CONFERENCE LMHI 2014 -Paris
MISE AU POINT DOCTRINALE
par Dr Philippe Servais
Dans
les années années 50-60, le docteur Paschero, influencé
par la psychanalyse, a été le premier à remettre véritablement en cause la
classification miasmatique traditionnelle (Hahnemann puis Allen etc.). Désireux
d'enfin comprendre le patient dans sa dynamique de vie, il a formulé l'idée
qu'il n'y avait pas trois miasmes figés et caractérisés par leur type de
symptômes (et des malades figés dans leur miasme du moment) mais que chaque
patient pouvait exprimer sa maladie ou son mal-être sous trois aspects
dynamiques différents qui n'étaient que des expressions réactionnelles d'une
même susceptibilité. En rejetant des images toute faites et fixées - comme une
photographie - du patient (cf. les tableaux de Tyler), il introduisait, dans la
clinique, une dimension vivante, dynamique et réelle, nécessaire à la
compréhension du malade. (Comme le rappelle Marc Brunson, dans le passé déjà,
Phatak avait permis une autre avancée conceptuelle : la maladie n'est pas
exogène comme l'imaginait Hahnemann mais endogène).
A
la suite de Paschero, le docteur Elizalde Masi va aller plus loin. Alors que
son maître n'avait porté sa compréhension et son analyse nouvelle
qu'essentiellement sur le patient, Masi - conscient du fondement même de
l'homéopathie c'est-à-dire de la « similitude de forme » entre un
individu et une substance - va extrapoler cette approche dynamique à l'étude
des remèdes et aux remèdes eux-mêmes. Là va être son génie.
Cette compréhension nouvelle
permettra, dans les années 80 et 90, à l'homéopathie de faire un énorme bond en
avant. Ainsi donc, il n'y a pas trente types d'individus différents en fonction
de remèdes constitutionnels qui leur correspondraient mais il y en a mille
sinon un nombre infini ! De ce jour, l'homéopathie ne sera plus jamais la même.
Beaucoup d'homéopathes contemporains, même parmi les plus illustres et même les
plus schismatiques, ont inconsciemment intégré cette idée d'approche dynamique
du patient et du remède et ne se rendent plus compte de ce qu'ils doivent au
docteur Elizalde Masi sans qui leurs avancées actuelles n'auraient probablement
pu voir le jour.
Malheureusement,
à chaque découverte son revers ! Comme le dit Marc Brunson, il y a la doctrine
(utile à l'amélioration de la qualité de compréhension du patient et de la
matière médicale et donc à la qualité de prescription : prescrire moins en
prescrivant mieux) et il y a la méthodologie (techniques utiles pour
faciliter le choix du remède).
Et la tendance naturelle de
tout chercheur consiste à vouloir, à un moment donné, trouver une grille de
lecture efficace qui pourrait s'adapter ou se superposer aux connaissances
acquises[1].
L'important est alors de rester le plus proche possible du réel et d'avoir la
grille la plus ouverte possible.
Et
c'est là que nombre de collègues et moi-même, tout en ne remettant pas en cause
les fondements de la pensée novatrice de Masi, allons prendre une certaine
distance. En effet, il va imaginer et entreprendre, chapeautant ses
remarquables études et approches des remèdes, dans un essai démiurgique
d'appréhension du monde, une relecture théologique (inspirée par Thomas
d'Aquin) de la matière médicale, rattrapé ainsi par la vieille tradition
moraliste de l'homéopathie transmise par Hahnemann, Allen et Kent. Dans un
remarquable et laborieux travail d'application de sa méthode, Marie-Luc Fayeton
et, avec elle l'AFADH, va prendre la relève et pousser cette recherche au plus
haut avec l'intention, in fine, de trouver, pour chaque remède et donc pour
chaque patient, son ״attribut divin envié״.
Nous avons alors décroché
face à ces hautes sphères de l'intellectualité (pour moi trop distantes de mon
expérience clinique, de mon expérience de la vie et même de mon expérience
spirituelle).
D'une
certaine manière, deux tendances inconscientes ont toujours cohabité dans
l'histoire de l'homéopathie : celle qui consiste à garde le cap d'une
compréhension profonde de la vraie similitude et celle qui consiste à vouloir
lui échapper pour réintégrer une pensée plus scientiste. Paschero et Masi ont
ce mérite d'avoir remis cette règle de similitude au centre du débat.
