LES RENCONTRES DE L’INHF-PARIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE SIMILLIMUM, HISTOIRE D’UNE VIE

 

 

Docteur Philippe M. SERVAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conférence donnée le 6 avril 2002

 

( Texte de l'enregistrement non revu )

 

 

 

INHF –PARIS

60, rue Saint Lazare – 75009 PARIS

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LE SIMILLIMUM, HISTOIRE D’UNE VIE

 

Dr Philippe M. Servais

 

 

 

 

Le sujet d’aujourd’hui est à la fois classique — nous sommes dans le monde de l’homéopathie — et en même temps un peu périlleux parce que j’ai voulu présenter les choses de manière particulière. Certains s’y retrouveront complètement, d’autres seront un peu décontenancés ou choqués, mais je pense que cela permet d’ouvrir de nouvelles pistes. C’est le but de ces rencontres. Je compte que cette journée soit, comme on le dit dans le langage moderne, interactive, dans le sens où vous aurez la parole lorsque vous le voudrez et que je compte vous faire travailler. Non pas comme dans un cours classique, mais je voudrais vous faire réfléchir avec moi sur la solution des cas proposés. Je n’aurai pas le temps de présenter tout ce que j’ai prévu, mais ce sera en fonction des possibilités horaires et de nos errances que j'aborderai plus ou moins de cas cliniques.

Le premier cas de la journée sera exposé avant la pause. Auparavant, nous effectuerons un survol où nous reprendrons certaines choses et montrerons l’esprit de ce qui aura lieu à partir de la  fin de la matinée.

 

* * *

 

Première scène. Il y a le grand frère et sa petite sœur, Marine. Lui a 21 ans, elle 18. Ils sont orphelins, d’abord de père, et, depuis peu, de mère. Issus d’un milieu bourgeois, ils se retrouvent tous les deux dans la vie, entourés par une famille assez resserrée autour d’eux, mais néanmoins orphelins.

Dialogue. Le garçon parle à sa sœur :

        Tu sais, mon ami Pierre, celui que tu aimes beaucoup…

        Oui ? (les yeux de Marie brillent d’admiration.)

        Tu devrais coucher avec lui, il n’attend que ça.

        Tu crois ? Ça lui ferait plaisir, et à toi aussi ?

        Bien sûr, c’est un type adorable.

        Bon, si tu me le dis, d’accord. J’espère qu’il me plaira.

 

Deuxième scène, entre les mêmes.

        Tu sais, l’héritage que nous avons fait (ils ont hérité de leurs parents)... Moi, je l’ai mis en banque, mais toi, tu devrais en faire profiter Gérard. Il s’est lancé dans les affaires immobilières et il fera fructifier cet argent. De plus, ça lui fera grand plaisir d’avoir un petit capital de départ pour investir, car il a actuellement un projet de construction de crèche.

        Tu crois ? Oh, le pauvre ! Ça doit être difficile de démarrer ainsi dans le métier. De plus, si c’est pour des enfants… C’est sûrement une bonne idée, d’accord.

 

Troisième scène, avec d’autres personnages. Lui est un entrepreneur florissant de 50 ans. C’est un homme sûr de lui, qui habite à Paris et vote Front National. Elle est une ex-employée qui ne travaille plus (elle n’en a vraiment pas besoin). Il est 19 heures, ils sont dans leur appartement.

      Pourquoi viens-tu de ressortir ?

Elle, un peu embarrassée :

      J’avais oublié de faire une course.

      Ah bon, quoi donc ? (ah !ah ! Je l’ai mouchée !)

      Ne me dis pas que tu t’es à nouveau occupée du chien du clochard, au moins !

Elle ne répond pas, gênée, et finit par dire :

      Le pauvre ! Au moins lui ne fait de mal à personne.

Depuis quelque temps, en effet, elle s’est prise de pitié pour un gentil clochard accompagné de son chien et elle nourrit ce chien avec les déchets de viande que, complice, lui donne le boucher du coin.

 

Il s'agit donc d'une jeune fille et d'une dame qui ont reçu le même remède.

Bien sûr, tout au long de cette journée je ne vous donnerai pas nécessairement tous les éléments strictement homéopathiques qui permettent de trouver le remède. Dans certains cas que je vous présenterai aujourd’hui, j’ai trouvé le remède par une répertorisation classique et dans d’autres je l’ai trouvé uniquement sur ce genre de chose, c’est-à-dire un sentiment général.

Comme il y a beaucoup de cas, nous ne passerons pas un quart d’heure à chaque fois pour les trouver.

Est-ce que cela vous évoque quelque chose ? Je peux vous dire une chose : j’ai sur mon bureau un encrier ancien qui vient de mon grand-père et qui représente un ours. Quand la jeune fille est venue à la consultation, elle a pris le bronze alors que je l’interrogeais et elle a dit : « il est trop mignon ! » avec des yeux d’enfant pleins d’admiration. Là, ça y est, vous allez trouver ! Qui manifeste une admiration excessive, très naïve ?

Je tiens à préciser — et ce sera valable toute la journée — que je propose ici des pistes nouvelles, mais qu’il ne faut pas non plus entrer dans le délire qui consiste à ne pas faire de l’homéopathie technique, classique, correcte. Ce que j’apporte là, ou que je suis censé apporter, est un « plus » éventuel.

Je vais vous aider, en tous cas certains d’entre vous, en vous disant que la jeune fille est cette personne dont j’ai présenté le cas clinique il y a une dizaine d’années, pour lequel j’ai à peu près vingt ans de recul aujourd’hui, dont la tante et la mère sont mortes de sclérose en plaque et qui elle-même était en traitement pour une sclérose en plaque à l’hôpital de Marseille (diagnostiquée et confirmée au scanner) et que j’ai guérie de sa sclérose en plaque. Nous sommes sur un cas sérieux, lésionnel, grave. Elle avait commencé sa sclérose en plaque deux ans plus tôt.

 

Intervenante – J’ai pensé à Phophorus, parce que Phosphorus a besoin de recevoir de l’amour et d’en donner.

Philippe Servais – Oui, mais c’est trop vague. Je crois qu’on ne peut pas prescrire là-dessus.

Intervenante – C’est un grand sensible.

Philippe Servais – Je sais, moi aussi je suis un grand sensible !

 

Une ou deux choses doivent vous frapper : on n’a pas affaire à des débiles avec ces deux jeunes femmes, l’une étant d’ailleurs beaucoup plus jeune que l’autre. Quel type de comportement ont-elles ? Elle sont gentilles, mais elles sont surtout infantiles. C’est donc Cicuta virosa. Vous trouvez d’ailleurs « admiration excessive » dans le répertoire. Je vous avais dit une petite phrase à propos du clochard : « le pauvre, au moins lui ne fait de mal à personne ». C’est Cicuta ! Il est très sensible, il a même plutôt une sorte d’aversion pour les hommes, pour l’humanité qui est méchante. A propos de cette admiration vis-à-vis de l’ours : Cicuta aime les jouets, il aime tout ce qui est « enfant ». Si la jeune fille accepte de donner son argent à l’ami qui fait de l’immobilier, c’est parce que c’est pour une crèche, c’est pour les enfants. Il s’agit bien de ce monde de l’enfance.

Il y a une illusion caractéristique chez Cicuta : « illusion que les objets apparaissent aussi attrayants que des jouets ». C’est l’histoire de l’ours !

 

* * *

 

Il n’est jamais mauvais de répéter inlassablement, aussi bien pour moi que pour vous, qu’il faut valoriser les signes, les symptômes que nous devons observer. Je dirais plutôt signes que symptômes dans la mesure où, en homéopathie, on n’a pas affaire à des symptômes obligatoirement au sens allopathique. Nos symptômes à nous ne sont pas les symptômes allopathiques, ce sont souvent des signes, des manifestations spécifiques. Ce qu’il nous faut débusquer, ce sont les signes, les symptômes rares, étranges, bizarres, particuliers ; particuliers, mais sûrement pas pathognomoniques. Je disais hier, puisque quelqu’un parlait d’astrologie : « faites attention aux symptômes qui pourraient être spécifiques pour qui connaît un peu l’astrologie, mais qui correspondent en fait aux signes astrologiques ». Cela a moins de valeur, puisqu’à nouveau nous nous trouvons dans une classe d’individus. Ceci n’est qu’un petit exemple.

Pour ce qui est de valoriser les symptômes, souvent, chez les homéopathes, on sait bien comment valoriser les symptômes physiques, on sait distinguer ce qui a de la valeur sur le plan homéopathique. C’est parfois plus difficile sur le plan psychique, ce qu’on appelle traditionnellement le « mind ». La tendance actuelle consiste à faire de la psychologie. Je n’ai rien, loin de là, contre la psychologie, mais pour des homéopathes prescrivant de l’homéopathie, cela correspond à une manière de partir sur de fausses pistes. Il ne faut pas oublier en effet que le psychologue fait une interprétation et que, pour nous, c’est la dernière chose à faire. Il faut prendre les symptômes tels qu’ils sont : envie de suicider le matin entre 9 heures et 11 heures avant les règles, ce n’est pas à interpréter. Celui qui fait de la bonne homéopathie, c’est celui qui a un regard particulier, d’une certaine façon un regard d’entomologiste, et encore pas celui d’un entomologiste classique. C’est celui qui aurait le regard de l’entomologiste « décalé », c’est-à-dire qui voit, qui entend ce que les autres ne voient pas ou n’entendent pas, ou encore celui qui voit ce qui est tellement évident que les autres ne le voient pas.

Je ne sais si vous avez cette expérience en consultation : il y a des patients que vous connaissez tellement bien, vous êtes tellement habitués à ce qu’ils sont en tant qu’individus, que vous êtes perdus parce que vous n’avez jamais trouvé vraiment le bon traitement. A un moment donné, il faut faire une espèce de zoom arrière en essayant de se dire : qu’est-ce qui est flagrant chez lui ? qu’est-ce que je n’ai pas vu ?

Autre remarque très importante : accorder beaucoup d’attention à l’imaginaire de l’individu parce que c’est souvent là que se trouve la signature du personnage dans son imaginaire.

Je prends quelques exemples : cet homme apparemment très classique, homme d’affaires bien intégré dans la société pour lequel on ne trouve rien. On a alors affaire à une consultation défective sur le plan homéopathique. Ce que je fais, d’autant plus maintenant, c’est laisser parler les gens de ce qui les intéresse. Cela me permet d’ailleurs d’ouvrir mon propre horizon. Si je ne connais absolument rien au football et que j’ai affaire à un passionné de football, je vais m’intéresser pendant un certain temps au football, comme aux échecs ou à un sujet quelconque. Si vous allez dans le sens du patient, dans son intérêt dans la vie, dans sa passion, dans ses difficultés, c’est là que vous toucherez le plus son imaginaire, ou du moins ferez surgir son imaginaire. Je sais qu’il m’arrive de discuter finances — je ne connais strictement rien aux finances ni à la bourse — car je me suis aperçu que, plutôt que d’interroger le patient sur le plan du physique, on passe trop facilement à un autre plan et on essaye de le faire entrer dans une grille, en particulier dans une grille psy. C’est là qu’on se trompe. Plutôt que ça, il vaut mieux partir complètement dans le sens du patient, dans sa vie particulière.

Par exemple, ce monsieur avec qui je finis par discuter « entre hommes » (parce qu’il est un peu « macho »). En riant, il finit par m’expliquer qu’il y a des constantes dans ses relations amoureuses, entre autre le fait qu’il a des fantasmes animaux. Plutôt que de parler de bras il parle de pattes, plutôt que de parler de peau il parle de pelage. Il a une manière de prendre les femmes comme on prendrait un chat ou un chien (il m’explique cela en riant). C’est là que se trouve son imaginaire personnel, très particulier. Si nous allons dans la Matière Médicale, nous trouvons immédiatement un remède. Vous savez lequel ?

 

Intervenant Nuphar ?

Philippe ServaisNuphar aime les animaux, là ce n’est pas le cas. Il y a une certaine animalité chez lui.

Intervenant Bufo ?

