Ph. SERVAIS  



Les maladies auto–immunes : une identité en péril ?
Entretiens internationaux de Monaco. Novembre 1999 ; Monaco, France.




Il n’existe rien dans le monde dont on ne risque ôt plusieurs fois qu’une ’homologue, sous une forme attendue ou sous une autre, d’abord déconcertante, mais qui, à l’examen, s’avère y correspondre terme à terme…



Roger Caillois

Le champ des signes



   
La notion de maladie chronique en homéopathie ne recouvre pas exactement celle définie par la médecine académique. Tout d'abord, parce que l'homéopathie considère que, sauf à se présenter comme une pure maladie aiguë – c'est–à–dire apparaître assez soudainement puis disparaître rapidement et spontanément quel que soit le traitement ou l'absence de traitement –, tout désordre qui dure ou simplement se réactive régulièrement  est par définition chronique. Ainsi, l'existence d'angines ou de cystites à répétition signe pour nous, médecin homéopathe, une maladie chronique. Celles–ci ne se résument donc pas à l'asthme, le diabète, les rhumatismes, la sclérose en plaques etc. En outre, nous ne limitons pas cette notion à l'existence de troubles objectifs (fièvre, troubles fonctionnels mesurables, lésions organiques) mais nous élargissons le champ de la chronicité à tout malaise créant un inconfort chez le patient et présage éventuel à l'apparition d'une "vraie maladie". Ceci signifie que nous prenons en compte toute manifestation objective ou subjective rendant peu harmonieuse l'existence du patient ou par contrecoup celle de ses proches. Des migraines mensuelles, un herpès périodique, des mycoses répétées, un eczéma, une allergie régulière, une dysménorrhée, un syndrome prémenstruel, une transpiration anormale, une impuissance, une hypertension, une constipation, un état d'insomnie, une digestion difficile font partie de ce champs au même titre qu'un état d'anxiété permanent, une dépression larvée, des phobies, des obsessions, un caractère insupportable à l'entourage, une avarice réelle, la méchanceté, la violence etc.
Nous voyons poindre ici cette idée de globalité chère à l'homéopathe. Celui–ci inclura dans son diagnostic spécifique tous les éléments dissonants, faussement appelés symptômes (on devrait plutôt parler de signes), apparaissant dans la vie de l'individu et ceci, quelle qu'en soit la nature. 
Ainsi s'estompe cette notion de dualité corps/esprit, artificielle et réductrice, propre à la science mécaniste qui, selon l'expression d'Agnès Lagache, "n'est pas un dualisme réel" c'est–à–dire dynamique et interactif mais plutôt "une juxtaposition contradictoire de deux monismes" entre lesquels il n'y a ni lien ni médiation possible.