A partir de 1987, nombre d'entre nous ont donc
progressivement intégré une compréhension
״dynamique״ de
l'homéopathie. Dès cette époque, grâce à
une approche souvent multidisciplinaire,
quelques groupes (essentiellement francophones) et, en particulier, pour ce qui
me concerne, le GEHU, (parallèlement à ce qui se faisait à l'AFADH avec qui les
rapports ont toujours été excellents), ont développé une recherche basée à la fois sur :
-
l'approfondissement de la matière médicale
(relier par thèmes les pièces éparses du puzzle, en donnant du sens),
-
sur l’étude de cas cliniques révélateurs
-
sur l'essai de compréhension de la souche grâce
à l'étude de la botanique, la minéralogie, la chimie, la symbolique, la
tradition etc.
A partir de ce substrat, nous
nous sommes efforcés de confronter nos hypothèses
à la réalité clinique (approche inductive). Et c'est ce que nous
continuons à faire. Tous, nous partageons et échangeons nos résultats.
Si
des homéopathes comme moi privilégient cette
voie de recherche devenue aujourd'hui classique pour tenter de découvrir
l'essence d'un remède, c'est qu'elle s'appuie sur le trépied :
étude de la
pathogénésie/étude de la substance/étude de la clinique.
La méthode déductive
pure nous apparaît nettement plus aléatoire.
Il en est de même pour l'approche du patient. Sans d'abord s'appuyer sur l'un ou l'autre symptôme
pathogénétique (ou du moins sur des symptômes vérifiés par des résultats
cliniques sérieux), si possible spécifique, il me paraît hasardeux de vouloir
prescrire.
Se contenter de faire rentrer le patient dans
une grille de lecture classifiante (par définition théorique) et figée nous
paraît insuffisant et aléatoire. C'est l'éternel mythe de Procuste !
A
l'heure actuelle, le souci excessif de classification et de synthèse (qui peut,
quelquefois, n'avoir pour but que de trouver une martingale), plus
méthodologique que doctrinal, peut représenter le danger de s'écarter à nouveau
du principe de similitude.
Cette
tendance à la classification s’apparente à un abord déductif et non inductif de la matière médicale : on ne
part plus du patient, de la clinique ni même de la spécificité d'une
pathogénésie pour tenter de mieux comprendre un remède dans son essence mais, à
travers un a priori théorique à visée classifiante, on tente de raccourcir le chemin allant du
patient au remède.
Le remède est alors prescrit ״mécaniquement״ à
partir d'une démarche déductive, parfois d'ailleurs complexe ou approximative.
Diverses
techniques rationnalisantes et ״facilitantes״ pour
trouver le remède ont ponctué l'histoire de l'homéopathie. Il suffit, à ce
propos, de lire le remarquable travail de relecture de l’histoire de
l’homéopathie entrepris par Marc Brunson.
Elles sont toutes sûrement occasionnellement utiles mais toutes ont leur
limite et entraînent des dérives.
Il est donc capital d'être
avant tout conscient que l'outil nouveau utilisé … n'est qu'un outil et que
pour la réussite d'une œuvre (en l'occurrence pour nous la guérison du
patient), plusieurs outils seront sûrement nécessaires. Si tel est le cas, il
n'y a plus de problème à balayer le champ des possibles.
L'important est d'être toujours conscient du paradigme
qu'on utilise.
Ce
qui peut distinguer l'homéopathe uniciste moderne dit classique de celui qui
suit des voies plus ״New Age״ est la
conviction du premier que la base de la pratique homéopathique est et doit
rester ce qui en a été le critère fondateur à savoir la pathogénésie.
En pratique, il me paraît indispensable de continuer à
approfondir la connaissance des remèdes dans leur essence et, pour ce faire, de
poursuivre les recherches entreprises. Il est également indispensable
d'apprendre à toujours mieux comprendre le patient, non seulement dans sa
souffrance et sa maladie mais aussi dans sa dynamique de vie ce qui inclut pour
moi son histoire propre.
