Médecine morcelée 

POUR UNE AUTRE CONNAISSANCE DE L'HOMME

Philippe M. Servais


L'association Homoeopathia lnternationalis, est animée par la FPH (Fondation pour le Progrès de l'Homme) depuis plusieurs années dans un double but : aider à l'élaboration d'un vaste programme de recherche qui doit mener à la constitution d'une base de données cliniques permettant l'approfondissement de la thérapeutique homéopathique; d'autre part, favoriser une réflexion sur la science médicale dans le monde actuel et ses perspectives de progrès. Philippe Servais développe ic~ dans le domaine médical, des idées qui complètent et illustrent le propos de Pierre.Calame dans l'article précédent.


La médecine est malade, gravement malade et l'entourage immédiat ne le sait pas encore ou ne veut pas le voir. On parle, au pire, d'une défaillance passagère. Pour y remédier, on met en oeuvre des moyens considérables, malheureusement inadéquats.


L'appréhension et l'étude de l'Homme par la science médicale officielle a toujours été entachée – et aujourd'hui plus que jamais – d'un fâcheux réducé aux connaissances fragmentaires des sciences en général. Le monde médical a toujours cru que l'unique voie d'accès à la physiologie de l'être vivant passait par la compréhension de ses mécanismes élémentaires. Ainsi, selon les grilles d'analyse de chaque époque, est–on passé successiveécanicistes, puis basées sur la thermo–dynamique, la physico–chimie ou, de manière plus élaborée sans en changer l'esprit, sur la biologie moléculaire. Depuis l'éclosion de la médecine moélémentaires s'est considérablement ampliée. A la connaissance de la mécanique du squelette, s'est progressivement ajoutée celle de la mécanique des fluides vitaux, puis celle du fonctionnement et de la raison d'être des organes; enfin, la science a pénétré le monde de la cellule jusqu'à en percevoir certains mécanismes subtils. A chaque niveau de compréhension, un système thérapeutique correspondant a été instauré pour contrer les éventuelles déviances constatées: Et, par une

démarche rationnelle de généralisation extrapolative, à chaque étape d"'intelligence" nouvelle acquise, a correspondu une théorie générale différente de la pathologie. A ce jour, l'hypothèse virale paraît une des principales sources de satisfaction théorique reconnues et, tendant à faire l'unanimité des esprits académiques. Malheureusement, reculant le lieu de l'interrogation jusqu'aux confins de l'inframoléculaire, on ne répond pas plus sur le pourquoi de cette étiologie (cause) nouvelle de la maladie. Le virus est devenu la source de tous les maux, comme la pléthore au dix–huitième siècle, alors que jamais la question n'est posée de savoir si son existence en un lieu ne serait pas plutôt, à nouveau, la simple conséquence d'un désordre en fait d'une autre nature. Désordre non plus localisé et dû à un facteur x issu d'un extérieur hypothétique, mais plutôt à saisir en terme de dysfonctionnement d'un ensemble –l'organisme vivant – non réductible à la somme ou à l'une de ses parties, mû par une dynamique propre dans laquelle interviennent des mécanismes d'interférence, d'inhibition (un processus en marche inhibant temporairement d'autres mécanismes), d'interversion, de permutation (une fonction n'étant pas définie obligatoirement et définitivement), etc... La science médicale devrait sûrement s'ouvrir à l'approfondissement de la Cybernétique.


En d'autres termes, le Professeur Jean Fichefet, mathématicien, nous dit la même chose: ''Depuis plus d'un siècle, la théorie mécaniste de la vie est considérée comme la seule approche scientifique valable. Son optique est que les organismes vivants constituent des machines physico–chimiques, en sorte que les

phénomènes de la vie seraient explicables, en principe, en termes de physique et de chimie... Certains pensent cependant qu'il est impossible d'expliquer tous les phénomènes de la vie 
– y compris chez l'homme – de manière entièrement mécaéories vitalistes défendent–ils l'optique selon laénomènes de la vie dépendent d'un facteur causatif, inconnu des sciences physiques, qui interagit avec les processus physico–chimiques des orga(ndr: globaliste) conteste l'affirmation qu'on puisse expliquer toutes les choses de l'univers par rapport aux propriétés d'atomes ou par rapport à n'importe quelle hypothétique particule de la matière... ".