Comment l'homéopathe abordera–t–il son patient dans cet esprit de globalité ? Là aussi, il nous faut apporter un certain nombre de nuances. En effet, au sein même de la réflexion homéopathique, existent plusieurs manières de considérer les choses. L'idée de globalité se complète en homéopathie de la notion de similitude entre des substances expérimentées et des individus malades. Or, qu'observons–nous ? Selon l'état d'esprit ou la philosophie du médecin, selon les possibilités pratiques en consultation, selon le type de stratégie adoptée, selon la collaboration ou non du patient, selon le niveau de sa demande, selon les symptômes pris en considération (valorisation, hiérarchisation des symptômes), selon l'urgence à agir, selon même l'inspiration ou la perspicacité du thérapeute, des similarités différentes avec des remèdes seront trouvées et entraîneront des prescriptions diverses. Je ne parle ici que des cas où un résultat existe mais de valeur très variable. Chez un patient, nous soulagerons simplement une douleur ou remettrons en fonction tel ou tel organe, chez un autre nous supprimerons les plus gros handicaps ou nous obtiendrons une rémission passagère de la maladie, dans certains cas enfin, plus rares peut–être, nous guérirons définitivement et la maladie et le patient qui retrouvera tout son équilibre et sa liberté antérieure. C'est dire qu'en homéopathie plusieurs niveaux de similitude existent. Et qu'un même patient pourra être abordé de diverses manières. Selon l'expression du Dr Pierre Schmidt, l'homéopathie est généreuse c'est–à–dire qu'elle autorise souvent une technique d'application hasardeuse ou approximative et cependant satisfaisante quant au résultat obtenu. Cette observation est surtout valable dans les situations pathologiques simples ou ponctuelles où un "coup de pouce" suffit pour résoudre le problème. Nous avons tous remarqué que, face à certaines affections aiguës, plusieurs remèdes "marchent" (que dans une angine aiguë simple Mercurius ou Phytolacca sont bien souvent efficaces, par exemple). Ce fait est parfaitement explicable par la doctrine. Une similitude approximative suffit à résoudre un certain nombre de cas. De même dans les maladies chroniques, un remède prescrit sur une similitude organique, sur une similitude locale, sur une similitude même psychique exerce visiblement un effet très positif, souvent même bien supérieur à ce que l'allopathie pourrait obtenir. Il suffit quelquefois de deux ou trois doses d'un remède par an, à diverses dynamisations, pour lever la souffrance ou les troubles d'un patient. Heureusement d'ailleurs puisque ces cas représentent la majorité de nos succès. Nous guérirons ainsi un ulcère duodénal récidivant, une arythmie cardiaque, une colique chronique, une colibacillose urinaire répétitive, un rhumatisme handicapant, un eczéma chronique, une migraine périodique etc. Nous allégerons un asthme rebelle, une hypertension excessive, une insomnie gênante etc. 
   
En regard de ces faits incontestables, nous obtiendrons aussi quelquefois des réussites spectaculaires face à des maladies graves alors que dans d'autres cas, sans trop savoir pourquoi, nous échouerons lamentablement. Dans ces dernières circonstances, nous aurons tendance à échafauder des justifications théoriques à notre insuccès telles qu'un "barrage" dû à une vaccination malheureuse, l'effet pervers d'un traitement allopathique, l'incurabilité du cas etc. Là est la limite, dans ces cas, de l'homéopathie. 
   La question que je pose qui, dans le cas des maladies auto–immunes, est capitale et à laquelle la suite de mon exposé va tenter de donner un début de réponse est la suivante : ne s'agit–il pas, quelquefois, non de la limite de l'homéopathie mais, plutôt, de la limite de l'homéopathe ?
   Le problème est simple. Soit l'homéopathie a dans l'absolu des limites précises qu'on pourrait par exemple assimiler à la frontière du fonctionnel et du lésionnel, soit elle ne connaît pas, toujours dans l'absolu, de limite aussi franche à son action et sa puissance curative s'étend à la totalité du champ de la pathologie.
   Les faits d'observation contredisent la première hypothèse puisque nous observons quelquefois (même si cela n'est pas fréquent) des guérisons complètes dans des situations les plus gravissimes. La question posée est alors celle–ci : pourquoi dans certains cas sommes–nous ainsi bridés dans nos possibilités alors que dans d'autres, nous pouvons reculer bien plus loin les frontières du possible ?
   