Je
me suis attaché, depuis quelques années, - je parle ici en mon nom propre - à développer, en consultation, l'étude de la biographie du patient
dans laquelle, je l'observe, l'essence même du simillimum se trouve
enfouie. Je me suis ainsi attaché à substituer
à la simple idée d'un patient porteur d'une certaine spécificité l'idée d'un
véritable personnage singulier à découvrir, pleinement participant à
la grande comédie humaine. Aussi ai-je été surnommé le sagaïste de la bande !
Contrairement à certaines approches plus structurées et
systématiques du malade, la mienne, peut-être moins transmissible, est
essentiellement plus intuitive et globale, faite surtout d'imprégnation du
ressenti du patient et de son histoire, à la recherche du symptôme ״qui parle״.
Et,
s'il faut se définir, je me présenterais volontiers comme un ex-Kentiste,
disciple défroqué de Masi, vieux souchiste avant la lettre et jeune sagaïste
encore incompris !
_______________________
En
début 2002, dans le cadre d'une journée de ״Rencontres״ de
l'INHF, j'ai présenté une douzaine d'histoires cliniques, chacune
représentative d'un remède et d'un profil de patient. Relisant cette conférence
aujourd'hui, quatre ans après, je m'aperçois que tous les cas ont tenu avec le
même remède … sauf un qui, hélas, ״s'est cassé la gueule״ en
2003, soit l'année qui a suivi la conférence. Et, bien sûr, vexation suprême
pour un homéopathe, il s'agit du remède le plus rare de ceux présentés ! Exit
le cas d'Hecla lava, seul cas au monde jamais exposé de ce remède ! Est-ce à
dire que sa présentation en était nulle et non avenue ? Non, mais il ne
s'agissait que d'un excellent simile et, par conséquent, la compréhension que
j'avais pu en tirer du personnage rejoint l'océan des fausses découvertes ! Et
pourtant, il me semblait bien que …
J'ai essayé de comprendre mon erreur et j'ai fini par
trouver ! Emporté par mon enthousiasme d'avoir ״sorti״ un cas
de remède rare, j'ai manqué de discernement et suis tombé dans le piège, tant
de fois décrié par moi-même, celui de confondre similitude de signifiants et
identité d'objet. Ce patient m'avait mis sur la piste en me disant qu'un de ses
rêves récurrents le plus habituel était de rêver d'éruption volcanique. Comme,
tout en lui, autant ses symptômes que sa vie, évoquait un volcan, j'ai sauté
sur le seul remède connu issu d'un volcan. Ce remède a ״tenu״ deux
ans pour, ensuite, brutalement, ne plus avoir aucun effet. On peut donc
considérer qu'il s'agit d'un cas intéressant. Mais, malheureusement, il ne nous
apporte pas ce qu'on peut souhaiter de ce genre de cas où un remède rare est
utilisé : une compréhension de l'essence d'un nouveau remède.
Etait-il
prévisible que cela se passe ainsi ? Tout à fait. Pourquoi ? Pour deux raisons.
La première est que je ne me suis pas appuyé sur un symptôme pathogénétique, la
seconde est que je ne me suis pas appuyé non plus sur l'idiosyncrasie de la
souche. Cette considération simpliste qui consiste à penser ״il me fait penser à un volcan, donc je vais lui
prescrire du volcan ״ n'a
rien d'une démarche homéopathique et est plutôt d'inspiration ״paracelsique״ (la
doctrine des signatures). Ce que je veux
affirmer simplement, c'est qu'il était logique que ce remède ainsi prescrit ne
se présente pas à terme comme véritable simillimum.
Qu'est
ce qui est caractéristique d'Hecla lava ? Probablement sa nature volcanique.
Mais quelle en est l'idiosyncrasie, la spécificité ? Sûrement pas sa nature
volcanique ! Si nous expérimentions une série de pierres de volcan, il est
probable que nous retrouverions, dans les pathogénésies, des symptômes évoquant
Vulcain. Mais nous ne serions pas encore là dans la véritable homéopathicité. La question à poser devrait être :
qu'est-ce qui fait que cette substance est différente de toutes les autres et
tout particulièrement des autres laves de volcan. Quelle en est sa nature
intime ? Le seul et unique moyen de le savoir est de passer par son
expérimentation sur l'homme sain, ce qui, à ma connaissance, n'a pas encore été
fait très sérieusement. Nous serons sûrement surpris de découvrir un univers
très personnel et subtil, à côté de symptômes bien sûr très ״minéraux״ et très
״volcaniques״.