Une nouvelle ère : celle de la maladie chronique


La médecine se trouve dans une impasse du fait de la mauvaise orientation de sa recherche, de la fausse définition de l'objet de celle–ci. Déployant toute son énergie à contrer la cause apparente et, en fait, aléatoire de la maladie, elle perd de vue la dynamique interactive de l'organisme dans son ensemble. Dans l'esprit du chercheur, l'effet devient la cause. Puisque je vois un virus en tel point, il est nécessairement la cause du désordre observé. Eliminons–le et le problème disparaîtra. Malheureusement, la réalité clinique ne corrobore pas du tout ce type de raisonnement. L'analyse devrait être: je suis remonté plus en amont dans la compréhension du chaînon pathologique, mais n'ayant

toujours pas découvert le primum moyens (le processus primaire) de l'affection observée, je ne puis en tirer aucune conclusion quant à une théraéellement aux causes.


Nous en arrivons donc à cette situation paradoxale, dans la population moélioration du seuil de survie par élimination des situations de crise aiguë, porteuses de mort prématurée (et ceci par suppression médicaécanismes naturels d'autorégulation de l'organisme de refonctionner), sans amélioraême parfois avec dégradation) du niveau moyen de bien–être et d'harmonie corporelle. A une ère d'épidémie et de maladies aiguës se substière de maladie chronique dans laquelle, en poussant l'analyse à l'extrême, personne ne serait plus vraiment malade mais personne en fait ne serait plus réellement en bonne santé. En un mot, la médecine moderne, si elle fait plus ou moins face à la maladie aiguë, demeure, malgré les moyens mis à sa disposition, inefficace sur les maladies chroniques, du moins en terme de thérapeutique étiologique et donc de guérison. Ajoutons même qu'étant donné la brutalité des moyens utilisés pour contrer les sympômes les plus évidents de ces innombrables maladies chroniques, la médeée elle–même une pathologie surajoutée dite iatrogène (due aux traitements eux–mêmes).


L'heure est venue d'une réflexion épistémologique pour ne pas que l'hommeé s'enferme dans une voie sans issue, où l'artifice prendrait le pas sur la nature, par définition plus humaine, plus grandiose et seule porteuse de sens.


Il nous faut donc réfléchir à la recherche médicale et à ses méthodes. La méérimentale classique consiste, comme le dit très justement Pierre Calame, à essayer d'isoler l'impact d'un facteur particulier sur un paramètre particulier en "neutralisant" l'effet des autres facteurs, soit par un dispositif expérimental permettant que les objets testés soient identiques en tous points hors le facteur étudié, soit en travaillant sur de grands nombres et en admetîtrisés, sont distribués aléatoirement et de façon similaire dans la population receveuse du produit à tester (par exemple, l'effet d'un médicament sur un paramètre précis) et dans celle qui ne le reçoit pas.


La notion de preuve au banc des accusés


Si nous décidons de ne plus cibler un paramètre particulier pour le modifier spécifiquement mais, plutôt, d'étudier cliniquement l'individu en tant qu'un tout complexe non dissociable, pour analyser comment cette totalité réagit à un stimulus extérieur, nous sommes contraints de réexaminer sous un angle nouveau les critères et la notion de preuve.