Philippe Servais – Chez Bufo il y a effectivement une certaine animalité de l’individu, qui a tendance à avoir des comportements très primaires. Ici ce n’est pas ça, nous sommes au niveau de l’imaginaire.

IntervenantHyoscyamus ou Stramonium ?

Philippe Servais – Il y a une illusion que les gens sont des animaux, vous la trouvez directement, et il y a une deuxième rubrique qui est : « imite la voix et les mouvements des animaux ». Là, vous n’avez que Stramonium.

 

Ce sont des rubriques qu’on a tendance à ne pas utiliser, parce qu’on se dit qu’on va utiliser ce genre de rubrique en cas de délire, quand on a affaire à un fou, à un psychotique. Pas du tout ! N’oubliez pas que les remèdes comme Hyoscyamus, Stramonium, etc. sont des remèdes qui correspondant à des gens communs. Il n’y a pas que les fous qui peuvent recevoir Belladona, Hyoscymaus ou Stramonium, ce sont les gens du commun. La difficulté est que, dans des matières médicales comme celle de Stramonium, nous avons à peu près 95 % des symptômes qui sont tirés de l’intoxication.

 

* * *

 

Avant de passer à un autre exemple, je souhaite préciser qu’il faut toujours se poser la question : qu’est-ce qui fait que ce patient n’est pas comme tout le monde ? Nous vivons dans une société conformiste — c’est presque même l’essence de cette société, le consensus, le conformisme — donc tout individu inséré dans cette société essaye de se conformer comme il le peut, mais il y arrive, la société l’y pousse. C’est même l’idéal de cette société, donc les singularités sont complètement estompées. C’est pour cela que j’attache de plus en plus d’importance aux réflexions collatérales : ce qu’en dit la sœur, ce qu’en dit l’épouse, ce qu’en dit le fils (avec bien sûr une sorte de regard œdipien dont il faut tenir compte). A mon avis, les réflexions collatérales apportent énormément pour la compréhension d’un patient, d’où l’intérêt de soigner des familles ou des groupes de gens. Il y en a toujours un qui dit : « vous avez vu mon copain untel ? Ah bon, vous ne savez pas que… » Il va éventuellement sortir une « vacherie », mais quelque chose sortira.

Je viens d’avoir le cas d’un patient de 28 ans qui est le septième d’une grande famille. Depuis vingt ans que je soigne toute la famille, les parents et les six autres enfants, je n’avais pour ainsi dire jamais vu le dernier. En fait c’est le plus déséquilibré de tous, puisque quand la maman m’appelle, elle me dit : « ça fait un an que ça traîne, on est très inquiets, on va le mettre à Sainte-Anne parce qu’on ne peut pas faire autrement ». Il était en plein délire paranoïaque, en train de décompenser totalement. Effectivement, on a affaire à un cas totalement délirant avec persécution. Il était poursuivi, on parlait de lui à la radio. La mère m’a demandé conseil et ce qu’on allait lui faire. Je lui ai dit qu’on allait l’hospitaliser, le mettre sous neuroleptiques, qu’il y avait des chances pour que ce soit pour des années.

La mère était affolée. Je lui ai dit :

   Si vous voulez qu’il vienne me voir…

   Oh, il vous aime bien ! (Je l’avais vu quand il avait quatre ou cinq ans pour des angines.) Il sera sûrement très content de vous voir.

Il est effectivement venu, mais je n’ai pas eu un seul élément pour prescrire pendant la consultation. Heureusement, j’avais demandé à la famille de s’en occuper et j’avais reçu quatre lettres, de la mère, de deux sœurs et d’un autre frère, qui m’ont en fait apporté le remède sur un plateau. Effectivement, après la prise du remède, son délire est "sorti" pendant trois jours et tout est allé ensuite de mieux en mieux.

 

Intervenant – Justement, dans les délires tu ne peux pas prendre l’illusion qu’il est poursuivi parce que c’est un symptôme paranoïaque.

Philippe Servais – Bien sûr, c’est évident. Dès qu’il y a un diagnostic, il ne faut pas prendre les éléments qui vont avec ce diagnostic.

 

Il faut donc toujours trouver l’individu réel derrière l’individu social. C’est par une observation que j’appelle décalée, c’est-à-dire qui consiste à voir un geste, une expression ou un violon d’Ingres, etc., qu’on peut faire notre diagnostic en avançant l’air de rien. Je parlais tout à l’heure de cette conversation à bâtons rompus sur ce qui intéressait le patient.

 

* * *

 

Par exemple, cette patiente atteinte d’une endométriose, qui est quelque chose de sérieux et peu évident à soigner, a été totalement guérie par… je ne vous dirai pas quoi, mais je vous dirai simplement que son but dans la vie — elle était en fin de carrière — et son aspiration qui lui ont fait prendre une retraite anticipée était qu’elle voulait cultiver des fleurs. Pas simplement avoir son petit jardinet, elle voulait vraiment se mettre à cultiver des fleurs. Pas de manière professionnelle parce qu’elle n’en avait pas besoin, mais elle voulait faire des cultures de fleurs, et grâce à cela je lui ai donné un remède. Quand je dis grâce à cela, c’est que dans son cas je n’avais franchement rien d’intéressant à me mettre sous la dent. C’était une consultation longue, pénible, je n’avais pas même un ou deux symptômes de valeur réellement homéopathique qui permettaient de prescrire. J’ai donc prescrit parce qu’elle avait pour but dans la vie de cultiver des fleurs et que le remède que ça m’a évoqué correspondait en fait à des symptômes qu’elle m’avait dits, que je n’avais pas vus, et qui correspondent à l’endométriose. Ça collait, bien sûr. Tout à coup, la consultation prenait du sens.

Est-ce que cela vous dit quelque chose ? Je vais vous aider un peu. Je lui ai demandé tout simplement : « qu’est-ce que vous évoquent les fleurs ? » (il faut toujours poser la question du pourquoi, du comment). Elle me répond du tac au tac : « le paradis ». Nous avons là le remède, qu’on trouve d’ailleurs dans le répertoire, et toute la problématique du remède.

 

Différents intervenantsCannabis, Opium, Coffea ?

Philippe Servais – Oui mais… C’est une bonne idée, effectivement, j’y reviendrai plus tard. Là, nous avons quelqu’un qui est dans le réel, qui n’est pas dans ce monde un peu imaginaire qu’on se crée, ce monde parallèle. Pas du tout ! Elle est dans le réel, elle veut cultiver des fleurs et que lui évoquent les fleurs ? elles lui évoquent le paradis.

Différents intervenantsCoffea ? Il est dans l’illusion de voir le paradis et il aime les plantes.

Philippe Servais – Je n’ai pas pensé à Coffea, c’est vrai, mais ma patiente ne m’évoquait pas du tout Coffea. Chez Coffea il y a une imagination débordante, une suractivité de la pensée.

IntervenanteMagnesia carb.

Philippe Servais – Oui, Magnesia carb., voila. Pourquoi ? Il fallait voir tout bêtement à « rêves de fleurs ». Quand j’ai vu cette rubrique « rêves de fleurs », j’ai vu Magnesia carb. Je lui ai posé la question : « que vous évoquent les fleurs ? » et elle me répond : « le paradis ». Immédiatement, c’est la thématique de Magnesia carb. qui a envie de retrouver son paradis d’enfance. Elle essaye donc de retourner dans le passé pour retrouver ce qu’elle fantasme comme son paradis d’enfance.

 

Si, à propos d’une endométriose, vous tombez par exemple sur une répertorisation avec trois ou quatre remèdes, ce genre d’élément vous permettra de choisir.

 

* * *

 

C’est un enfant en grand retard scolaire, un rêveur, un distrait, totalement déconcentré. Ce n’est pas un idiot — il est tout à fait normal — mais sa mère dit qu’il est comme « mal éveillé ». Il est dyslexique et, en même temps que cette espèce de rêverie, il est très agité, il ne peut pas tenir en place. Les parents me disent qu’il est à la limite de la désocialisation et on se pose la question s’il faut le mettre dans une école spéciale. Cet enfant est en parfaite santé, donc je n’ai pas grand chose de ce côté là. J’ai affaire à un enfant qui est bien gentil, mais qui visiblement n’arrive pas à se concentrer du tout. Quand je lui pose une question, j’ai l’impression qu’il faut le tirer pour qu’il prenne conscience qu’il doit y répondre et je lui demande ce qu’on demande souvent aux enfants : « quelle est ton occupation préférée ? » La mère répond instantanément à la place de l’enfant : « il sculpte des personnages dans des bouts de bois ». L’enfant, effectivement, acquiesce : c’est la seule chose qui l’intéresse dans la vie, pas l’école. Il prend des bouts de bois — ils sont à la campagne — et c’est le seul moment où cet enfant est concentré. Là, il peut sculpter pendant des heures ces bouts de bois. Mais il a quatorze ans, c’est tout de même un peu grand !

La mère dit : « on aimerait qu’il fasse autre chose » et l’adolescent répond : « je veux être sculpteur sur bois », ce à quoi elle dit que ce n’est pas un métier. Alors, bêtement, je lui demande : « pourquoi ne veux-tu pas être sculpteur sur pierre ? » Pour moi, vu de l’extérieur, un sculpteur, c’est d’abord sur pierre. Il me dit exactement ceci : « parce que la pierre, c’est trop dur. Le bois, ça vit quand même, ça bouge mais pas trop. Le bois, c’est vivant comme les hommes, et en plus ça me calme. » Voilà une réponse très circonstanciée !

 

Philippe Servais – Bon, d’accord. Et quels personnages représentes-tu ?

L’enfant – En fait, c’est moi-même que je représente dans des tas de situations. Je suis, dit-il en riant, mon propre modèle.

 

Une fois le remède donné, le résultat a été assez stupéfiant: cet enfant a fait un bond scolaire extraordinaire. Il a pu réussir son année. On a poursuivi avec le même remède et il a été re-scolarisé très normalement. Ce fût un résultat assez étonnant, comme on peut en obtenir quand on a vraiment un remède très profond qui agit sur la structure de quelqu’un. Il a été transformé. Alors qu’est-ce que cela vous évoque ?

J’insiste sur le fait qu’effectivement — la mère me le disait et je l’ai observé — cet enfant était non seulement déconcentré, mais comme endormi, « mal éveillé » disait la mère. C’était l’impression qu’on avait : il était un peu rêveur, un peu « out », comme endormi. Il fallait tout le temps le réveiller quand on lui posait une question, le faire revenir, ça contrastait avec le fait qu’il était très agité. Ce qui m’avait frappé, c’était le côté très agité et en même temps endormi. C’est là qu’on voit les ressources extraordinaires de la Matière Médicale à travers le répertoire, des choses qu’on n’utilise pas alors qu’elles ont assez faciles à trouver.

 

Intervenant – Agitation avec somnolence.

Philippe Servais – Je suis parti là-dessus, agitation avec somnolence. Je ne sais combien il y a de remèdes, une dizaine à peu près. Ce n’était pas suffisant, mais quand vous avez l’histoire du sculpteur, du bois, vous trouvez. L'intérêt de ce genre de petit cas est de montrer qu’il faut aller dans le sens du patient, s’intéresser à ce à quoi il s’intéresse. C’est là que se trouvent sa spécificité et son imaginaire.

IntervenantPetroleum ?

Philippe Servais – Tu l’as trouvé de manière intuitive, mais il y a une manière plus technique de le trouver. C’était donc « agitation avec somnolence », et deuxième symptôme : « illusion qu’il est fait en bois ». En fait il se représentait lui-même, il disait : « je suis mon propre modèle », il avait l’impression qu’il était en bois.