Si
nous suivons les voies de certains homéopathes ״new age״, nous
pouvons par contre trouver dans la littérature des cas d'Hecla lava comme
celui-ci (RS) que j'ai découvert sur l'Encyclopedia.
Il
s'agit d'un homme atteint de sinusite qui ressent sur le sinus une pression
vers l'extérieur lui donnant l'envie d'exercer dessus une pression contraire.
Il ressent dans ce sinus une grande chaleur avec l'impression que cela pourrait
exploser et il a évidemment l'envie d'éjecter brutalement cette inflammation.
Il a donc véritablement une sensation de ״volcan״. En
outre, dans sa vie, il éprouve aussi cette sensation de ״pression״ du
milieu comme beaucoup d'entre nous. Il se dit trop impulsif, se contrôlant
difficilement (impulsion d'achat). Et, comme beaucoup d'entre nous, il a
ressenti dans son enfance la ״pression terrible de ses parents״. Et
voilà, vite fait, un nouveau cas Hecla lava !
Et
si, dans la même veine que ces fantaisies nouvelles, nous extrapolions, la
matière médicale d'une autre lave, Vesuvio lava par exemple, que pourrions-nous
imaginer ? A côté des sensations de pression, d'explosion auxquelles on ne
pourrait sûrement pas échapper, je verrais bien des symptômes du genre ״tout geste du quotidien est ressenti comme
pouvant être le dernier״ ou ״impression que le ciel peut lui tomber sur la
tête à tout instant״ ou
encore ״brutale sensation de brûlure partant des pieds
pour ensuite remonter vers la tête״ ! Un
nouveau remède est né dont il n'est même plus nécessaire de faire la
pathogénésie !
Je
me souviens avoir entendu décrire un nouveau remède à la mode, Lac delphinium,
d'une telle manière que mon ami Yves Maillé, à côté de moi, me fit cette très
juste réflexion : ״on
dirait un inventaire de tous les poncifs qui ont cours sur les dauphins dans
les documentaires pour enfants״.
S'agissait-il vraiment d'un compte-rendu de proving réalisé avec sérieux ? J'en
doute !
Dans
la même inspiration orientale, n'ai-je pas entendu parler de l'utilisation de
la pierre du mur de Berlin comme remède ! Et qu'en était-il dit ? Que,
"pour ce remède ״Mur de Berlin״, la
matière contient le concept de séparation" !!! (Sic)
Arrêtons
ces délires, au risque de donner raison à nos détracteurs. Ne nous laissons pas
aller à ces facilités ! Arrêtons de chercher désespérément des méthodes
simplificatrices pour prescrire plus aisément !
L'histoire de l'homéopathie est ainsi jalonnée de recherches désespérées
de martingales ! Aucune n'a tenu avec le temps.
Emporté
par son enthousiasme lié à des résultats cliniques prometteurs, dans les années
quatre-vingt dix, Masi avait un moment laissé entendre que, pour la
connaissance d'un remède, la clinique sans pathogénésie pouvait quelquefois
suffire. Il a très rapidement compris le danger de ce genre de proposition. En
effet, mal comprise elle pouvait laisser entendre que, dorénavant, les provings
devenaient inutiles. Or, avoir un bon
résultat clinique avec une substance dynamisée ne signifie pas faire de
l'homéopathie.
Il
y a essentiellement deux méthodes pour
faire avancer la connaissance de la matière médicale.
1/ La première, traditionnelle,
consiste à faire une expérimentation fouillée de la substance, d'en relever
tous les symptômes y compris et surtout les plus frappants, les plus
spécifiques. A partir de cette pathogénésie et de sa mise en répertoire, le
praticien va pouvoir prescrire. La réussite de
cas cliniques va permettre d'amplifier la compréhension du remède et de
confirmer les symptômes pathogénétiques.