Et c'est là toute la difficulté du travail que nous avons entrepris dans notre projet d'étude clinique homéopathique. Les confrères participant à ce traéalité et même quelquefois les "exploits" de la thérapeutique homéopathique.Là n'est donc pas notre propos qui serait alors de l'ordre de l'apologétique. Notre effort doit se porter plutôt sur la mise au point d'une méthodologie adaptée à cette approche différente.
Etablir un dossier clinique c'est collecter l'ensemble des informations jugées nécessaires pour comprendre un malade, dresser un diagnostic et apprécier le résultat d'un traitement. Il nous a donc fallu mener un énorme travail de réflexion, fruit de nombreuses années de mise à l'épreuve et de réajustement des critères incriminés, pour nous permettre d'intégrer dans notre analyse des faits cliniques un certain nombre de variables indispensables. Et c'est à ce niveau que la réflexion est soudain apparue à la fois passionnante et parsemée d'embûches. Ainsi, en plus des multiples paramètres classiques à prendre en considération (l'hérédité, les facteurs toxiques liés à l'environnement, l'insertion sociale, le poids du milieu, les traitements antéédecin–malade, etc...), nous avons été amenés à nous pencher sur un certain nombre de concepts au départ peu prévisibles qui, inconsciemment ou non, guident le praticien dans sa manière particulière d'appréhender un cas. Je ne ferai ici qu'en citer l'un ou l'autre pour mieux illustrer mes dires.


Santé réelle = non maladie ?


Par exemple, n'y a–t–il pas une énorme différence entre la santé réelle et la non–maladie ? Intuitivement, nous en sommes tous conscients mais quels sont les critères qui permettent de dissocier l'un de l'autre ? Quand peut–on parler d'équilibre et d'harmonie et où se situe la lisière de la maladie ? Un individu séro–positif (Sida) mais en parfait équilibre apparent et sans symptôme obême peut–il être en parfaite harmonie de santé biologique, physique et mentale ? Faut–il, dès lors, le traiter "préventivement", quitte à prendre le risque de rompre l'équilibre de l'ensemble et générer ainsi la maladie ? Un autre individu en pleine posêne physique mais traînant, au fil des ans, un spleen profond apparu lors de la disparition loinêtre cher, est–il ou non potentiellement malade, dans la mesure où l'on sait d'expérience qu'un traumatisme psychique profond est éventuelleénérateur d'affection du soma ? Quels sont donc les critères de maladie

tant dans l'absolu que dans l'esprit particulier du praticien participant à la recherche clinique ?

Qu'en est–il, d'autre part, de l'intentionnalité du ou des symptômes apparais ? Le symptôme mis en avant est–il à prendre en considé ? N'est–il que l'arbre qui cache la forêt ? Et s'il en est ainsi, chaque médecin l'appréhendera–t–il de la même manière ?
N'y a–t–il pas diverses stratégies possibles pour aborder un traitement holis ? Soit ne tenir compte que des seuls faits contemporains, soit ne tenir compte que du facteur étiologique 2 apparent à l'origine des troubles, soit prendre en considération l'ensemble du tableau clinique depuis ce bouleverérer que l'apparition d'un déséquilibre à la suite d'un événement ponctuel exprime une vulnérabilité préalable seule à prendre en considération, soit aussi estimer que seul compte le facteur congénital ou héréditaire, soit enfin décider qu'un unique élément central (fil conducteur exprimant et expliquant toute la vie, les choix, les déviances et donc la pathologie de l'individu) est précurseur de tout déséquilibre.
Il est évident que dans l'élaboration des dossiers cliniques qui seront ultéés, il est indispensable que chaque praticien exprime sa poà la stratégie adoptée.
Enfin, qu'en est–il des critères de guérison ? Ce point rejoint celui des critères de santé. La guérison correspond–elle à la disparition et à la suppression du symptôme ou syndrome ? S'agit–il plutôt, au–delà de ce fait, de la réapparition d'un sentiment de bien–être ou, encore, de la capacité à retrouver un meilleur équilibre de vie ? Quelle sera la grille d'analyse utilisée par le chercheur cli ?
Tous ces points doivent obligatoirement s'inscrire dans le dossier clinique au même titre qu'un résultat de test biologique, de manière à rendre fertile l'hétérogénéité même des cas analysés par les médecins participant au réseau. Les mathématiciens participant au projet trouvent ici leur place et appuient l'idée, malgré la complexité de la chose, de ne surtout pas restreindre le champ d'investigation en limitant les critères retenus. Ils pensent que l'intérêt du projet consiste justement à n'avoir aucune idée a priori sur les possibilités ultérieures d'analyse que permettra la mise en termes informatiques des données recueillies. Ils estiment par exemple que des concomitances cliniques, des synchronicités, des concordances inédites apparaîtront, non identifiables a priori et que ce sont justement celles–ci1 qui auront la plus grande importance. Ce ne sera qu'en "jouant" aléatoirement avec les données