 

Ce n’était pas prévu, mais Chantal Chemla me demande de dire quelque chose sur Petroleum. Vous connaissez tous les symptômes classiques de Petroleum, avec entre autre les vertiges, le flottement, les nausées… Pour comprendre Petroleum — c’est une métaphore que je fais, mais quand on l’a on comprend Petroleum —, imaginez la nappe de pétrole dans le sol, dans les profondeurs de la terre. Il faut savoir que cette nappe de pétrole est dans une terre essentiellement argileuse et qu’elle est contenue dans une poche argileuse. Vous voyez la consistance du pétrole : c’est fluide, c’est un liquide vraiment visqueux. La tendance de ce genre de substance, c’est de filer par tout interstice, de se répandre. Ce qui empêche le pétrole de se répandre, c’est qu’il est dans cette coque, dans cette matrice argileuse. C’est tout Petroleum. L’un des mots-clés de Petroleum, ce sont les limites, c’est-à-dire que lui-même est sans limites, d’où la tendance à la dispersion, à l’évacuation. En même temps, il a une structure extérieure à lui-même qui lui donne des limites. Toute la problématique de Petroleum est dans limites/non-limites.

Cela donne donc des personnages — j’ai deux ou trois cas Petroleum qui tiennent depuis de nombreuses années — qui, d’une manière caricaturale mais parfaite, vous apparaissent comme des gens évaporés, sans concentration, très distraits (presque avec un soulier noir et un soulier blanc), ou alors qui, par réaction à cette tendance, vous apparaissent en situation d’égotrophie par un excès de méticulosité et de maniaquerie, donc des gens très rigides, extrêmement structurés. Ils ne sont pas structurés de manière intelligente comme un Arsenicum très rationnel, mais dans le sens où ils attachent trop d’importance aux détails, où ils sont maniaques pour des petites choses, où ils s’y perdent. Ce sont des gens qui n’ont plus d’esprit de synthèse, mais qui ont un esprit analytique excessif pour des détails. D’ailleurs, dans la Matière Médicale, vous pouvez allez à la rubrique « consciencieux pour des broutilles ». Les remèdes sont peu nombreux : Graphites, Petroleum, Nitricum acidum… Vous aurez donc souvent les deux aspects d’un même personnage qui, par réaction à cette tendance à la liquéfaction et à l’expansion, vont devenir extrêmement rigides. On y reviendra éventuellement tout à l’heure car ça me fait penser à un cas.

Souvent, quand j’en prends conscience, quand il me faut cinq consultations pour trouver un remède, je me dis : le remède était là et je ne l’ai pas vu. Ce quelque chose de singulier qui signe le personnage qu’on a devant soi va souvent conditionner sa vie ou l’a déjà conditionnée, c’est dans ce sens là que je m’intéresse de plus en plus à la biographie, c’est-à-dire à la vie de la vie. A travers son imaginaire particulier, dont le remède est le pendant, la personne va créer sa vie. J’irai même plus loin, mais je ne vous oblige pas à me suivre là-dessus, en disant que le destin lui-même de la personne est compris aussi dans le remède. Souvent les individus Arnica ont pas mal de bosses et d’accidents.

 

* * *

 

Je pense à d’autres exemples. J’ai une amie, grande bourgeoise, nom à rallonge, grande noblesse qui remonte au Moyen Âge. Quand on la voit, c’est la classe, celle de ces aristocrates… Elle a quantité de problèmes de santé, entre autre, dès l’âge de 35 ans, deux phlébites sérieuses, des problèmes gynécologiques épouvantables. C’est quelqu’un de vraiment handicapé par son corps qui n’arrête pas de lui poser problème, entre autre des points de vue hormonal, gynécologique et aussi circulatoire. Elle est mariée avec un haut cadre qui gagne beaucoup d’argent, qui fréquente un milieu bourgeois dans les beaux quartiers. Ils ont donc des dîners, des réceptions, et paradoxalement cette fille est toujours en jeans — son mari s’en plaint d’ailleurs — avec à peu près toujours la même veste. Il n’y a qu’une chose qui la passionne vraiment, c’est de faire du cheval. C’est la passionnée qui n’est bien que quand elle est remplie de boue, etc. Son mari se plaint qu’elle n’est pas très représentative, si ce n’est son nom — un nom absolument magnifique, ça ouvre tout de même beaucoup de portes — et surtout elle ne se tient pas très bien dans les dîners.

Il faut dire une chose, c’est qu’elle est très tournée vers le sexe. Elle adore ça, elle a moult amants, c’est une des choses qui la passionnent le plus dans la vie avec le cheval. Quand à un dîner elle s’ennuie, elle s'en prend en général à un homme pour voir ses réactions, surtout pour voir la réaction de l'épouse, et elle sort des horreurs. En plein dîner, un dîner un peu trop sérieux où elle s’ennuie, tout à coup, elle pose la question qu’on ne pose pas, la question « qui tue ». C’est son plus grand plaisir ! Tout le monde est mal à l’aise et elle rigole.

Vous en avez peut-être rencontré, mais ce n’est pas courant comme personnage : des gens qui vous rentrent dans le lard. Par exemple, une autre patiente que je vois pour la deuxième fois pour des migraines. Je trouve le remède, donc ça avait tendance à aller mieux. Elle est mariée, elle a des enfants. Je la reconduis à la porte, je luis dis au revoir et, comme ça, ex abrupto, elle me dit : « et vous, vous êtes marié ? et votre femme, quel âge a-t-elle ? » J’étais tout de même un peu décontenancé… Dans ce cas, ce n’est pas du tout pour draguer, c’est comme ça. Ces gens qui vous rentrent dedans, qui rentrent dans votre intimité, qui n’ont pas le sens de la limite et qui disent ce qui ne se dit pas. Ce sont des gens en général — je parle toujours du même remède — qui a contrario sont très choqués du fait que vous vous permettez ceci ou cela avec eux. Ils vont trouver que vraiment vous osez leur poser telle question ou que vous osez faire ça avec eux ; vous n’avez pas pris les gants qu’il fallait pour leur répondre au téléphone ; vous avez été un peu trop direct ; vous n’avez pas été assez poli ; vous n’avez pas fait de sourire. Ils vous reprochent ce qu’ils projettent en fait sur les autres. Le mot-clé de ce personnage, de cette belle aristocrate, c’est « intrusion ». Elle fait intrusion dans l’autre et elle a le sentiment qu’on est intrus pour elle-même. Je suppose que vous trouvez le remède…

 

IntervenantConium ?

Philippe Servais – Oui, Conium. C’est un remède que j’avais étudié quand j’avais compris cette histoire-là.

Conium a donc une relation d’intrusion au monde, avec à la fois un désir et une peur d’être « violé », avec une inclination naturelle à violer d’abord l’autre pour le connaître plus à fond. En fait, il peut y avoir chez Conium une relation forte et puissante, comme une espèce d’identification à l’autre. Il projette sur l’autre son inclination naturelle à l’intrusion, et donc le vit comme intrus. L’autre est donc à la fois désiré et rejeté. Le nom de la plante va bien dans ce sens là, c’est le cône, donc l’interpénétration des éléments mâle et femelle : le cône est à la fois symbole phallique, donc intrusif, et le réceptacle à cette intrusion. Il est les deux en même temps. Quand on a compris ça, on a tout compris de Conium.

 

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C’est un pilote de ligne sur les Boeing 747, un homme extrêmement calme, comme on peut l’être lorsqu’on est pilote de ligne, un peu strict, presque un peu rigide, rationnel, presque une caricature d’Arsenicum album. Sur le physique il a des symptômes d’Arsenicum, ce qui fait que je vais le lui donner, mais aussi sur sa structure générale. Je l’ai vu pour un sale eczéma chronique de l’enfance, aussi parce que c’est un grand anxieux. Pour moi, en 5 ou 10 minutes, c’est un Arsenicum. Je lui donne donc Arsenicum et ça lui fait du bien. Mais j’ai beau réessayer, je n’arrive jamais à guérir son eczéma et je lui fais du bien, sans plus. Je ne suis pas sur le bon remède, mais sur un simile. Ce qui va me faire prescrire autre chose, c’est que je l’interroge sur le monde de l’aviation. J’apprends qu’il a été pilote de chasse pendant la guerre, ça m’amuse beaucoup.

Philippe Servais – En fait, si je comprends bien, vous avez toujours voulu être pilote d’avion.

Patient – Oui, dès l’âge de 6-7 ans je voulais être pilote de ligne.

Philippe Servais – Il y en dans la famille ?

Patient – Il n’y a aucun rapport avec l’aviation dans la famille.

Il n’y avait jamais eu d’influence, ne fût-ce que de copains. C’est donc chez lui, dès le départ, l’envie d’être pilote qui lui est venue sans contexte. J’ai donc considéré que c’était son véritable imaginaire, ce qui m’a permis de donner un autre remède qui l’a totalement guéri de son eczéma et qui l’a énormément amélioré sur le plan de son anxiété. Vous avez une idée ?

 

Différents intervenants – Désir de voler, Chocolat ?

Philippe Servais – A l’époque je ne connaissais pas Chocolat, je ne pouvais pas le prescrire. Il n’a pas pu me dire pourquoi il voulait être pilote, ça lui est venu dans la petite enfance.

Intervenant – A « rêve de voler », peut-être ?

Philippe Servais – Il voulait être pilote, comme je voulais être fermier quand j’étais petit. J’ai changé d’avis, mais pas lui. Il a suivi la même ligne : pilote. On part d’un cas évident d’Arsenicum qui aurait dû marcher.

Intervenant – « Rêve de voler dans les airs, en avion », il y a plusieurs remèdes.

Philippe Servais – Je vous aide pour avancer. Vous savez bien — je le fais systématiquement — que pour tout ce qui est de l’ordre de l’imaginaire, il faut associer rêves, peurs, etc. Si on rêve il faut prendre les illusions, s’il y a des illusions il faut prendre les rêves, il faut mettre tout cela ensemble.

IntervenantCalcarea arsenicosa ?

Philippe Servais – Ah bon, sur quels symptômes ?

Intervenant – Dans « illusion de voler » il y a Calcarea arsenicosa qui ressemble à Arsenicum.

Philippe Servais – J’espère que je ne me suis pas trompé, je suis en train de le vérifier, mais ce n’est pas ce que j’ai donné... Non, je ne me suis pas trompé ! Tu as dit Calcarea arsenicosa ? Mais non, il n’a pas l’illusion qu’il vole, ce n’est pas ça ! Il n’a jamais dit : « quand j’étais petit j’avais l’impression de voler ». Là, tu fais de l’interprétation ! Il y a une nuance que vous n’avez pas trouvée dans les sous-rubriques : must fly, il doit voler ! Donc son remède, c’est Arsenicum sulphuratum flavum. Effectivement, on était sur Arsenicum. Comme s’il devait voler, c’est presque une obligation du destin.

 

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J’ai donné des exemples qui sont très individualisés pour montrer que ce quelque chose de singulier qui intéresse l’homéopathe n’a pas toujours de rapport ave la pathologie, et pour attirer votre attention sur le fait qu’on a tendance à mettre dans le même lot les symptômes pathologiques et les symptômes comportementaux. Dans ceux-ci on confond souvent les symptômes comportementaux eux-mêmes pathologiques et ce qui est la simple expression de sa nature en soi. La tendance est de mettre ensemble des symptômes qui ne vont pas ensemble. On aura tendance à faire une répertorisation en prenant les symptômes liés à une cause externe et ceux liés à une cause interne à l’individu. Par exemple, si voulez résoudre un problème à la suite d’un événement — une peur, un chagrin, etc. — et que vous décidez de faire un travail circonstanciel pour aider la personne immédiatement — "depuis que mon enfant a failli être renversé par une voiture dans la rue" —, vous pouvez le faire en prenant à ce moment-là un ensemble de symptômes qui collent avec cette situation externe. Mais vous ne pouvez pas mettre en même temps « suite de peur » et « transpiration malodorante des pieds », ça ne va pas ensemble. Il faut toujours qu’il ait dans une répertorisation une logique.