2/ La deuxième consiste, à partir de bribes de pathogénésies,
de cas cliniques sauvages réussis ou encore, pourquoi pas, d'une intuition,
d'extrapoler une hypothèse de compréhension de la substance et d'essayer de la
prescrire pour voir si cette hypothèse se vérifie. En cas de réussite de
plusieurs cas abordés selon cette compréhension et seulement à cette condition,
l'hypothèse se transforme en proposition sérieuse. C'est ce que l'on appelle
faire une induction
c'est-à-dire une opération mentale consistant à remonter des faits à la loi, à
remonter de cas donnés singuliers à une proposition plus générale. Il s'agit
alors d'une proposition porteuse d'une vérité potentielle. Un exemple extrême :
ce cas d'Acer negundo que m'a envoyé Marie-Luc Fayeton. Passionnant mais
hasardeux ! A partir de quatre symptômes banals, peu valorisés, elle tombe sur
Acer circinatus ! Comme ce remède n'existe pas en pharmacie, elle donne Acer
negundo (avec l'idée que le patient exprime beaucoup le thème de la beauté et
que la plante Acer negundo est plus belle qu'Acer circinatus !). Prescription
audacieuse s'il en est ! Pourquoi pas !
En exergue de ce cas qui n'a que quelques mois de recul, elle écrit : ״Il
voit et mémorise tout ce qui se passe autour de lui mais ne voit pas ce qu'il
fait״. Il ne s'agit ici que d'une pure hypothèse de
compréhension de ce remède inconnu, une piste éventuelle qui demande
confirmation.
Il existe, dans le monde
homéopathique actuel, une troisième méthode, nouvelle. Elle consiste à
employer systématiquement, hors pathogénésie ou expérience clinique, le mode déductif pour tenter
d'approcher un remède encore inconnu. (Rappelons que la déduction est un
procédé de pensée par lequel on conclut d'une ou de plusieurs propositions
données à une proposition qui en résulte, en vertu de règles logiques. On
s'appuie alors sur une construction intellectuelle purement logique pour en
déduire les vertus d'une substance). On s'appuie alors sur une construction
intellectuelle purement logique pour en déduire les vertus d'une substance.
C'est la méthode utilisée par les adeptes du tableau de Mendeleïev. Pourquoi
pas ! Mais, comme précédemment, les remèdes ainsi découverts n'auront ״valeur homéopathique״
qu'après confirmation des hypothèses proposées par une pathogénésie ou au moins
par plusieurs cas cliniques réussis. Le danger de répandre et de généraliser
une telle méthode est de faire croire aux homéopathes sans expérience que le
raisonnement logique (sans recherche des symptômes spécifiques au patient) peut
être une source fiable et sûre de prescription, alors qu'il ne s'agit que d'une
pure proposition de technique expérimentale de recherche avancée pour
homéopathes confirmés possédant parfaitement la connaissance de la matière
médicale classique ! Si cette méthode de recherche, en soi, ne me dérange pas,
je m'inscris en faux contre son utilisation généralisée en pratique clinique et
plus encore dans l'enseignement.
Autre méthode déductive, celle appliquée au monde végétal. Là, bien
plus que pour le monde minéral avec le tableau de Mendeleïev (qui a le mérite
d'une classification scientifique rigoureuse, vérifiée au fil des décennies),
l'aléatoire me paraît être la règle. Vu ce que l'on sait de la classification morphologique
des plantes, les prémisses utilisées (regroupement par famille) me paraissent
très approximatives et l'abord déductif par conséquent peu fondé.
Autre méthode déductive
encore, celle qui consiste à
imaginer la spécificité d'un composé minéral à partir de la connaissance qu'on
a (ou qu'on croit avoir) des deux éléments simples qui le forment. Tout
homéopathe expérimenté a un jour, devant un patient légèrement amélioré par
Sulfur et par Calcarea, tenté de lui prescrire Calcarea sulfurica ! La plupart
du temps, ce raisonnement ne donne hélas pas de résultat, ce qui est logique
puisque le composé a lui-même sa propre idiosyncrasie qui ne se résume pas à la
pure juxtaposition des deux éléments qui le structurent. Par cette méthode, on
en arrive malheureusement (les légendes deviennent vite des vérités dans le
monde homéopathique !) à des descriptions de remèdes totalement fantaisistes.
Ajoutons que ceux qui ont lancé cette mode semblent en outre très mal connaître
leurs bases de matière médicale ! Ainsi, Jan Scholten
attribue-t-il au radical ״nitric״ ou ״kali״ des
vertus pour le moins étonnantes, bien éloignées de la réalité clinique. Les
prémisses ici sont non plus seulement aléatoires mais carrément fausses !
