Philippe SERVAIS 

                 
                La Vie sinon rien!



Claire, née en 1948 dans une grande ville du Nord, a toujours été, par tradition familiale, soignée par homéopathie et a, au cours de sa vie, fait perdre leurs cheveux à un certain nombre de confrères unicistes ! Mon vieux maître Lincz, qui l'a suivie toute sa jeunesse, disait d'elle, paraît–il, lorsqu'elle   avait 20 ans, que c'était un «épassé» avec ce que cela sous–entend de perplexité! Je l'ai «écupérée» en 2000 et n'ai trouvé la (vraie ?) solution qu'en août 2004. Il faut dire que ma tâche a été quelque peu facilitée par le fait d'avoir reçu de la patiente la liste de tous les remèdes prescrits par quatre confrères très compétents successifs (certains remèdes ayant bien sûr donné des résultats partiels ou temporaires sur telle ou telle pathologie au fil des ans). Tous les remèdes «» ou répertoriables semblaient avoir été prescrits!
Cette patiente fait partie de ces malades qui, inlassablement, passent d'une affection à l'autre sans discontinuer. Jamais, il ne s'agit de maladies vraiment graves ou lésionnelles mais plutôt de troubles fonctionnels chroniques douloureux ou handicapants. Je crois que le plus simple est de vous en donner d'abord la liste, sûrement non exhaustive!
Troubles digestifs divers et variés, permanents, particulièrement colitiques (diverticulose) et hépatiques. Au fil de ses voyages, la patiente a ØchopéØ toutes les variétés de microbes et parasites locaux des pays concernés. Elle a ainsi beaucoup fréquenté les services des maladies tropicales qui, heureusement, n'ont jamais trouvé ni filariose ni bilharziose! Elle a été opérée d'hémorroïdes très douloureuses et souffre de fissure anale récidivante depuis dix ans.
   
Troubles gynécologiques. Si quelqu'un a vu arriver la ménopause avec soulagement, c'est bien elle! Elle a souffert tant de dysménorrhée (les règles, douloureuses, ont toujours été accompagnées de douleurs lombo–sacrées, de nausées, de diarrhée et de céphalée) que d'un fort syndrome prémenstruel. Elle connaît par cœur tous les antibiotiques et autres antifongiques du Vidal pour ses vaginites et cystites à répétition («û en faire plus d'une centaine avec seulement deux pyélonéphrites» me dit–elle!). Elle a eu une fille vers 26 ans, sans problème ni de grossesse ni d'accouchement. Seul le dernier remède la soulagera de bouffées de chaleur pour lesquelles elle avait tenté durant six mois des hormones très mal supportées.

Migraines et névralgies. Toute sa vie a été ponctuée de migraines terribles qui la mettent hors jeu pour quarante–huit heures. A cela, s'ajoute des crises périodiques d'algie faciale. 
ØSpasmophilieØ et tétanie. Depuis toujours, crises régulières d'intensité et de forme variable.
Troubles cutanés. Elle a toujours eu une «» et son plus gros problème a été une acné rosacée à partir de quarante–cinq ans dont seul le dernier remède l'a débarrassée. Ajoutons des crises d'herpès labial et anal.
Troubles dorsaux. Dès l'âge de trente ans, elle a souffert du dos comme toute sa famille et a dû fréquenter assidûment les ostéopathes. 
Troubles O.R.L. Sinusite aigue une à deux fois par hiver. Rhinite allergique au printemps et à la poussière. A dû subir des curetages gingivaux.
Fragilité psychologique. A vécu toute sa vie dans l'angoisse et l'anxiété avec, régulièrement, des accès dépressifs que seule la présence alarmée de ses proches peut soulager.


Mais, me direz–vous, quelle vie diminuée cette femme a–t–elle dû avoir, qui a passé son temps dans les cabinets médicaux, les hôpitaux et les services d'urgence !
Le comble, c'est qu'au travers de tout cela, elle a toujours eu en fait une vie riche, passionnante et aventureuse!