Quelques réflexions de doctrine vont nous aider à comprendre. Un organisme vivant, s'il est unique dans son essence, perd, au fur et à mesure du développement et de l'évolution de son déséquilibre, progressivement, de sa spécificité. En effet, si le désordre de départ est d'ordre énergétique (comme l'a tant répété Hahnemann) ou, comme le suggère Madeleine Bastide, d'ordre informatif et donc totalement fonction de sa propre "fréquence vibratoire" toute personnelle, à nulle autre pareille, ce désordre met en marche un processus réactionnel (chaînon métabolique pathologique) qui, lui, s'inscrit dans un contexte organique commun à tout le genre humain. La maladie, au départ d'essence subtile, "s'incarne", oserai–je dire, immédiatement et, de réaction en réaction, crée le désordre fonctionnel puis lésionnel. Or, à ces stades ultérieurs, l'organisme vivant s'exprimant par ses symptômes n'a plus rien de spécifique. Si, dans la manière d'exprimer une sensation ou une angoisse ou dans un rêve, un individu se distingue encore de ses paires, il perd son originalité et sa spécificité dans l'expression symptomatologique de son entité nosologique. Entre ces deux pôles extrêmes, tous les gradients de spécificité et de non–spécificité sont possibles. A chaque stade du chaînon morbide sont entremêlés symptômes spécifiques et communs. Ce qui devrait intéresser l'homéopathe est de décrypter les symptômes qui expriment l'essence de l'individu c'est–à–dire ce qui le rend différent des autres. Or, plus il se penchera sur la maladie elle–même et sur son expression moins il aura de chance de dégager le bon grain de l'ivraie. Au stade du dysfonctionnement organique et plus encore au stade de la lésion, l'humanité entière présente, face à une entité nosologique donnée, les mêmes réactions, la même symptomatologie. Toute la médecine allopathique est basée sur ces notions réductrices.
   
Or, lorsqu'un remède est expérimenté (selon la technique d'expérimentation sur l'homme sain propre à l'homéopathie), le même phénomène s'opère. Pour peu que l'expérimentateur soit sensible à la substance, il ressentira "l'imprégnation énergétique" du produit et l'exprimera éventuellement sous forme de sensations particulières puis entrera dans le processus réactionnel face à cette agression provoquée et développera une symptomatologie pathogénétique de moins en moins spécifique, de plus en plus banale, de plus en plus commune avec d'autres remèdes. Bien sûr, à quelque niveau de la hiérarchie morbide que nous soyons, la substance pourra manifester également son génie en surimpression mais souvent de manière assez discrète en comparaison des signes grossiers et peu spécifiques. Il va sans dire donc que les symptômes les plus "homéopathiquement" valables seront ceux qui ne sont apparus que chez très peu d'expérimentateurs ou même chez seulement l'un d'entre eux. Là se trouve la signature inimitable et unique du remède ! Cette idée va, je sais, à l'encontre des opinions habituelles mais, pourtant, elle est dans la pure logique de la doctrine. 
   Or, qu'observons–nous souvent dans la pratique ? Nous prescrivons sur des symptômes réactionnels, non réellement spécifiques même s'ils le sont infiniment plus qu'en médecine allopathique. Nécessairement donc, nous nous trouverons à prescrire régulièrement une trentaine de remèdes dits polychrestes qui sont ceux dont la similitude symptomatologique correspond à la spécificité non de l'individu mais du genre humain. Nous obtiendrons donc un effet positif mais n'agissant pas sur la "fréquence" idéale, nous nous limiterons à un effet palliatif. Les vétérinaires vivent ces faits quotidiennement, parait–il. Ils savent, par exemple, que telle race de chien réagit très bien à tel remède alors que telle autre race n'y est pas sensible.
   

L'homéopathie a la réputation de n'aborder et de ne traiter de manière efficace que les pathologies dites fonctionnelles ce qui implicitement voudrait dire les affections à caractère transitoire, aléatoire, éventuellement psychosomatique, ne mettant pas en jeu l'équilibre profond de la santé d'un individu. Et, dans le cas même où l'homéopathe aborde les pathologies plus graves ou plus lésionnelles, on considère qu'il n'intervient que comme adjuvant aux thérapeutiques "plus sérieuses", je veux dire allopathiques. Or, paradoxalement, ce sont justement ces affections chroniques graves que l'allopathie est incapable de traiter ! J'entends par–là une guérison réelle, définitive et non une simple suppression de symptômes ou un "accompagnement" thérapeutique à long terme.
   Si la loi homéopathique de guérison existe, il n'y a aucune raison de pouvoir être efficace en termes de guérison réelle dans certaines maladies sinon graves du moins inconfortables et non curables par la médecine officielle et d'être inefficace dans d'autres affections sous prétexte qu'elles sont considérées comme plus sérieuses. 
   