Dans les exemples que j’ai donnés précédemment, j’ai profondément singularisé les patients et cependant on peut avoir aussi des traits de personnalité plus généraux qui ne sont pas nécessairement inintéressants. Je vous donne des exemples qui définissent des personnages, ce n’est pas un personnage mais un ensemble de personnages. Ce sont des symptômes, des signes, qui se trouvent dans la matière médicale et dans le répertoire comme l’indignation, la sentimentalité, l’affectivité excessive, l’esprit logique, le sens de la responsabilité, voire le sens du commandement, ou alors le contraire : la trop grande tolérance (on se fait marcher sur les pieds), l’esprit d’initiative, un trop grand fatalisme (quelque fois le fatalisme est vraiment pathologique, quelque fois il est vraie sagesse), une indépendance farouche ou une conscience aiguë de la précarité de la vie face à la mort, etc. Ce sont des traits généraux qui donnent un premier niveau hiérarchique dans l’ordre de la singularité. Par exemple, tel est connu par ses pairs comme étant un indigné qui monte au créneau à la moindre situation politique ou idéologique. C’est un personnage, cela correspond à un premier niveau hiérarchique. Est-ce que ce sont des symptômes de valeur au pont de vue homéopathique ? A mon avis, oui. Ils n’ont pas la valeur des symptômes que j’ai tirés tout à l’heure, bien sûr, mais ils ont quand même de la valeur parce qu’ils conditionnent déjà par eux-mêmes la vie de la personne. Ils conditionnent sa vie, ses choix, ses rencontres — l’indigné fréquentera peut-être le milieu syndical —, ses conflits futurs, potentiels — il se fera frapper dans la rue ou bien il quittera l’INHF en catastrophe en claquant la porte et en disant que c’est une école de nuls, etc.

Ces conflits potentiels sont eux-mêmes sources de maladie. On en sait quelque chose par ceux qui s’intéressent maintenant au décodage biologique. On sait qu’il y a des conflits qui sont potentiellement pathogènes. On sait aussi — c’est là que l’homéopathie peut chapeauter ce genre de choses — que tout le monde ne mémorise pas de façon potentiellement pathogène tout traumatisme subi. Par exemple, quelqu’un sera sensible à un conflit de territoire et fera une pathologie rénale, tel autre non, ce n’est pas son truc. Nous avons déjà là le génie du remède, du simillimum de la personne, qui fera en sorte que sa vie évolue d’une certaine manière ainsi que sa pathologie.

Dans les exemples que je vous ai donnés tout à l’heure, l’intolérance, l’indignation, tous ces grands traits de personnalité, vous-mêmes avez déjà reconnu certains remèdes. Il y a l’éthique — Ignatia est le grand éthique de la matière médicale —, il y a la raideur de Thuya, il y a le souci de Staphysagria de ne pas prêter le flanc à la critique, etc. Bien sûr, en poussant plus loin on découvre, comme dans mes exemples, des manières beaucoup plus personnelles de manifester Ignatia, de manifester Thuya, de manifester Petroleum. Dans les caractéristiques générales de tous ces remèdes qu’on appelle les polychrestes, il y a déjà leur dynamique propre.

En fait, et c’est là que je voulais en venir, je me suis posé pas mal de questions après plus de 25 ans de pratique. Bien sûr, plus j’avance, plus j’ouvre ma Matière Médicale et donc plus je prescris de remèdes différents, mais il faut reconnaître qu’il y a un certain nombre de patients qui correspondent à des polychrestes, et ce sont les remèdes que je prescris le plus souvent. Ceux-là, du moins un certain nombre d’entre eux, je ne les prescris pas par facilité, je les prescris parce que sont des simillimums. Il y a quand même, statistiquement dans la clientèle, plus de vrais simillimums Sulfur ou Ignatia qu’il y a de vrais simillimums Arseniucm sulfuratum flavum. Cela me pose question dans la mesure où en homéopathie nous sommes dans l’individualisation et où le discours de ces dernières années a été de dire : on prescrit des polychrestes parce que c’est ce que l’on connaît. Ils sont approximatifs, mais c’est en en fait parce qu’il y a 3 500 remèdes qu’on ne connaît pas et qu’on ne prescrit pas. C’est vrai et ce n’est pas vrai. Il n’empêche qu’il y a des gens pour lesquels, en ré-analysant vraiment les choses après leur avoir donné un polychreste au fil des ans, celui-ci semble être réellement leur simillimum. Je me pose toujours inlassablement la question d’année en année avec les patients, en me disant : d’accord, je lui donne ça, mais il faut peut-être que je trouve autre chose. Parfois je trouve autre chose, mais parfois non. L’idée m’est venue que ce n’était peut-être pas étonnant parce que les polychrestes correspondent en fait aux archétypes de l’humanité. C.G. Jung a été le premier à le dire et à le montrer, notre humanité ne fonctionne pas sur un nombre illimité d’archétypes.

Je vous parlais par exemple de Petroleum : Petroleum est l’archétype du fini et de l’infini, du limité et de l’illimité. Pour ceux qui connaissent un peu l’astrologie, Petroleum correspond à Saturne et Neptune dans une problématique Poissons. Nous avons vraiment affaire à un archétype, il n’y en a pas des millions. Je pense donc qu’il faut se déculpabiliser du fait qu’on prescrit plus les polychrestes que les autres remèdes. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher autre chose, mais ils peuvent être vraiment des remèdes très profonds. Ce sont des remèdes qui sont très connus, mais effectivement, pour prescrire un Staphysagria, on n’a pas toujours besoin, comme je vous l’ai montré pour des petits remèdes, d’aller trouver la même chose. Quelquefois on prescrit juste sur une ambiance, juste sur des symptômes très classiques.

Cela explique donc que, étant donné que ce sont des archétypes, ils correspondent au simillimum d’une majorité d’individus. N’oubliez pas une chose à propos d’originalité personnelle - c’est une erreur que j’ai commise pendant un certain temps - : quand j’avais affaire à des gens qui me paraissaient hors du commun en consultation, je me disais : lui, ce doit être un remède hors du commun? Or, c’est faux. Vous avez des gens qui sont hors du commun et qui sont en similitude avec un polychreste, et vous avez des gens qui ne sont pas hors du commun, qui sont même très communs, et pour qui il faudra trouver un remède qui n’est pas simple à trouver.

Ces archétypes sont en similitude à la fois avec certains remèdes et certains patients. Cela correspond à un premier niveau hiérarchique sur le plan de la valorisation. Mon vieux maître qui m’a appris l’homéopathie m’avait dit : « tu peux démarrer une clientèle correcte, faire un travail tout à fait propre, d’excellente qualité et déjà meilleur que celui des allopathes, si tu connais les polychrestes. » Et il n’avait pas tort. C’est là-dessus qu’on fait sa clientèle et qu’on fait du bon travail.

La connaissance subtile du profil archétypal des polychrestes est une aide absolument inestimable. Elle permet soit de prescrire un bon simile qui va faire avancer les choses et résoudre le problème de la personne, son urgence, etc., soit même de trouver le simillimum. Cela permet quelque fois de gagner un temps fou dans la prescription, même si, effectivement, sur le plan de notre ego, on préfère aller trouver un petit remède de derrière les fagots ou un symptôme extraordinaire pour pouvoir le présenter aux amis.

 

Une dernière réflexion que je voudrais vous faire, c’est la question qu’on doit se poser au moment de la prescription, c’est ce que j’appellerais la question du sens. De même qu’un remède a sa propre logique interne — actuellement, dans tous les groupes de travail sur les matières médicales, on essaye justement de trouver ce que d’aucuns appellent le noyau du remède, l’essence du remède, trouver la logique interne du remède —, de même le patient qu’on a devant nous a lui aussi sa logique interne et il exprimera ce qu’on pourrait appeler son propre leit-motiv.

Il ne suffit pas de trouver les bons symptômes, il faut pouvoir analyser si le remède auquel on pense est en adéquation avec l’individu qu’on a devant soi, c’est-à-dire si le remède qu’on a trouvé prend sens au regard du patient. Est-ce que ça a du sens ? Est-ce que, si je lui prescris Thuya, ça aura du sens ? Cela demande effectivement d’avoir une compréhension du sens de Thuya. Qu’est-ce qu’on peut donc entendre par leit-motiv ou fil d’Ariane (c’est une autre manière le dire) ? Quel est le fil d’Ariane de chacun ? Je vais vous donner un exemple.

 

* * *

 

Monsieur X a 55 ans. Il tient une galerie d’art dans un des plus beaux quartiers de Paris. S’il vient me voir, c’est pour deux raisons : premièrement il fait des épisodes assez fréquents d’hypotension, ce qui étonnant pour un homme de 55 ans, donc pas de dynamisme, pas d’énergie, et deuxièmement, il a un problème sexuel - c’est même la raison principale de sa venue, sous l’instigation de sa femme qui est sa deuxième femme et que je connais par ailleurs, c’est une patiente - . Il vit ce que j'appellerais l’amour de la maturité, c’est-à-dire un deuxième grand amour après une première vie. Lui et cette femme s’entendent à merveille, ils se sont trouvés, mais il y une chose qui pose problème au couple. En fait, ce n’est pas à lui que ça pose problème, c’est à elle. Elle voudrait une sexualité plus épanouie mais notre homme, par ailleurs très ardent, "conclut" vraiment trop rapidement. Elle ne supporte plus cette situation, ça lui pose un problème.

Il vient pour de la fatigue chronique, mais me dit d'emblée que la raison principale, c’est cette difficulté. Bien sûr, je ne vous donnerai pas de symptômes très précis, mais quel est le profil de ce personnage ? Il me dit :

« En fait, moi qui ai toujours été passionné d’art, la vie s’est faite de telle manière que je suis devenu galeriste et que les affaires ont bien marché. Ça m’est arrivé comme ça, je n’ai pas vraiment fait d’efforts. Vous savez, je suis très mauvais homme d’affaires, je n’ai aucun esprit pour les finances. Ça vient, ça vient ; ça vient pas, ça vient pas. La chance a fait que c’est venu et que ça continue à venir. Fondamentalement, je suis un paresseux, sinon un paresseux du moins un lymphatique, je suis un contemplatif. Je suis passionné d’art et de même je suis passionné par le fait de rencontrer des grands peintres, etc. J’ai la chance d’avoir cette galerie qui marche (en fait ça marche à un niveau international). »

C’est un homme qui a un sens du plaisir de la vie. On le sent quand il parle d’un tableau ou qu’il parle de son métier, on sent quel plaisir il a. De même, lorsqu’il me parle de son désir de beaucoup de choses, il me dit : « j’ai une manière de goûter le chocolat telle que je suis dans le plaisir. » Pour l’amour, c’est pareil, ça l’intéresse beaucoup, il adore faire l’amour : « oui, mais je suis tellement dans le plaisir que je me jette tout de suite ! »

 

Philippe Servais – Qu’est-ce qui vous fait avancer dans la vie ?

Le patient – Ce qui me fait avancer, ce n’est sûrement pas moi, ce sont les impulsions extérieures. Je suis embarqué par tel ou tel, ou alors je suis embarqué par mon propre plaisir, mais ça vient ou ça ne vient pas. Je vais faire une affaire merveilleuse avec tel peintre parce que ce peintre va me passionner, je vais adorer ce qu’il fait. Je suis pris par cette espèce d’énergie du plaisir. Ou alors tel marchand de tableaux londonien va venir et va m’embarquer dans une affaire. Là, je peux développer une bonne énergie, je fais ce qu’il faut, j’y vais, etc. Puis une fois que l’affaire est faite ou que le peintre se vend tout seul, je retombe dans ma torpeur. Pour ma compagne, c’est pareil : elle se plaint du fait que c’est toujours elle qui prend toutes les initiatives. Si elle m’embarque dans son énergie — il faut dire que c’est une Phosphorus, donc elle a une certaine énergie — tout va bien, mais si elle n’était pas là pour me secouer un peu, je serais beaucoup plus contemplatif.

Heureusement, pour lui mais surtout pour sa compagne, le remède que je vais lui donner va lui permettre de beaucoup mieux fonctionner sur le plan sexuel parce qu’il pourra enfin prendre le temps qu'il faut ! En outre, et c’est ce qu’il apprécie le plus, ce remède va lui donner une énergie qu’il n’a jamais connue auparavant.

 

Le patient – Je suis devenu beaucoup plus disponible au monde et aux choses.

Philippe Servais – Oui, j’ai remarqué pour la première fois, quand j’ai ouvert la porte de la salle d’attente, que vous avez presque sauté du fauteuil pour vous lever.