Intellectuellement brillante, agrégée de lettres modernes et de littérature, elle est devenue, après avoir été assistante à l'université, conseillère culturelle pour l'étranger auprès du Ministère de la Culture ou des Affaires étrangères, ce qui explique qu'elle ait vécu vingt–cinq ans hors de France, tant en Afrique qu'en Amérique du sud qui est son continent de prédilection. Sa dernière mission a consisté à aider le gouvernement paraguayen à créer … un ministère de la culture. Dans chaque pays où elle a vécu, elle s'est installée comme si elle allait y passer le reste de sa vie, se trouvant un lieu d'habitation simple, proche de la population mais exceptionnel par la qualité de l'environnement naturel. Ses grandes capacités de communication lui ont permis de résoudre pas mal de problèmes diplomatiques entre la France et les pays concernés (elle a souvent été ØutiliséeØ par le quai d'Orsay pour aplanir des petits différends diplomatiques) et l'ont également servie pour se faire un réseau de vrais amis partout dans le monde.
Et pourtant, sur le plan personnel, tout est en permanence vécu dans la plus extrême tension et la plus grande dimension dramatique ! 
Cela se voit d'ailleurs dans son expression. Les yeux s'écarquillent par moment laissant entrevoir comme un état de frayeur mal contenue. Son visage est buriné non par le temps mais par les froidures et vicissitudes de la vie.
Le mouvement est permanent chez elle, je dirais même perpétuel. Non seulement elle court à gauche et à droite avec ce besoin de faire mille choses mais surtout, elle «à fuir» selon son expression. D'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, «cherchant désespérément le lieu idéal, l'endroit de la planète où elle pourra enfin s'arrêter parce qu'elle y sera bien». Elle a cru le trouver au Sénégal où, pour rester sur place après une mission, elle s'est fait nommer professeur à la Fac. Mais non, finalement, avec le temps, ce n'était pas cela ! Puis il y a eu le Chili et là, elle a carrément acheté une jolie maison le long de l'océan. Mais là non plus elle n'a pas trouvé la paix !
Sa vie est à tous égards aventureuse. Elle s'est entichée et a vécu successivement avec un artiste un peu déjanté qu'elle a suivi en vingt–quatre heures en Uruguay (laissant un mot sur la table de nuit de son premier et unique mari pour le prévenir de son départ précipité !), avec un architecte américain aux projets fous qui la rendait malade de jalousie, avec un énarque leucémique épris de sadomasochisme (qui l'entraînera un moment dans les chambres obscures …). Le père de son enfant n'a été qu'un amant de passage …
Et tout cela, la peur au ventre et sa fille adorée sous le bras (jusqu'au moment où celle–ci, devenue grande et prenant son indépendance, une fois son diplôme de géographe et d'urbaniste en poche, lui échappe pour, elle–même, sur les traces de sa mère, vivre dès 25 ans au Chili, en Pologne etc.!). Mère et fille s'entendent à merveille et se croisent, se retrouvent, vivent quelques semaines ensemble, se donnent rendez–vous pour un week–end à Séville ou Guayaquil ! Tout cela dans l'angoisse, celle du lendemain, dans la peur de ce qui pourrait arriver (elle se sent toujours comme menacée par quelque chose), dans la peur de l'accident pour elle (ce qui ne l'empêche pas de traverser les Andes sur un camion, de prendre bien souvent des risques excessifs!) ou pour ses proches (avec une vraie phobie des sirènes d'ambulance et de pompier), dans la souffrance vis–à–vis des atrocités et des misères du monde («j'assume mieux la peur physique au Salvador que la misère du quart–monde dans le métro parisien»). 
Ses rêves ? Une spirale qui l'aspire, des batailles, des revendications, le travail. 
Ses peurs ? Les chiens, les endroits clos, la chaleur forte (qu'elle n'a jamais physiquement supportée alors que sa vie l'a toujours menée vers les pays tropicaux ! «J'ai besoin de vent et de fraîcheur mais avant tout de soleil ).
Le principal leitmotiv de sa vie pourrait se résumer à ceci : recherche éperdue de beauté et d'harmonie. Beauté des espaces, des lieux, des maisons, des intérieurs, des gens et des âmes (elle me fait des descriptions émouvantes de certains indiens des Hauts Plateaux). Harmonie des environnements naturels et des êtres. Elle ne peut viscéralement pas vivre dans le laid ni dans la méchanceté («je cherche de plus en plus des endroits où les gens sont gentils») et a une vraie aversion pour l'injustice. Cela explique son état de rébellion permanent.
«J'ai toujours eu un sentiment d'errance et une impression de non–sens du monde qui m'entoure. Par moment, je me sens comme un robot, je n'ai plus accès au monde extérieur qui m'apparaît banal, vulgaire, où je n'ai pas ma place. Je suis moi–même à l'extérieur, comme étrangère, dans une atmosphère à la Wim Wenders. Et c'est alors que mon côté autodestructeur peut prendre le dessus et m'entraîner vers des abîmes de détresse».