Fort de ces considérations, je me suis penché depuis plusieurs années sur ces pathologies chroniques handicapantes mettant en danger l'équilibre fondamental de l'individu.Et tout particulièrement les maladies auto–immunes. Ayant repris sous un angle plus global l'étude des pathogénésies de très nombreux remèdes, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il devait y avoir réellement similitude fondamentale entre un individu avec sa dynamique propre et un remède homéopathique, soit déjà découvert dans les deux mille produits utilisables soit non encore trouvé. En effet, il m'a paru de plus en plus improbable, si l'on croit au principe d'individualité, qu'une palette d'une trentaine (ou une cinquantaine) de remèdes de base suffise à couvrir la globalité et la totalité des individus. Je pense que les soi–disant "grands remèdes" (ou polychrestes) correspondent en fait essentiellement à des similitudes types de la race humaine, soit constitutionnelles, soit pathologiques et non pas nécessairement à des individualités. Ce qui est frappant en réétudiant les pathogénésies, c'est que des quantités de substances expérimentées manifestent des symptômes sur la totalité de l'individu et non pas uniquement sur tel organe ou telle fonction. En particulier, beaucoup de remèdes dits petits remèdes expriment une symptomatologie psychique très personnalisée.

La similitude ne peut être simple identité morpho–psychologique.



Vu les difficultés rencontrées pour obtenir une action totalement curative sur les maladies auto–immunes malgré les diverses stratégies essayées, j'ai décidé de partir du nouvel a priori suivant : si un organisme se laisse ainsi "envahir" par une affection chronique sérieuse, mettant en péril son équilibre vital, c'est qu'il est atteint dans ses racines les plus profondes et les plus personnelles et seule une substance en parfaite harmonie, en parfaite similitude avec lui sera capable de lui porter un secours essentiel. Il faut donc parvenir si possible à cerner ce qui dans cet organisme est le plus essentiel, ce noyau dur très personnel, cette vulnérabilité de laquelle pourra découler la pathologie en cause, qui est elle–même beaucoup moins individuelle dans son expression apparente (toutes les P.C.E. se ressemblent à première vue). Cette individualité à débusquer, en amont des apparences, pourra se manifester de multiples façons. Il s'agira par exemple d'un symptôme très particulier non pathognomonique de la maladie ou encore d'un mode de comportement très personnel dans la vie de l'individu. Seuls ces genres de manifestations signeront la vulnérabilité primaire du patient. Je cite souvent ce cas de névrite radiale chronique guérie par Lac caninum dans lequel le patient ne supportait absolument pas que ses doigts se touchent : ce symptôme correspond précisément à la problématique profonde de ce remède qui ne peut pas "se voir en peinture", se dégoutte lui–même, a une image totalement dévalorisée de lui.

Il s'agit de trouver, parmi les symptômes, ceux qui sont les plus expressifs, les plus spécifiques au patient que nous avons devant nous, symptômes caractéristiques, rares, singuliers, surprenants, différents de ceux d'un autre individu dans les mêmes circonstances pathologiques. En un mot, il convient d'approcher au plus près l'individualité du patient en ayant à l'esprit que l'individu exprime son individualité en toute circonstance, même lorsqu'il est en parfait équilibre de santé ! En outre, il importe de savoir que pour exprimer la globalité du patient, ces symptômes particuliers doivent, dans la mesure du possible, s'articuler entre eux selon une thématique commune donnant "sens" à l'ensemble. On peut alors parler de haut degré de similitude. 



Qu'en est–il des maladies auto–immunes ? Celles–ci sont hélas devenues monnaie courante dans nos sociétés. On ne meure plus rapidement de maladies aiguës mais on se ronge lentement d'affections chroniques graves considérées comme incurables par l'Académie de Médecine. Une approche différente de l'homme malade est plus que jamais indispensable.