Le patient – Ah bon, je ne faisais pas ça avant ?

Philippe Servais – Non, pas vraiment ! vous étiez beaucoup plus lent.

Le patient – C’est ça, j’ai l’impression que mon énergie est plus disponible. D’ailleurs je suis devenu plus entreprenant, on s’en aperçoit autour de moi. Le matin, je me réveille avec beaucoup plus d’énergie.

 

Il faut dire que, pour lui, le matin c’était l’horreur. Heureusement, dans ce genre de métier on n’est pas obligé de se lever à six heures du matin ! Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

 

Une intervenanteOpium ?

Philippe Servais – C’est vrai qu’on pourrait penser à Opium, je n’y ai pas pensé.

Un intervenantTaraxacum ?

Philippe Servais – Oui, c’est intéressant. Je n’y ai pas pensé, mais Taraxacum, il faut le mettre en marche. C’est l’histoire de ce vétérinaire qui soignait un cheval de course. Le problème de ce cheval de course, c’est qu’on ne savait jamais s’il allait faire le course ou pas. C’est comme ces patients qui ont toujours « un pet de travers », avec lui on avait l’impression qu’au moment où il allait faire la course, il se passait toujours quelque chose qui faisait qu’il ne partait pas ou qu’il partait en retard. Il lui est même arrivé de se coucher sur la piste, on ne pouvait plus le relever. Ce n’était pas son jour. Comme c’était en plus un cheval hyper-doué, il est devenu un champion à partir de Taraxacum. Taraxacum c’est ça, il faut le mettre en marche, et une fois qu’il est mis en marche il est brillant, il a de l’énergie, etc. C’est vrai que de penser à Taraxacum n’est pas inintéressant dans le cas de ce monsieur. Il faut vous dire aussi que j’ai été guidé par deux ou trois symptômes en plus des symptômes banals, par exemple l’éjaculation précoce.

 

Un intervenant – Carbo vegetabilis ?

Une intervenante – Il n’est pas dans « éjaculation précoce », mais j’avais pensé à Syphilinum pour l’histoire du plaisir. Et on a l’impression qu’il manque un peu de structure parce que si les autres le structurent, il arrivera à avancer.

Philippe Servais – Il y a un côté Syphilinum qui est tout de même beaucoup plus pathologique. Lui, c’est un homme qui n’est absolument pas pathologique, c’est un homme et puis voilà.

Effectivement, c’est Carbo vegetabilis. Est-ce que je vous dis deux mots de Carbo vegetablis ?

 

C’est un remède qu’on connaît bien, qu’on devrait tous avoir dans notre trousse d’urgence. On le connaît déjà dans ce sens là, mais c’est aussi un personnage à part entière. Il faut se souvenir de l’origine du produit, et si on la connaît on ne s’étonne pas de ses caractéristiques. C’est donc le charbon végétal, vous savez certainement comment on le prépare. Il est à la fois carbonisé, mais pas trop : il a encore la possibilité de provoquer le feu.

C’est donc une situation entre deux, on est quelque part entre deux mondes, et ce qui le caractérise, c’est à la fois l’élément air et l’élément feu. Ça me paraît assez important d’un point de vue de médecine chinoise. Pour s’enflammer, le charbon de bois a besoin d’air, et d’ailleurs le patient Carbo vegetabilis a tendance à se gonfler d’air. Attisé par cet air dont il a tendance à se gaver, le feu monte en lui. Nous avons d'ailleurs aussi beaucoup de symptômes de feu, par exemple le fait de mal supporter un soleil trop intense ; les congestions du visage ; les bouffées de chaleur, surtout vers le haut du corps, dans un lieu qui est trop chauffé (il le supporte mal) ; ou alors à la suite d’une émotion ; la plage en plein été, qui n’est pas bien supportée, ou alors avec le besoin constant de se refroidir dans l’eau. Si on cautérise ou qu’on opère des hémorroïdes chez un Carbo vegetabilis, cela va déclencher ailleurs des saignements systématiques. Quelque part, il faut que ce feu sorte.

C’est en même temps un personnage très sensible à l’air froid — il est dans la rubrique « ne supporte ni le très chaud ni le très froid ». Il est donc sensible au froid, au passage de l’air, aux courants d’air, et en même temps il a besoin de beaucoup d’air, c’est donc assez complexe. C’est exactement comme le charbon de bois, comme la bûche dans l’âtre : besoin d’air, mais ni trop ni trop peu, dans les nuances. Tout personnage Carbo vegetabilis est régi par cet espèce d’équilibre précaire : ou bien il s’éteint trop vite, ou bien il s’enflamme à l’excès. Son problème est de trouver le juste équilibre entre les deux.

Par exemple, son esprit va s’embrumer facilement. Pour retrouver ses capacités mentales, il aura besoin de s’ébrouer. Le contact avec les autres lui prend vite son oxygène, il supporte mal les longues conversations. Le crépuscule est un mauvais moment pour lui, dans cette heure entre chien et loup, à la tombée du jour, de la lumière, du feu donc. Notre personnage de tout à l’heure, galeriste, me disait qu’il sentait l’anxiété monter au fur et à mesure que le soleil déclinait. Il ne me l’a pas dit comme ça, mais c’est ce que ça voulait dire, c’est à dire que l’anxiété montait vraiment en fin de journée, vers 6, 7, 8 heures du soir. Un sentiment d’être mal et de ne pas être disponible au monde, avec même de la tristesse chez certains. A ce moment là sa voix s’enrouait, se voilait. Il avait à cette heure-là des frissons.

Chez Carbo vegetabilis, la vie est ponctuée de phases de lumière et de ténèbres. Sans appel de l’extérieur — c’est l’air qui ranime le charbon de bois — il a tendance à s’éteindre, à sombrer dans une espèce de vie très ralentie. Mais pour peu qu’un élément extérieur lui rende sa motivation — la motivation est très importante pour Carbo vegetabilis — il retournera alors à la vie, il se rallumera. Et quand il se rallume, il peut le faire avec excès. Cela donnera des personnes qui peuvent être quelquefois trop dans le repli et quelquefois trop dans l’exubérance. Chez notre patient, cela donne de l'éjaculation précoce.

Les gens fatigués sont des personnes qui peuvent vous dire ça : « docteur, je suis souvent fatigué et, je ne sais pas pourquoi, de temps en temps j’ai de l’énergie et ça va bien ». Il faut leur poser la question : « pourquoi ? qu’est-ce qui se passe à ce moment là ? » Pour Carbo vegetabilis, souvent, c’est parce qu’il est tout à coup motivé par quelque chose. C’est soit une motivation qui vient de l’extérieur, soit une motivation qui peut lui être personnelle, c’est-à-dire tout à coup une passion, une intuition, un intérêt qui naît en lui. C’est exactement ce qui se passait pour ce galeriste. Nous allons trouver dans la Matière Médicale cette thématique de feu, de chaleur, d’air mais aussi d'eau et de terre (dont le remède vient). Je me suis amusé d’ailleurs à répertoriser tous les symptômes qui correspondent à ces différentes thématiques.

Il y aussi une grande thématique des "autres", un gros rapport aux autres : au monde extérieur, aux étrangers, au bruit que fait l’extérieur, au fait que quelqu’un s’approche, aux bruits des pas etc. Et puis, il y a ce thème capital de "s’allumer-s’éteindre", qui est extrêmement présent dans Carbo vegetabilis.

 

* * *

 

Je ne sais pas si j’arriverai à respecter ce que j’avais prévu, mais avant le déjeuner j’aimerais pouvoir vous raconter trois histoires.

 

La première — peut être l’un ou l’autre d’entre vous l’a-t-il déjà entendue, mais de toute façon ce que je vais en dire sera différent — est un cas qui remonte à 1988 et qui tient toujours la route à l’heure actuelle. C’est un cas assez complexe.

Il s’agit d’une femme qui s’appelle Chantal, qui avait 33 ans à l’époque et qui se baladait dans les services hospitaliers et dans la médecine depuis longtemps parce qu’elle avait des symptômes qui l’envoyaient tantôt en neurologie, dans les services spécialisés, tantôt en psychiatrie. En fait, c’était tout le jeu des allopathes de se renvoyer la balle, elle passait des services de neurologie aux services de psychiatrie. Pourquoi ? parce qu’on avait fait le diagnostic d’une forme bizarre de sclérose en plaques, de myélite, de pathologie neurologique qui n’arrivait pas à rentrer dans un cadre nosologique bien déterminé. Comme c’est un personnage étrange et particulier, ils la passaient en psychiatrie car il faut reconnaître qu’elle avait des manifestations psychotiques.

En fait, elle souffrait depuis longtemps le martyre avec des douleurs atroces par moments, essentiellement dans les membres, qui donnaient des paresthésies et toute sorte de symptômes neurologiques qu’on peut retrouver dans la sclérose en plaque, mais avec cette notion de douleurs effroyables que certains qualifiaient d’hystéroïdes. C’était donc quelqu’un de très malheureux. Cela donnait un état comportemental très particulier qui faisait qu’elle était souvent terrée chez elle avec une symptomatologie liée au mouvement. Elle avait une aggravation vis-à-vis du mouvement, mais aussi une peur psychologique du mouvement qui faisait que le mouvement la terrorisait. C’est un cas qui a été très révélateur pour moi d’une certaine manière de penser et qui m’a donc fait évoluer. Pour moi, c’est un cas important parce que j’ai été frappé par sa symbolique après l’avoir résolu : cette patiente a été complètement guérie. Après l’avoir résolu de manière répertoriale et classique, j’ai repris a posteriori l’interrogatoire pour en savoir plus et j’en ai tiré un certain nombre de choses. J’ai compris a posteriori combien ce cas m’avait d’abord étonné et donné envie d’en savoir plus.

C’est donc une patiente qui a 33 ans, qui est architecte et qui a un nom à consonance portugaise. Elle est célibataire sans enfants. Rien qu’à sa tête on la trouve assez bizarre, un peu particulière. Elle a un regard un peu fou, un peu exalté. On sent une flamme, une espèce de passion dans ses yeux, on sent une vive intelligence. On sent chez elle ce que vous avez peut-être remarqué parfois chez des gens qui ont une compréhension, un ressenti de la vie qui éclairent un visage, des gens qui considèrent normales des choses qui, sur le plan de la société actuelle, ne sont pas considérées comme normales. On sent qu’elle fonctionne de manière peut-être décalée dans sa tête et dans son raisonnement.

Elle est donc architecte et sa spécialité, c’est de s’occuper de ruines qu’elle remet en état, que ce soit en Espagne un vieux moulin dont il faut refaire les murs, ou bien sur Paris une ancienne entreprise qu’on transforme en loft. S’il n’y a pas du vieux, du croulant, du pourri, ça ne l’intéresse pas (elle vit d’ailleurs un peu difficilement, les affaires sont dures). Les douleurs qu’elle ressent sont horribles, atroces, paroxystiques. Ce sont des douleurs déchirantes et elle emploie des mots comme « je suis crucifiée, je suis écartelée, je suis broyée », etc. C’est quelqu’un qui est un peu clairvoyant, qui a une espèce d’intuition fulgurante.

Il y a une notion de peur par rapport au mouvement. Comme elle a fait pas mal de psychanalyse, elle a l’intime conviction que ça vient de son enfance : il ne fallait pas qu’elle bouge dans son lit parce qu’elle dormait dans la chambre de ses parents et qu’elle était censée dormir et ne pas entendre ses parents en train de faire l’amour.

