sur elle-même qui pourraient m’aider à présenter son remède. Voici ce qu’elle me dit:

" Mon vécu de la petite enfance est toujours là, présent comme une mémoire cellulaire. Je n’oublie pas. J’ai vécu des désaccords familiaux peu importants en soi mais sans jamais d’explications et j’en garde l’empreinte négative. Jusqu’à Nitricum acidum, je vivais comme si j’étais coupable tout en sachant que je ne l’étais pas. En fin de compte, je crois que j’ai un besoin terrifiant de vérité ".
Dans la matière médicale, en plus du symptôme classique de colère sur ses erreurs, d’autres symptômes nous éclairent sur cette idée de justesse, de vérité propre à la quête de Nitricum acidum: entre autres, l’atteinte préférentielle des zones muqueuses limites de la peau (orifices) ou zones frontières (la vérité est tellement proche de l’erreur), la méticulosité pour des détails et la notion d’écharde qui sous-tend l’idée de point extrêmement précis (c’est précisément là et pas un millimètre à côté, " au poil près ").

Nitricum acidum se sent coupable d’erreur par rapport à la vérité, à la justesse des choses (qui est son but ou plutôt son désir). Car il a la mémoire d’une vérité qui n’a pas été respectée (" comme s’il était engagé dans un procès ou une controverse "). Ce procès paraît plus lié à une vérité des faits à découvrir qu’à une notion de culpabilité qui le concernerait directement.
Il ne se pardonne pas ses erreurs ni celles des autres. On peut apparemment parler à ce propos de culpabilité et de rancune mais pourtant, si on s’en réfert à ma patiente, cette rancune pour l’autre ou cette colère sur elle-même tombent dès l’instant où la vérité est retrouvée, où le pourquoi est compris!

Comment Nitricum acidum pourrait-il donc s’immuniser au mieux contre l’erreur? En prenant par exemple de multiples précautions concernant sa santé ou dans tout autre domaine. Mais il n’y arrive pas toujours parfaitement et ainsi la plupart des patients Nitricum vous disent: je suis tombé malade mais c’est ma faute, j’avais mangé de façon peu diététique, je m’étais couché trop tard, je n’avais pas pris les précautions normales en plein hiver etc. Par sa nature même chimique Nitricum tend à se protéger de ses éventuelles insuffisances. Quand l’acide nitrique est en contact avec la peau, il en détruit les couches superficielles et les jaunit mais, en en coagulant les protéïnes, il crée dans une certaine mesure une barrière à son action ultérieure, différant en cela de l’acide sulfurique. Il se durçit lui-même.
Pour faire un jeu de mot, on pourrait parler de " nithridatisation " contre l’erreur!

Chez Nitricum acidum, le désir fondamental est de décrypter l’erreur, l’erreur en soi et donc de rechercher la justesse des choses dans toute leur vérité, dans toute leur précision et toutes leurs nuances tant pour lui-même que pour les autres. Ceci correspond non seulement au cas que je vous ai relaté mais à tous les autres cas que j’ai rencontrés. Si j’essaie, comme j’ai tenté de le faire, d’aller plus loin dans la compréhension de ces cas, je tombe dans le domaine de la spéculation et m’écarte de la ...vérité du patient.
De manière générale, toute pathologie correspond à l’excès (ou à la perte) du désir primordial de l’homme, à la perversion de ce désir par l’outrance ou son abandon et ceci selon les modalités spécifiques à la nature propre de ce désir fondamental.
Dans le texte des Proverbes (10,25), il est dit: " le juste est le fondement du monde ". Le juste est donc au-delà des oppositions et des contraires. Il réalise en lui l’unité et rejoint ainsi le règne de la non-dualité, de la réalisation, de l’intemporel (il n’y a plus ce passé qui lui colle à la peau). Le juste est celui qui a mis de l’ordre en lui et peut en mettre autour de lui. Ce cas m’a mis inopinément sur la piste d’une réflexion concernant le concept de culpabilité qui, apparemment, affleure dans beaucoup d’expérimentations faites, pour bon nombre d’entre elles, au dix-neuvième siècle, siècle de moralisme religieux exacerbé. Il m’apparaît qu’au même titre que des symptômes communs physiques sont très justement rejetés lors d’une étude approfondie de matière médicale, de même les manifestations de culpabilité apparaissant lors d’expérimentations (comme lors de consultations) devraient être prises en compte avec grande prudence. Ce sont plutôt les cas où aucune culpabilité ne se manifeste qui devraient être pris en considération! Des rubriques répertoriales comme " anxiety of conscience " n’ont donc qu’un intérêt très limité.