De même que notre société sécrète un conformisme de bon aloi contraignant de plus en plus à une pensée unique en tout domaine et faisant fi de toute individualité, de même sécrète–t–elle, en correspondance, sa propre pathologie nouvelle qui est de même nature. 
En effet, la maladie auto–immune n'est pas autre chose qu'une pathologie de l'identité. Je pense que les immunologistes ne me contrediront pas : dans ce type d'affection, l'organisme ne distingue plus l'étrangeté, ce qui est soi de ce qui est différent de soi. Ils l'expliqueront mieux que moi.
Le rôle du médecin, s'il le peut, est donc d'aider l'individu à se retrouver, à retrouver son soi propre et donner à son réseau immunitaire l'information qu'il a perdue. Or, sur ce sujet, l'homéopathie est reine puisque c'est même, fondamentalement, par ce biais qu'elle agit.



Quelques exemples. 


Dans les cas que je vais citer, le patient, à chaque fois, a suivi d'abord sans succès des traitements allopathiques et s'est tourné ensuite vers l'homéopathie. Dans tous ces cas également, les remèdes homéopathiques apparemment les mieux indiqués, prescrits selon des critères classiques, ont échoué. Enfin, les patients sont tous considérés, avec le recul nécessaire, comme guéris et ne nécessitent plus de traitement.

Il serait beaucoup trop long de décrire ces cas par le menu. Je voudrais juste vous indiquer la voie suivie. Elle vous apparaîtra sûrement inattendue.



Patrick, étudiant, a vingt–quatre ans lorsqu'en janvier 90 il est hospitalisé pour une dermatopolymyosite (maladie auto–immune grave et incurable).

Dès la deuxième semaine d'hospitalisation, devant les signes de myocardite, le patient est mis sous 80mgs/jour de Cortancyl (cortisone).
   Le diagnostic est le suivant : dermatopolymyosite avec atteinte myocardique, pulmonaire, œsophagienne et oculaire (en plus de l'atteinte cutanéo–muqueuse et musculaire primaire).
   
Lorsque le jeune homme vient me consulter en novembre 90, soit dix mois après l'hospitalisation, le bilan clinique est le suivant : la prise quotidienne de cortisone a diminué l'intensité de la symptomatologie mais le patient ne peut absolument pas descendre en dessous de 15 mgs de Cortancyl sans voir apparaître une recrudescence des symptômes. Malgré cette dose de cortisone, il présente une sérieuse perte de force musculaire, des arthralgies, myalgies, des érythèmes douloureux, une grande fatigue, des troubles pulmonaires, cardiaques, une hépatosplénomégalie.

Les remèdes homéopathiques apparemment indiqués resteront sans effet.
Ce garçon, d'origine vietnamienne, se décrit comme très patient, trop franc, peu diplomate, trop confiant ("tout le monde il est beau il est gentil"), jamais anxieux ni même inquiet ("je me fous de tout, presque rien est important"), ne voulant pas entendre parler de problèmes quelconques et particulièrement de problèmes d'argent (il prête comme un seigneur le peu d'argent qu'il a !). Il a des impulsions soudaines qu'il doit satisfaire tout de suite : acheter une voiture, faire du parachutisme, suivre des cours de pilotage etc. Il est audacieux et même téméraire se lançant dans n'importe quoi sans crainte ni état d'âme. Il "ne supporte pas le désordre ni les gens qui ne sont pas rationnels". Je trouve qu'il a même un sacré recul face à sa maladie (ou est–ce de l'inconscience ?) : elle "l'ennuie prodigieusement" mais "essaie d'être au–dessus de ça". Il a une sorte de rire asiatique en en parlant ! Il ne supporte pas d'en parler et "pleurerait presque si on porte sur lui un regard de commisération".

Seuls ses rêves, nombreux et récurrents apparus bien avant sa maladie me paraissent intéressants. Il rêve de toilettes qui débordent (!), de mer et de nage, d'obstacles à franchir pour atteindre un lieu avec des monstres, des serpents surtout qui veulent le mordre etc.êve qu'il vole, qu'il partouze avec toute sa famille (!), qu'il devient un personnage important, est couronné et acquiert des pouvoirs.