Ce ne sont pas seulement les douleurs qui sont présentes, c’est aussi la difficulté d’être dans la vie, dans l’existence. Elle est angoissée en permanence, elle me dit : « je suis dans la vie, dans mon corps, comme enchaînée, torturée. J’ai l’impression de ne pas être moi-même, d’être à côté de moi-même, parce que je suis — c’est elle qui emploie le mot — possédée, j’ai l’impression qu’il y a un monde fou en moi. De toute façon, je suis quelqu’un de très dissocié, mon côté gauche et mon coté droit sont séparés ». C’est à partir de tous ces symptômes-là qu’on a considéré qu’il y avait un aspect psychotique chez elle. Ce qu’elle peut avoir par moment, ce sont des griffures sur le visage, une sensation de griffures. « Lorsque je suis trop mal, je sors de moi, je sors dans l’astral. »

Elle a un gros traumatisme (ce n’est pas vraiment le cas dans la réalité) : un sentiment d’abandon. D’ailleurs elle me dit : « cette sensation d’abandon est tellement présente chez moi que je m’intéresse aux maisons abandonnées » et elle emploie des expressions comme « je suis en ruines, je restaure des ruines ». Par exemple elle dit : « j’ai mal aux os, comme si mes os voulaient dire quelque chose, comme s’ils voulaient dire qu’ils existent ». Elle rêve de squelettes, ou alors elle est dans la rue et elle voit le squelette des gens. Quand elle rêve de squelettes, ça veut dire qu’on va lui proposer une ruine à restaurer. Elle fait des rêves épouvantables, des cauchemars. Elle dit : « je ne sais pas où je suis, je ne sais pas quelle partie de moi est moi. »

J’ai donné un remède à partir de là. Je peux vous en dire deux ou trois choses. Après la première dose que je lui ai donnée en 30 CH, elle me rappelle trois semaines plus tard au téléphone en me disant : « j’ai mal partout, dans tous les os plus que jamais, je suis vraiment dans une grande souffrance… » et au dernier moment elle me dit : « je vais mieux ». Elle me rappelle encore huit jours plus tard en disant : « c’est royal, les douleurs vont nettement mieux », elle commence à se sentir mieux. Deux mois après je lui redonne une dose en 200 K. Ça va à nouveau la travailler, mais la première chose qu’elle me dit, c’est : « maintenant, les portes de la prison se sont ouvertes, mais je ne peux pas encore sortir bien que je ne sois plus enchaînée ». Je lui demande : « comment vous voyez-vous ? » et elle répond : « je me vois sur une grande barque éclairée par la lune, il faut lever l’ancre pour avancer ».

Je lui donne un placebo et elle revient quelques temps plus tard en disant : « enfin je commence à sentir mes différents organes. Des choses arrivent dans ma vie, je suis entrée dans la réalité, je ne me sens plus séparée du monde ». Je lui donne enfin une XMK : elle souffre de moins en moins, elle se sent transformée, elle est de mieux en mieux dans sa peau. Elle va finir par guérir complètement.

J’ai donc résolu ce cas à partir d’un certain nombre d’éléments que je vous ai donnés, puis je l’ai ré-interrogée plus tard et j’ai appris qu’elle avait passé son enfance dans une famille de Portugais, une enfance assez tragique parce que sa famille avait été déchirée par un drame, un accident de voiture qui avait décimé une partie de la famille. L’autre moitié de sa famille est venue travailler en France et de plus cette partie française est devenue communiste. Ça les a encore plus séparés de leur pays, de leur lien affectif et culturel. J’ai continué à l’interroger et je lui ai fait parler de son enfance. Elle me dit : « ce qui est extraordinaire, c’est que mon jeu d’enfant dont je me souviens le mieux est la relation que j’avais avec une poupée que je considérais comme ma jumelle, à qui je racontais toutes mes confidences et avec qui j’inventais toute sorte d’aventures. En plus cette poupée était une poupée sans bras. » Cette poupée était en fait sa jumelle, son double. A partir de là, j’ai trouvé des symptômes extraordinaires dans la Matière Médicale, que j’ai rajoutés a posteriori.

Avez-vous des idées ? Il faut connaître la thématique du remède, c’est vrai. Les symptômes que je ne vous avais pas donnés, c’est la sensation d’être coupée en deux, divisée en deux, c’est « sensation d’arrachement d’un membre ». Elle avait l’impression que le bras était arraché du corps, avec cette sensation qu’elle était en morceaux. C’est tout à fait la thématique de Baptisia : Baptisia a perdu son unité, il est morcelé, et il y aura cette tentative de refaire cette unité.

C’est un personnage étonnant ! L’histoire de l’enfance et de la poupée qui n’a plus de bras, qui est son double, l’histoire du morcellement familial : il y a eu un drame, la famille a été décimée, une partie de la famille s’en va, une autre se détache encore plus du reste par son appartenance au communisme, la famille est éclatée en morceaux.

Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’en détecter pour les grippes : les grippes Baptisia sont des grippes « cognées ». De plus, le symptôme qui fait prescrire Baptisia dans une pathologie septique sérieuse, c’est l’absence de douleur. Ils sont dissociés, ils ne sont pas en eux, ils sont détachés de leur corps, de leurs douleurs, de leurs symptômes. C’est pour ça que vous avez par exemple une angine blanche épouvantable et que la personne mange, boit et ne sent rien. J’ai pris ce cas parce qu’il est cohérent. « Illusion que les bras sont coupés », « illusion comme si un autre soi était en dehors de soi » !!

L’intérêt de continuer à étudier les remèdes en profondeur, qui n’est possible que quand on a eu de vrais cas personnels en clientèle et qu’on a donc ressenti le remède, c’est que cela permet de comprendre comment tel ou tel remède donne sens au patient. On peut devenir un simile, mais pas un simillimum, qu’on est dès le départ. A la fécondation commence la vie : un embryon de deux mois a déjà son simillimum. L’expression du remède se fera au fur et à mesure de la vie. On n’est pas sensible aux mêmes traumatismes physiques, psychiques, etc. On naît avec son talon d’Achille, sa vulnérabilité première et selon que la vie, les évènements, les traumatismes toucheront cette vulnérabilité, les aspects du simillimum s’actualiseront plus ou moins. Le destin de quelqu’un est inscrit dans son simillimum. On peut aller jusqu’à dire que c’est parce qu’elle est Baptisia qu’elle est née dans une famille morcelée.

 

Il y a deux modes de prescription en homéopathie :

1) Un évènement « suite de » (Opium, Aconit), qui permet souvent de faire du bon travail.

2) On peut penser que si cette personne a vécu si douloureusement tel ou tel problème, c’est qu’il faut regarder ça comme un symptôme en soi, et non pas « suite de », qui va donner une coloration de la personne. Par exemple, les cinq ruptures sentimentales terribles que la personne raconte, on va les garder, ou bien une vexation à l’école, une mortification suite d’amour propre blessé vécue dans le passé, cela peut être gardé même si ce n’est plus d’actualité, mais ça permet d’éclairer le cas.

 

* * *

Je vais vous parler assez rapidement d’un autre cas qui date de 1993. C’est un garçon de 27 ans qui vient me voir pour un état de fatigue avec de la constipation, de l’acné rebelle, un état d’anxiété chronique et un sentiment de frustration à la fois personnel et professionnel. A partir de là sort Phosphorus 30, et un mois après il me téléphone en me disant que le remède lui a fait du bien, qu’il se sent moins fatigué, qu’il est moins anxieux. Mais ce qui l’embête, c’est qu’il a une sale laryngite depuis 8 jours, les gencives lui font mal, elles sont gonflées. Je le fais venir à mon cabinet pour le voir, je l’examine : effectivement il a un état inflammatoire et sa voix est d’ailleurs très enrouée. Je ne trouve pas ça clair du tout : ce n’est pas une aggravation et ce n’est pas possible que ce soit une manifestation pathogénétique après un mois. Je ne le sens pas bien et je l’envoie chez un ORL après lui avoir donné une dose de Phosphorus 15. Effectivement, l’état inflammatoire disparaît dans les quelques heures, mais il subsiste un enrouement qui se transforme en aphonie. On lui fait un diagnostic de paralysie du nerf récurrent gauche et on trouve à la fibroscopie, dans la bronche du lobe supérieur, une énorme inflammation avec une espèce de furoncle. Sur la radio pulmonaire on voit que le médiastin est envahi de ganglions. C’est un Hodgkin.

Quand je revois le patient, il est redevenu très fatigué et dépressif, je suis obligé de me mettre à côté de lui pour lui permettre de chuchoter. Je poursuis la consultation et il m’explique qu’à 18 ans il a commencé des études de vétérinaire, qu’il poursuivra deux ans, puis il change d’orientation : il fait des études à l’IUFM, mais il n’a jamais exercé son métier d’instituteur. Il fait des petits boulots puis après un certain temps il décide de travailler de ses mains et d’apprendre l’ébénisterie. Il fait des études d’ébénisterie et obtient un diplôme d’ébéniste. Au moment où je le vois, il travaille dans le bâtiment et il envisage de s’installer comme artisan indépendant. Mais en même temps il n’a qu’un rêve, c’est de devenir artiste peintre. Donc, parallèlement à la menuiserie, il va suivre des cours de dessin et de peinture. Il me dit : « déjà mes parents s’arrachaient les cheveux car je ne savais jamais ce que je voulais faire. D’ailleurs en amour c’est pareil, d’un côté j’ai envie de quelque chose de stable, et puis d’un autre côté, dès que je suis avec une amie, je cherche à en séduire une autre. J’ai toujours eu envie d’une chose et de son contraire ».

A partir de là, le remède que je lui ai donné a permis à sa voix de revenir en l’espace de 15 jours et, en l’absence de traitement allopathique installé, les examens ont montré la liquidation du Hodgkin sur les scanners. Il a été totalement guéri. Je viens de le revoir dernièrement et il m’a dit : « dès le lendemain de la première dose, j’ai senti un incroyable changement ». Le spécialiste n’a rien compris !

Le remède lui a permis de s’installer avec sa copine. Il y a eu ensuite de gros changements dans sa vie, la mise en place de ses capacités, et il est devenu parcheministe. Sa vie continue à être changeante, mais il est dans un bon équilibre psychologique. Le remède était Anacardium.

Dans Anacardium, je pense qu’il n’y a pas plus de notion de bien et de mal que d’autre chose. Il n’y a pas un bon et un méchant, il faut retenir surtout l’antagonisme de la volonté. En effet, le noyau du fruit est à l’extérieur.

C’est le remède de la dualité. Il y a un sentiment permanent d’insatisfaction, un gros problème de décision, d’insatisfaction. Il veut toujours être là où il n’est pas. Les situations personnelles, sociales ou familiales sont souvent complexes. A propos des amours d’Anacardium, il ne peut par exemple faire l’amour avec quelqu’un avec qui il y a des échanges intellectuels.

Sa souffrance primaire, c’est de vouloir être ailleurs, d’être toujours insatisfait. Le noyau est à l’extérieur, donc son centre est toujours ailleurs : je ne suis pas là où je devrais être.

 

* * *

 

Il faudrait qu’on avance parce que je voudrais vous parler encore d’un autre cas avant le déjeuner. C’est un personnage très intéressant que je vois en 1992 et qui a 43 ans, un homme origine espagnole. C’est une caricature du madrilène, une caricature d’homme espagnol. C’est un intellectuel. Il est écrivain, il a fait paraître un roman chez Gallimard. On sent le « macho » espagnol, il y a une espèce d’orgueil, etc.

Il est venu me voir en 92 pour des migraines chroniques que j’ai résolues. Puis je le revois en 1997 pour une angine de poitrine. Il refuse l’allopathie. Au départ, il a eu la coronaire droite bouchée à 90 %. Une exploration a été faite, on lui a fait une dilation et après sa dilatation les précordialgies ont repris (peut-être suite à la dilatation ?).

Ce monsieur est très rigide, très susceptible. Je vais avoir des renseignements par le biais de sa compagne et également par quelqu’un de sa famille, sa tante. Ce que j’en tire, c’est que dès l’enfance il ne pouvait s’amuser avec les autres, il était en retrait, il n’était pas dans le groupe. Il était comme absorbé en lui, il se posait des questions métaphysiques. Il avait une sorte d’hypersensibilité, de réactivité à tout, d’hyperémotivité et beaucoup de difficultés à s’adapter au milieu.

 

Un intervenantFerrum ?

Philippe Servais – Dans Ferrum il y a un problème de retrait, mais ça ne va pas avec l’émotivité, la sensibilité du personnage.