Ces signes de culpabilité font partie d’un égrégore collectif créé, au fil des siècles par la pensée humaine. Cet égrégore a pu grossir démesurément grâce à l’inflation progressive de l’ego humain et correspond à une symptomatologie réactionnelle d’essence fondamentalement égotrophique. Plutôt que de péché et de culpabilité qui en est le corollaire, parlons plus justement de conscience insatisfaite, d’erreur de trajectoire. La dynamique de la recherche de la Connaissance (et donc de l’Amour) me paraît bien plus propre à faire évoluer l’homme vers son point oméga que la voie du péché et celle du sacrifice.
J’ai toujours considéré cette histoire de péché originel avec un certain sourire. Ce concept (car pour moi il ne s’agit que d’un concept théologico-intellectuel) m’apparaît surtout comme une croyance, une construction essentiellement humaine véhiculée au fil des temps par un inconscient collectif puissant. Et cette croyance inutile, falsificatrice (dans le sens où elle nous mène sur de fausses pistes d’inertie, nous détourne du moteur de l’amour salvateur) sous-tend bien sûr le concept de culpabilité. A ce propos, je me sens sûrement plus proche de Spinoza. Dans les deux premiers chapitres du Traité Politique, il explique, ce qui me paraît évident et essentiel, que quelque chose qui existe par Nature existe également en Droit. Ce qui n’est pas le cas du Péché Originel. Bien sûr, Spinoza se heurtait déjà aux théologiens de son époque puisqu’en tant que marrane il fût excommunié par les deux églises!

L’esprit est dans l’Etre et non l’inverse. Il est une des limitations de l’Etre. Il n’y a pas cet Esprit orgueilleux et absolu en dehors de l’Etre et qui s’impose à lui, source d’idéologie totalitaire. C’est toute la tendance des monothéismes qui figent l’Etre dans un arbitraire comme le fait l’idéologie matérialiste actuelle. Etre, c’est être en soi, être dans sa Nature, dans sa vraie Nature.
Je pense que la culpabilité, même si nous y sommes le plus souvent englués, est en dehors de notre vraie Nature et correspond à la manière masquée, camouflée avec laquelle notre ego manifeste sa recherche de toute-puissance liée à la recherche d’une perfection inatteignible. L’idée de sacrifice est de même inspiration. Puisque je suis en voie d’atteindre la perfection, je ne suis pas encore, dans l’instant, satisfait de moi, je me sens coupable. D’autant que j’ai ce poids qui m’est imposé de la faute originelle avec laquelle je dois me débattre, qui m’entrave dans une relation inextricable de cause à effet.
C’est tout le procès de Kafka dans lequel le personnage principal découvre qu’il n’est pas coupable! Sa culpabilité s’effondre comme une pseudo-construction de l’esprit.

Je pense qu’il était utile de réouvrir le débat pour que la recherche homoeopathique conserve, même sur le plan théorique, son caractère universel, non teinté d’idéologie. Mon impression est que la toute-puissance de la pensée thomiste a trop tendance à bétonner le terrain doctrinaire par ses constructions intellectuelles imparables qui sont comme des rets dans lesquels les remèdes homoeopathiques s’emprisonnent en même temps que leurs prescripteurs. Saint-Thomas aurait, paraît-il, le monopole de la foi. Tant qu’à faire, je préfère le: " aime et fait ce que tu veux " de Saint-Augustin qui cherche à retrouver Dieu au travers de l’intériorité du sujet et non par la méditation hasardeuse de sa nature.
La seule vérité qui tienne, inaltérable et inattaquable, est tout simplement l’amour ...et l’humour!