Je me mets en chasse d'un remède qui prendrait en compte le sens de ces rêves étranges qui seuls le personnalisent et ont donc une haute valeur homéopathique. Le remède Bovista me vient à l'esprit, d'autant qu'il peut présenter des atrophies musculaires douloureuses. Et je comprends tout à coup la signification des rêves de ce patient qui devient ainsi un personnage cohérent ! Bovista est gonflé d'orgueil et veut occuper une place plus grande qu'il ne lui revient. Dans ses rêves, le jeune homme devient un grand personnage, au–dessus des lois, de la morale élémentaire ; il est couronné, a des pouvoirs, affronte des obstacles... même les toilettes débordent ! Dans la vie, il est comme un seigneur, au–dessus des contingences : il donne de l'argent, il ne connaît ni la peur ni l'anxiété.
   
Il reçoit une dose de Bovista 30ch, en juillet 91 et le résultat est assez spectaculaire. Après une phase d'aggravation physique importante, l'amélioration s'amorce. En novembre 91, il me dit s'être senti et continuer à se sentir infiniment mieux et, forçant l'avis du spécialiste qui le suit toujours, il a arrêté la Cortisone depuis le mois de septembre ! Presque toute la symptomatologie a disparu, même la plus lésionnelle !
Il recevra une autre dose de Bovista 200k le 19 novembre 91.

   Depuis lors, je soigne sa sœur qui me donne régulièrement de ses nouvelles : il me transmet son bonjour et me fait savoir qu'il est totalement guéri, va très bien et n'a plus besoin de me voir !
   
Ce cas force à réfléchir dans la mesure où la solution a été trouvée en dehors des règles habituelles. Pour "oser" prescrire Bovista, il a fallu se référer non à la lettre mais à l'esprit de la matière médicale de ce remède. Si nous relisons tous les symptômes des pathogénésies, nous nous apercevons que l'histoire de Bovista est celle de la fable de La Fontaine "La grenouille et le bœuf" et que, comme tout remède, Bovista correspond à un archétype (ici, brillamment décrit par le poète français). Après avoir, avec d'autres homéopathes, réétudié une centaine de remèdes sous leur angle archétypal, il m'apparaît de plus en plus que c'est ainsi que transparaît le plus haut degré de spécificité d'un remède. Une vision plus "aérienne" du cas et du remède prescrit peut permettre quelquefois d'atteindre un niveau supérieur de similitude, indispensable aux cas rebelles.




Le deuxième cas remonte à 1991 et est celui d'une femme de trente trois ans atteinte d'une polyarthrite rhumatoïde ayant débuté à l'âge de quinze ans. Lorsqu'elle me consulte, toutes les articulations sont atteintes, elle a une déformation importante des coudes, des mains, des genoux et pieds et a déjà subi de nombreuses opérations réparatrices. Elle est sous Methotrexate et anti–inflammatoires bien sûr. Que peut, dans un tel cas lésionnel, l'homéopathie ? Puisqu'il s'agit d'une maladie à la fois très douloureuse et évolutive, le but idéal de l'homéopathe devrait être à la fois de permettre au patient de ne plus souffrir tout en le sevrant progressivement de ses traitements allopathiques et d'arrêter définitivement l'évolution de la maladie et la destruction des articulations. 
   