 

En tout chose, il « sait », il est très réactif à tout ce qui ne lui convient pas, il ne peut parler que d’une chose, il ne peut penser qu’aux choses qu’il connaît bien, il ne peut aborder que des sujets qu’il connaît. On ne peut pas lui parler de tout et de rien, on ne peut aborder que des sujets qui le passionnent. Il veut une relation très fermée avec sa femme, refusant toute interférence familiale (pauvre femme Pulsatilla qui est avec lui !) Quand ça va faire un clash, c’est quand il va couper avec le fils de madame (d’un premier mariage). Il va même interdire à sa compagne d’aller voir son petit-fils.

A 40 ans il démissionne de l’Education nationale pour se consacrer à l’écriture. Il publie un premier roman chez Gallimard, mais pas de deuxième. Je ne connais pas les détails, mais ce que j’ai compris de ses rapports avec l’éditeur après la sortie de son livre, c’est qu’il l’a envoyé balader, il a dû trop faire trop chier l’éditeur. Il décide de terminer son nouveau roman avant de chercher un autre éditeur, avec tout de même une bonne carte de visite. Il annonce à ce nouvel éditeur : « Je ne veux pas d’à-valoir, j’amène mon manuscrit, c’est à prendre ou à laisser ».

Comme c’est un passionné de plein de choses, on lui avait fait un contrat pour un documentaire télévisé sur la civilisation pré-inca en Amérique du Sud. Il est parti sur place longtemps, il a voyagé sac au dos, puis il est revenu avec ce film. Pour des détails matériels il s’est grillé ensuite à la télévision, tellement il était chiant ! A l’heure actuelle, il a trouvé une solution qu’il trouve absolument normale : sa compagne travaille à Beaubourg où elle a un poste moyen, donc c’est elle qui doit l'entretenir. Puisque monsieur a l’inspiration, que monsieur est un artiste, il est normal qu’elle s’occupe de lui totalement.

 

Un intervenantAbrotanum ?

Philippe ServaisAbrotanum, c’est l’exclusivité mais une dépendance obligée, alors que lui prend les moyens qu’il faut. Sa compagne, au moins elle, ne le fait pas chier. Il n’y a pas de dépendance parce que lui ne plie pas, c’est aux autres de s’adapter.

 

C’est quelqu’un qui a un angle de visée très précis, très étroit. Il a un but et il n’y a que celui-là, il ne faut pas dévier de l’axe. Il faut garder le cap, il faut tenir la ligne d’horizon avec rigueur. D’ailleurs il a un symptôme qu’on connaît, c’est qu’il ne peut dormir qu’à droite. Il est tellement précis et ciblé dans ses attitudes que, quand je l’ai interrogé là-dessus, la réponse qu’il m’a donnée a été cinglante. Peut-être n’est-ce pas lié au remède, mais il y a chez lui une forme d’orgueil.

Même s’il est orgueilleux « à l’espagnole », c’est quelqu’un qui n’a absolument pas d’animosité, qui a un sens de l’éthique poussé à outrance. Pour tout ce qui est injustice sociale, politique, racisme, minorités, etc., il est combattant, en tout cas verbalement. C’est quelqu’un qui réagit comme Nux vomica. Il a d’ailleurs des règles morales personnelles qui sont très strictes. Il me dit : « je suis tranché, mais pas manichéen ». Il analyse pendant des mois les choses. « Je ne suis jamais en retard à un rendez-vous, par respect. Pour des millions, je ne m’abaisserais pas à faire quelque chose. »

 

Un intervenantAurum ?

Philippe Servais – Non, ce n’est pas comme ça que je vois Aurum. Je ne crois qu’il ait un problème d'estime de lui-même. Il a une idée de lui-même, c'est tout. Ce n’est pas ça, c’est qu’il a quelque chose à faire et il prend les moyens de la faire. Il y a là à la fois quelque chose de très métallique, mais en même temps - ce n’est pas assez exprimé - une sensibilité exacerbée.

Une intervenanteChamomilla ? Moi, ça m’ennuie quand tu enlèves les symptômes, parce que l’homéopathie, c’est à la fois physique et mental. Si tu ne donnes pas des éléments physiques… on n’est pas en psy, c’est les deux ensemble !

Philippe Servais – Je vais vous les donner, mais si je ne les vous donne pas, c’est pour vous faire partager l’atmosphère. Pour moi, cette atmosphère est telle que j’ai eu un autre cas où l’atmosphère a suffi pour donner d’emblée le remède sans aucun tableau répertorial. Je pense que c’est un remède intéressant à connaître. Je vous donne un symptôme supplémentaire : les douleurs névralgiques que j'ai traitées en 92 avec le même remède ont une réelle périodicité. Ça venait par périodes, mais quand il était dans une mauvaise période, ça venait tous les jours à la même heure.

Plusieurs intervenantsKalium bichromicum ?

Philippe Servais – Ce qui m’a frappé dans son caractère, c’est qu’il dit « je sais », mais on a l’impression chez lui qu’il ne peut pas se permettre de ne pas savoir. C’est sa vulnérabilité, sa fragilité primaire. Maintenant je vous ai donné tous les symptômes que j’avais, je n’en ai plus en réserve ! En fait, c’est une plante, de la même famille qu’Ignatia, Gelsemium et Nux vomica : c’est Spigelia. C’est un remède qu’on étudié au GEHU il y a deux ans.

 

On a trouvé des symptômes intéressants en étudiant ce remède :

        la douleur produit une fixité involontaire du regard sur l’objet regardé ;

        une douleur pressante dans les globes oculaires ;

        il est obligé de tourner la tête pour regarder, car il a mal à la mobilité des yeux ;

        quand il fixe intensément, sa vision floue s’améliore ;

        le monde extérieur paraît loin ;

        il a des vertiges en regardant en bas, en tournant les yeux ou la tête, mais ne ressent rien s’il regarde devant lui ;

        rêve très long sur un seul sujet ;

        s’assoit comme s’il avait perdu sa pensée, il regarde un point fixe ;

        il ne peut penser qu’aux choses qu’il connaît bien ;

        vous connaissez la peur des aiguilles chez Spigelia, la peur des pointes ;

        il y a l’indignation ;

        au niveau des symptômes des yeux et des oreilles, on avait tout regroupé et on avait dit qu’il y avait une hypersensibilité douloureuse, ou bien des symptômes de lointain et de flou ; c’était ou très présent ou très lointain. Hahnemann, qui l’a expérimenté, dit qu’il est très morose et sensible à ce qui ne va pas selon ses désirs.

 

Il y a donc une rigidité, une difficulté à s’adapter. Il est dans son monde habituel avec une espèce de cadre rigide qui s’impose. Il y a effectivement le symptôme qu’il ne peut dormir qu’à droite, qui est un symptôme de Spigelia, mais ça a chez lui une connotation beaucoup plus profonde.

Le remède lui a fait un bien fou sur le plan général. Il lui a permis aussi d’avoir une relation plus facile avec sa compagne, d’accepter certaines choses, d’être un peu moins rigide. Il refuse obstinément de prendre de l’allopathie pour son cœur — effectivement il n’a plus d'angor — mais je le fais voir normalement deux fois par an par le cardiologue, bien qu’il n’y aille qu’une fois. Celui-ci croit qu’il prend les médicaments et il lui dit : « continuez comme ça, ça marche bien ».

Ce patient était assez méfiant. Pour lui, j’étais en situation de pouvoir parce que j’étais le thérapeute. C’était sa compagne qui lui avait conseillé de venir me voir et il était venu à reculons. Entre lui et moi, c’était une espèce de bataille non déclarée, mais présente. Ce qui l'a vraiment mis en confiance, c’est que, quand je lui ai donné Spigelia — je me rappelle bien, c’est sa compagne qui me l’a dit et lui me l’a redit après — dès le lendemain ses douleurs ont disparu. Il m’a dit « c’était clair et net », comme ça c’était passé cinq ans avant pour ses migraines. Je ne lui ai jamais donné que Spigelia. Il savait que je lui avais donné Spigelia et il est allé voir sur Internet. La fois suivante, il était totalement documenté, mieux que moi sur le plan botanique etc., et il a eu le culot de revenir en me disant : « j’ai vérifié, je crois que vous m’avez donné un remède qui me convient bien. »

 

Une intervenante – Est-ce que les migraines étaient occipitales ?

Philippe Servais – Migraine n’est peut-être pas le mot exact parce que c’était plutôt des algies faciales, donc des névralgies.

Une intervenante – Et tu l’avais prescrit sur quoi, à cette époque-là ?

Philippe Servais – Je l’avais prescrit sur « douleurs de tête périodiques tous les jours à la même heure ». Bien sûr il n’était pas le seul remède, mais il n’y en avait pas tellement, et puis je le trouvais tellement indigné que j’avais croisé avec « indignation ».

 

C’est une logoniacée, comme Nux vomica et Gelsemium. L’intérêt n’est pas de faire du sensationnel. A mon avis, c’est de réaliser combien il y a une adéquation possible entre le physique de la personne, son psychisme bien sûr, mais aussi le déroulement de sa vie. S’il n’avait pas rencontré Spigelia, je pense que le couple aurait cassé. Ça a donné quand même un peu plus de rondeur. Il avait cassé sa situation professionnelle, il était en passe de démolir sa relation avec cette compagne, etc., dans cette logique Spigelia. Et tout ça dans la bonne foi, persuadé que c’était lui qui avait raison. C’est là qu’on voit que tout un destin peut être tracé sur un fil d’Ariane qui va rompre.

 

Un intervenant – Mais alors, tu démolis le destin !

Une intervenante – Tu assouplis le destin.

Philippe Servais – Je permets au destin de réaliser sa destinée !

 

* * *

 

PAUSE

 

* * *

Après Spigelia nous allons entrer dans un autre univers. Comme il y aura après des histoires assez intéressantes, je vais passer relativement vite sur ce cas-ci.

C’est l’histoire d’une jeune femme de 38 ans qui vient me voir a propos d’un acné rosacé épouvantable. Peut-être y en a-t-il un ou deux qui ont entendu ce cas, c’est pourquoi je passerai assez vite. C’est une femme qui a deux petits enfants, c’est vraiment une très jolie fille qui a, c’est frappant, des yeux émeraude absolument magnifiques. C’est d’autant plus épouvantable de la voir avec cette acné rosacée affreuse. On a l’impression de deux clignotants rouges qui la défigurent totalement, et ça se voit d’autant plus qu’elle a des yeux émeraude. Tout en elle exprime la sensualité, d’ailleurs elle dit : « je joue avec mon poids et avec mon corps selon mes états d’âme ». Elle grossit, elle maigrit… Elle éprouve du plaisir à prendre des kilos, comme elle en éprouve à d’autres moments à les perdre. Chez elle, tout est affaire de plaisir, c’est l’hédonisme. Elle est bavarde, un peu exubérante et elle me parle entre autre de sa recherche spirituelle. On sent que même dans sa recherche spirituelle — elle a vécu deux ou trois dans un ashram — elle a mis de la sensualité et du plaisir. Puisque nous en sommes à parler de cet aspect spirituel, elle pratique effectivement la méditation. Elle a suivi, ou elle suit, un maître ès méditation. Là aussi, — ce sera un leit-motiv de ce personnage — elle brûle les étapes, c’est-à-dire qu’elle va tout de suite au plus subtil. Elle ne passe pas par les étapes intermédiaires un peu techniques, yoga, etc., elle va tout de suite à la transcendance absolue.

Elle est enfant unique d’une famille assez équilibrée, le père était cuisinier. Autant elle parle de cette ascendance sans problème, autant elle se sent un peu en rupture avec ce milieu assez modeste. Dès son bac elle décide de faire des études de philosophie, mais elle fera un an et demi de philosophie puis elle fera plein d'autres choses dans des domaines un peu artistiques et marginaux. Ce seront toujours des choses intéressantes, séduisantes pour elles, mais jamais elle ne termine quoi que ce soit. Elle est donc un peu lasse de sa vie.