Nous
avons à notre disposition une science merveilleuse dont le fondement est sa
méthode expérimentale originale. Nous avons parallèlement toute la richesse de
notre clinique, pour peu que nous restions rigoureux dans notre pratique.
Confrontant inlassablement ces expérimentations avec cette clinique, nous
continuons tous les jours à découvrir d'autres horizons, des champs
inexploités, des remèdes nouveaux ou oubliés. Partant toujours de ces
pathogénésies et de cette clinique, nous forgeons des hypothèses nouvelles sur
certains d'entre eux que nous confrontons inlassablement à la réalité de notre
pratique. Ainsi pouvons-nous confirmer ou infirmer certaines pistes de
compréhension. Et il s'avère que nous parvenons quelquefois, par cette voie
rigoureuse, à élargir nos connaissances pour le plus grand bien des patients.
Laissons à d'autres
divagations et vaticinations !
Mais
alors, si nous nous refusons aux dérives présomptueuses qui ont parfois pour
but d'asseoir une réputation de prescripteur hors-pair, de fine lame ordonnancière face aux collègues subjugués, ne nous faut-il
pas d'autant plus sérieusement et scrupuleusement analyser le résultat réel de
nos prescriptions face à nos malades ? Dans notre clientèle, nous nous
retrouvons le plus souvent confrontés à des maux chroniques divers et variés.
Sans même parler de maladies chroniques bien définies, nous avons à prendre en
charge des organismes fonctionnant de travers, cahin-caha. Nous avons la nécessité d'abord de faire le
relevé précis de tous ces dysfonctionnements. Les âmes étant aussi en peine,
nous avons également à en relever les plaintes. Pourquoi cet état des lieux
préalable, précis et exhaustif, si ce n'est pour définir, avec le patient, la
hauteur du projet de guérison et, par voie de conséquence, l'intention que
nous, praticien, allons mettre dans notre prescription ? Si ce n'est également
pour, après traitement, pouvoir juger objectivement des améliorations ou
guérisons obtenues et ne pas considérer comme guérison ce qui ne l'est pas ?
En
d'autres termes, à la fin d'une consultation et lors de la prescription, nous
devons nous poser la question : qu'est-ce que j'attends du remède donné ? Nous
connaissons, pour l'avoir tous vécu, les possibilités parfois incroyables de
l'homéopathie. Il nous faut donc définir le cadre du possible, en mettant bien
sûr la barre au plus haut. Nous savons pouvoir guérir une polyarthrite
rhumatoïde ou un lupus, nous savons pouvoir aider nos patients à transformer
leur vie en les allégeant du poids de la peur et de l'angoisse. Mais de là à
nous affubler des atours de demi-dieu comme des homéopathes ont pu le faire, il
y a de la marge ! Certains en effet ont quelquefois dépassé cette limite.
Fréquentant depuis des lunes le monde homéopathique, j'ai vu courir les idées
les plus folles, qui ont, hélas parfois, causé à leurs auteurs de sérieux
ennuis et fait courir à l'homéopathie les plus grands dangers par accusation de
pratique sectaire. J'ai également vu des confrères, impressionnés par
l'idéalisme extrême de certaines doctrines, ne plus oser prescrire quoi que ce
soit par crainte de faire une suppression ! Suppression signifiant alors enfer
et damnation. Imaginez ! Bien prescrire c'est-à-dire prescrire le fin du fin du
simillimum, ce serait permettre au patient de se réconcilier avec Dieu et,
accessoirement, … de guérir de ses maux ! Hors cette prescription magistrale,
point de salut !
Mon
intention, par ces quelques réflexions à bâtons rompus, est de vous enjoindre à
garder, en bon praticien, les pieds sur terre. En effet, par sa nature même,
subtile, l'homéopathie pourrait facilement nous faire glisser vers ces horizons
neptuniens où la raison n'a plus cours.
Ne
soyons - et cette remarque s'adresse tant à moi qu'à vous tous - ni trop
présomptueux dans l'exercice de notre art (de façon ou innocente ou
triomphante) ni trop fanatique (le fanatisme se situant, en ce qui nous
concerne, dans l'au-delà de la rigueur) !
[1] Le réductionnisme scientifique est partie intégrante de la recherche. L’important est d’en être conscient et d’être prêt à le remettre en question et le dépasser.