Toutes les tentatives de recherche basées sur la pathologie elle–même ainsi que deux longues consultations ne m'amènent qu'à des remèdes à tropisme articulaire ou à des remèdes tels que Sulfur, Causticum, Lycopodium qui, de manière évidente, ne correspondent pas à la vraie personnalité de ma patiente. Un seul signe me paraît intéressant : depuis l'adolescence, elle perd ses cils et, malheureusement, c'est nettement visible. Il ne me paraît pas anodin de manifester ainsi son désordre intérieur.
   J'ai la chance, si j'ose dire, de la voir à la troisième consultation en pleine crise inflammatoire aiguë. Elle souffre beaucoup en entrant dans mon bureau mais fait des efforts pour paraître digne et détachée. Aussi suis–je très surpris, lorsque je me mets à lui parler et à lui manifester de la sympathie et de la commisération, de la voir fondre en larmes. Est–ce à cause de la douleur ? Non, me dit–elle, jamais la douleur ne m'a fait pleurer mais c'est ainsi à chaque fois qu'on s'adresse à moi avec sympathie pendant les crises ! A partir de cette réaction de ma patiente, je me mets à orienter la conversation sur la dignité, l'amour–propre et l'orgueil pour voir si c'est en résonance avec elle. Et je m'aperçois que derrière son air discret et doux se cache un caractère très orgueilleux voulant toujours donner l'image d'une parfaite maîtrise de la situation. Elle a un sens des responsabilités vis–à–vis des autres poussé à l'extrême et veut apparaître parfaite et sans faiblesse en toutes circonstances. A cause de cela, elle réagit très mal à tout reproche : s'il est justifié, elle est en colère contre elle–même, s'il est injustifié, elle est également en colère contre l'injustice qui lui est faite mais sa dignité l'empêche de le manifester et sa colère reste donc intérieure. Le personnage qu'elle me décrit fait penser à un seigneur conscient de sa responsabilité vis–à–vis de ses vassaux et désirant agir en toute perfection pour leur bonheur. Elle doit être au–dessus des contingences et au–dessus de sa propre souffrance ! J'ai ici le tableau parfait de Staphysagria et la perte des cils est pour moi un élément de confirmation.
   Elle recevra en trois ans huit doses du remède en différentes dilutions. Ensuite, une dose par an en moyenne. Les trois premières doses sont suivies d'aggravation articulaire (d'abord vingt jours puis dix et huit jours) et les dernières de deux à trois jours seulement. Mais dès la première dose, son état général et nerveux s'est considérablement amélioré. A l'heure actuelle, elle va beaucoup mieux à tous points de vue. Elle n'a plus besoin de traitement allopathique, ne souffre plus ; la maladie n'évolue plus du tout et ne se manifeste même plus. Seules subsistent malheureusement les séquelles mécaniques de ses lésions antérieures.




Le dernier cas est celui d'une patiente de quarante ans atteinte depuis plusieurs années d'une maladie de Basedow. Quelques doses d'Aurum metallicum (qui correspond parfaitement aux symptômes et au "profil" de cette femme) vont permettre d'équilibrer sa thyroïde en arrêtant tout traitement allopathique. Cependant, elle n'est pas guérie puisqu'il est nécessaire de continuer à donner le remède régulièrement et que quelques symptômes comme l'intense rougeur du visage, la sensation de congestion de la tête, la tachycardie (moindre bien sûr qu'au départ), certaines angoisses subsistent de façon rédhibitoire. La question que je lui pose alors est la suivante : quel est, à votre avis, le problème qui vous encombre et que vous n'arrivez pas à résoudre ? A mon grand étonnement, elle me répond "ma mère", "ma relation névrotique à ma mère" ! "J'ai ressenti pendant tant d'années ce désespoir et en même temps cette rage de n'avoir pas pu me faire aimer par ma mère paranoïaque. Je suis, aujourd'hui encore, fusionnelle, l'aimant désespérément et la haïssant tout à la fois. C'est comme si elle me tenait à la gorge et m'empêchait de vivre !". Sachant combien le radical "muriaticum" est caractéristique de ce genre de situation, je décide, en restant proche du remède précédent qui a eu un effet quand même assez spectaculaire, de donner Aurum muriaticum, "petit" remède homéopathique rarement prescrit. Grâce à lui, j'obtiendrai une guérison complète et définitive.



En conclusion, nous pouvons suggérer que toute pathologie est avant tout l'expression d'un désaccord entre l'individu et le chemin spécifique de sa vraie finalité. La maladie auto–immune manifeste de manière intempestive ce grand écart qu'est amené à réaliser tout un chacun pour faire se rejoindre la réalité socio–psycho–culturelle dans laquelle il s'inscrit et son destin propre.



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