A partir de la prise du remède (répété quatre fois en deux ans et demi : 200, 1000, 10.000, 10.000), progressivement, tous ses troubles vont disparaître. Les deux premières doses seront suivies d'un épisode d'aggravation (particulièrement sur le plan intestinal) d'à peu près quinze jours. A l'heure actuelle, elle s'étonne elle–même d'avoir de plus en plus «le corps silencieux» et de pouvoir enfin vivre dans une certaine sérénité.


Ainsi, une fois de plus, se confirme la thèse que je développe depuis longtemps selon laquelle l'essence même du simillimum s'inscrit dans l'histoire de l'individu. Au–delà des symptômes qu'elle présente, en simplement me racontant sa vie, cette patiente m'a raconté son remède.


Entièrement d'accord avec lui, je ne pourrais mieux faire que de reprendre ce qu'a dit de ce remède Jacques Lamothe qui en avait une grande expérience chez les enfants :
   
Le symptôme central réside, à notre avis, dans "désir de voyages", car c´est lui qui traduit le mieux l´instabilité existentielle de ce sujet, qui subit des compulsions à constamment chercher son bonheur ailleurs, comme s´il ne pouvait jamais se contenter de ce qu´il a. Ainsi, se trouvent expliquées autant l´agitation physique de l´enfant que le désir de voyages, de drogue ou de "gourou" de l´adolescent. Il est victime d´un perpétuel besoin d´évasion du réel, qu´il ne supporte pas et auquel il est beaucoup trop sensible. Le dur labeur routinier, la lutte pour la vie le font fuir ... dans un monde de rêve (si bien décrit par les romantiques du XIXe siècle), où il sait parfaitement se réfugier. Sa quête permanente du bonheur mythique    " ailleurs " pourrait ainsi correspondre à un problème de perte d´objet idéal, ou encore une blessure narcissique originelle. Devant l´impossibilité d´atteindre un tel idéal, le sujet se déprime profondément et c´est la phase de dépression anaclitique (avec son "vague à l´âme"), pouvant se manifester de façon critique ou en toile de fond. Ainsi, le changement va dominer la vie et colorer tous les symptômes. Kent parle d´alternance de tuberculose et de folie, "qui sont des états convertibles l´un en l´autre". Le monde actuel, aseptisé, lui barre la route de la phtisie, aussi ne reste–t–il à son corps d´autre voie que l´allergie, cet "autre" mal, fléau social autant à la mode que la tuberculose au siècle dernier et qui est, en fait, une anergie et une expression symbolique de sa dépression et de son intolérance hyperergique à son environnement. D´autres troubles immunitaires, comme les infections ORL–respiratoires à répétition peuvent se rencontrer : ce ne sont que des expressions mineures de la même défense, et ils peuvent d´ailleurs faire le lit de l´allergie. 

Aussi, la fragilité aux agressions physiques et psychologiques va caractériser ces individus, symptôme de l´intolérance au monde réel, à la dure loi de la vie (physique et psychique), d´où leur "mal à vivre" et leur "mal de vivre"... 
 Enfin, il est amusant de remarquer que, si le sujet aime les voyages, les déplacements en altitude extrême lui sont nuisibles ! En effet, il est aggravé à la mer (altitude zéro), aggravé en haute montagne et amélioré en moyenne montagne ! Ce qui semble suggérer que le juste milieu lui est bénéfique et préférable tant aux hauteurs de l´illumination qu´aux abîmes de la dépression.