1 Prenant l'homme comme un tout.

les plus larges possibles recueillies que des éléments nouveaux pourront surévisibles préalablement. Des paramètres sans lien apparent entre eux se trouveront peut–être réunis amenant à une connaissance et à une réflexion inimaginables au départ (un exemple: découverte d'un rapport évident entre des événements apparemment sans lien comme une donnée d'environnement, un rêve, une pathologie, un remède curatif, l'utilisation empirique d'une flore quelconque, etc...).


Après l'effort considérable de mise en forme d'un dossier clinique complet, adaptable à toute circonstance de pratique, il apparaît ensuite indispensable, avant d'aller plus avant, de confronter les conceptions diagnostiques, théraéussite des médecins participants, de mettre en commun les divers raisonnements suivis, à partir des informations quantitatives et qualitaçues, pour parvenir au couple diagnostic–prescription.


A l'heure présente où la "technologie" du projet est au point, il nous apparaît important, en vue du but initialement prévu avec la Fondation lors de l'élaboration en commun de ce projet, de nous pencher prioritairement sur les difficultés ci–dessus exprimées. En effet, plus que le résultat lui–même atées cliniques de qualité permettant l'approfondissement de la connaissance des moyens thérapeutiques homéoépistémoloégrer le développement de la science avec une évolution favorable et grandissante de l'Homme ?


Les questions éternelles


En cette fin de siècle, grandiose à certains égards, doivent être enfin reposées les questions éternelles du pourquoi et du comment ? Pourquoi, par exemple, cette acquisition d'un bien–être matériel apparent dans nos sociétés moà moyen terme des équilibres de l'écosystème ? Dans la lutte contre les problèmes d'environnement, les solué, comme c'est le cas lorsque est suivi le principe des contraires ? Le groupe de Vézelay se penche judicieusement sur la question. Nous sommes ici très proches des inêmes plus haut dans le domaine médical. Des réflexions équivalentes surgissent visibleme~t également au sein des équipes qui travaillent dans le tiers–monde dans les domaines de l'agriculture, de l'éducation, des économies traditionnelles locales, etc...


Notre modèle occidental surpuissant est–il le bon, est–il le seul, reste–t–il compatible avec la nature même de l'Homme, avec ses aspirations, son deve ? La raison qui nous a conduits à un certain chemin de connaissance est–elle la Raison ? Et, même, pour s'en tenir au strict plan de l'intelligence humaine, nos raisonnements passés et présents qui nous ont fait suivre un certain cheminement, amenés à un ensemble de certitudes et fait accepter quelques postulats porteurs de conséquences en fait imprévisibles, ne sont–ils pas eux–mêmes viciés puisqu'en tout domaine observé rien ne se passe comme il se devrait ? Le malade s'aggrave de jour en jour alors que le diagnostic est sûr, le traitement on ne peut plus intelligent et adapté! Aucune autre solution n'est même envisageable puisque j'ai la raison et la science pour moi! Encore un de ces fâcheux patients qui mourra guéri!!


L'Homme dans sa chair et dans son esprit, la Terre dans ses sols et sa respiâme souffrent d'une comégèreté de l'homme–raison parce que l'orgueil distille une fausse connaissance, de l'homme–science mais sans conscience.