Au jour où je la vois, elle est persuadée que là, elle a trouvé ce qu’elle devait faire comme métier et qu’elle va sûrement réussir. Elle est passionnée d’esthétique, de décoration. Elle ne s’habille que chez des grands couturiers un peu rares, japonais, bon goût, très discret. Elle ne fréquente que des designers à la mode. Son mari est graphiste et elle fréquente le milieu du ministère de la culture à l’époque de J. Lang. Elle est snob sans l’être, elle vit dans le subtil… Sa grande découverte, ce sont les couleurs. Elle m’explique à l’infini en quoi les couleurs peuvent changer complètement un univers, la vie des gens. Elle me dit donc qu’elle va devenir spécialiste des couleurs et que les designers auront besoin d’elle. Elle va devenir une sorte d’expert en couleurs : "consultante en couleurs", diront les architectes d’intérieur.

A côté de ça, son compagnon graphiste travaille treize heures par jour sept jours sur sept et assure le quotidien, d’autant que rien n’est trop beau pour elle, sa famille et son entourage. Il faut que tout le monde profite de cet univers de la beauté, de l’esthétique. Ainsi, pour le goûter d’anniversaire de son fils à Paris, elle fait venir une troupe de clowns, elle traverse Paris pour trouver le meilleur pâtissier qui a fait un gâteau d’anniversaire exceptionnel. Elle n’est pas m’as-tu-vu, car tout cela se fait dans une relative discrétion, mais seuls les branchés parisiens peuvent comprendre à quel point tout ça est subtil. Elle projette sa propre manière de penser sur ses enfants, sur son entourage. L’aîné, qui a 8 ans, fait du saxo, or il est trop jeune pour faire du saxo (ma fille, qui a 9 ans et qui fait de la clarinette, a failli tomber dans les pommes en soufflant trop fortement !). "Mais c’est son désir, c’est son inspiration. J’ai appris qu’aux Etats-Unis on fabriquait pièce par pièce des saxos pour enfants de 8 ans". Conséquence : le mari a dû acheter un saxo à 30 000 F ! Tout est comme ça…

Parlons du fils, qui fait de la musique parce qu’il en a envie. Mais quant à faire du solfège… Elle me dit : « non, vous savez, quand on a la musique en soi comme il l’a en lui… La musique, c’est une inspiration, un ressenti. Le solfège, c’est pour plomber les enfants, pour les décourager. Il n’y a pas besoin de solfège ». Elle pense donc que son fils va faire de la musique comme ça, à l’intuition.

Elle une grande angoisse, qui est compréhensible, c’est d’être abandonnée par son mari, qu’il aille voir ailleurs. Je lui demande alors : « votre acné rosacé, comment a-t-il débuté ? » En fait, ça a débuté très exactement à partir du moment où son compagnon a eu des problèmes fiscaux. Car ce compagnon, qui est tout admiration pour elle, avait « oublié » de payer ses impôts. Pris dans une espèce de logique ascendante, il a oublié de payer ses impôts pendant plusieurs années, et de plus il gagne beaucoup d’argent. Il a donc eu une somme faramineuse à payer — c’était il y a une dizaine d’années — et je pense qu’il en a encore pour dix ans à payer 10 000 ou 15 000 F par mois.

Elle a donc commencé son acné rosacé avec les problèmes fiscaux de son mari. Ce qu’on peut dire, c’est que l’univers de rêve qu’elle s’était créé était en pleine déliquescence et qu’elle a été rattrapée par la réalité. Elle avait suivi des traitements allopathiques - vous savez ce que c’est, pour l’acné rosacé ça ne donne pas de résultat, en tous cas chez elle ça n’en a absolument pas donné - . Par contre, en trois doses homéopathiques à quelques mois d’intervalle le problème d’acné rosacé a été complètement résolu.

Puisqu’il faut tout dire, j’ai pris un seul symptôme dans le répertoire. Toute la vie de cette personne est dans ce symptôme.

IntervenantPalladium ?

Philippe Servais – Non, pourquoi ? Sur l’envie de briller ? Chez elle, ce n’est pas tellement l’envie de briller. Elle a des vêtements rares, mais très discrets. Elle n’est pas m’as-tu-vu, c’est du raffinement. Palladium, c’est très différent comme thématique. Si vous connaissez un peu la mythologie, si vous connaissez la déesse Palladia, vous aurez compris Palladium.

La déesse Palladia avait été abandonnée de tous ses sujets et se promenait comme une âme en peine, seule, dans son palais merveilleux. C’est ça, Palladium. Palladium a une sensation de vide et par réaction il a une sensation d’abandon. Donc la déesse Palladia se sent abandonnée par tout le monde dans son palais. En fait, Palladium ne peut exister, vibrer, avoir une identité qu’à travers ce que les autres lui donnent de présence, d’amour, de sentiment d’être aimé, de reconnaissance, etc. C’est ce qui fait que Palladium a ce fantasme, cette illusion, d’être négligé. Cela va loin, parce que les patients Palladium — j’ai noté particulièrement ce que j’appelle le syndrome du téléphone dans le monde moderne — ne supportent pas que leur entourage, leurs amis, tout le monde, ne soit pas pendu au téléphone à demander de leurs nouvelles, à leur téléphoner tous les jours, pour montrer qu’ils existent. Il y a donc un sentiment très profond d’être abandonné, délaissé, bien sûr, mais chacun avec une coloration très particulière. Il est vide à tout point de vue, même intellectuellement. Il ne peut se remplir que par les autres.

Vous avez des idées ? Je pense que vous allez peut-être être étonnés parce que c’est ma vision du remède, ce n’est pas nécessairement la vision classique. J’y crois parce que ce cas-ci ça a fonctionné et j’ai d’autres cas où, juste sur ma vision du remède, celui-ci fonctionne. Il s’agit d’un remède qui a une énorme matière médicale, essentiellement toxicologique, et pour lequel il n’y a qu’une quinzaine de provings qui ne sont pas de l’ordre de l’intoxication. Il y a donc une multitude de symptômes qui ont envahi toutes les matières médicales depuis un siècle ou un siècle et demi et qui ont donné à mon avis une vision du remède qui n’est pas juste parce que ça donne une vision très restreinte, très étriquée du remède, lequel est un remède courant, de l’homme normal.

 

Intervenant – Ce n’est pas Stramonium ?

Philippe Servais – Oui, c’est Stramonium.

Pour aller vite, ce que j’ai retenu de l’étude du remède, c’est trois symptômes. Ce sont des symptômes qui, dans le contexte de la Matière Médicale, peuvent être, comme le premier, des symptômes de délire, mais ce qui me paraît intéressant dans les remèdes de délire — il y a beaucoup de remèdes de délire, et donc beaucoup de symptômes de délire —, c’est de comprendre l’essence du délire, c’est de comprendre que tel type de délire peut aussi avoir une signification non délirante.

 

1)             L’illusion chez Stramonium « qu’il poursuit des objets imaginaires ». Dans les délires Stramonium, il cherche un objet qui n’existe pas et il délire autour de ce symptôme. J’ai pris ça pour cette personne-ci, mais je le prends aussi pour Stramonium en général.

 

Une intervenante – Je ne comprends pas pourquoi tu as pris ce symptôme là.

Philippe Servais – Pour l'instant, je suis sorti du cadre de ce cas clinique et je parle de Stramonium en général.

 

« Poursuit des objets imaginaires », qui pourtant est un symptôme toxicologique, mais qui est propre à Stramonium. Je pense que ce symptôme est très expressif de ce qu’est Stramonium en dehors du délire.

 

2) « Illusion qu’elle est belle », (et elle peut l’être, elle peut avoir le désir de l’être) et en même temps « illusion d’être pure ».

 

3) « Illusion d’être seule dans un lieu désert et sauvage la nuit ». C’est une fleur blanche magnifique qui jaillit après la tombée du jour, seule dans son coin. Donc elle est toute blanche, elle fleurit seule, la nuit, dans un lieu désert, ça veut donc dire qu’elle n’a pas de sort commun. Elle est unique. Elle ne dépend pas des contingences, qui seraient le soleil, une terre fertile, etc. C’est un peu comme si elle méritait le plus beau tout de suite. Et elle a la science infuse. Donc, pour moi, Stramonium est quelqu’un qui est plein d’illusions sur lui-même, qui se raconte des histoires.

Vous allez même voir ça chez des enfants. J’ai eu un cas d’enfant retardé au niveau scolaire : il se faisait des illusions à lui-même sur le fait qu’il était bon élève alors qu’il était en plein ratage. Une espèce de refus de voir le réel.

 

Une intervenante – Il est dans la rubrique « delusion great person »

Philippe Servais – Oui, mais il n’y a pas de vanité chez Stramonium.

 

C’est en elle, elle est hors du commun. Il y a toujours une espèce de transcendance lointaine avec laquelle on est en contact mais à laquelle on n’a pas besoin de penser. Ce n’est donc pas une vraie spiritualité. Le fait de penser à quelque chose, c’est quelque part comme si c’était déjà réalisé. Il y a donc une espèce d’impossibilité d’être complètement conscient profondément du réel. Ce sont donc des gens dans la réalité qui, entre autre, ne font les choses qu’en y étant obligés, au dernier moment, en catastrophe. Là, ils sont confrontés au réel. Si c’est dans un travail, il faut le faire.

 

Lorsque vous avez affaire à des gens qui vous paraissent incapables d’être dans le réel, pensez toujours à Stramonium comme à un refus de la réalité.

En fait, pour revenir à ma patiente, elle a projeté son énergie Stramonium sur son mari, lequel est un garçon plus dans les normes. Il a eu une réaction Stramonium pour ses impôts. Il est évident que s’il n’avait pas été avec cette femme, il n’aurait pas eu cette réaction. Il a donc été contaminé « Stramonium ».

 

Une intervenante – Sauf que là, il ne se moque pas des contingences.

Philippe Servais – Non, c’est insupportable, c’est une catastrophe.

 

Elle a été brûlée par la réalité. La réalité lui a explosé à la figure (acné rosacé).

 

Une intervenante – Ce n’était pas une femme qui avait les peurs connues de Stramonium.

Philippe Servais – Non, aucune. C’est quelqu’un par ailleurs de très équilibré, d’abord en bonne santé, mais cette histoire de devenir consultante en couleurs, c’est extraordinaire ! S’imaginer pouvoir être à armes égales avec des grands designers, des architectes d’intérieur connus, sans diplôme, sans rien…

 

Je ne suis parti sur aucune rubrique, c’était mon idée de Stramonium. Je l’ai prescrit comme ça, parce qu’il n’y avait rien qui me paraissait flagrant comme remède.

L’acné rosacé a complètement guéri. Ce qui est assez étonnant, c’est qu’après le remède, elle a pu aider, seconder son mari, qui lui est un sorte d'artiste par son métier d’art. De façon étonnante, elle a pu, à partir de là, prendre en main la situation financière qui était très difficile. Elle a joué de son charme et elle a passé des mois à aller voir le banquier, les gens influents qu’elle connaissait. Elle l’a aidé. Je la voyais une fois par an et j’a continué à lui donner Stramonium pour des bricoles quand elle venait.

Elle a quand même réussi quelque chose qui est en train de se mettre en place — je verrai là si elle est vraiment guérie ou pas encore — : elle est en train de créer une association d’aide aux personnes âgées. Va-t-elle y aller complètement ? Elle a déjà pris des contacts, elle a monté un dossier, etc.

 

* * *

 

J’ai deux personnages sur le même remède.

 

Je vais parler d’un homme qui a 60 ans. Je vois arriver un homme qui a beaucoup de classe, les cheveux blancs légèrement clairsemés, habillé avec goût, de style anglais, mais quand on y regarde de plus près, on voit qu’il a le col un peu élimé. Il vient me voir parce qu’il a une vie un peu tumultueuse. Il est avec une compagne qui a une dizaine d’années de moins que lui et avec qui ça se passe très bien. Mais il s’est aperçu qu’il avait des troubles de mémoire et, plus grave encore, une impuissance. Il vient donc me voir pour un problème d’impuissance, impuissance qui est relativement récente.

L’histoire de cet homme est intéressante parce qu’il est un des héritiers d’une grande famille d’industriels et qu’il est aussi issu de la noblesse, de la grande noblesse. Le père est mort il y a longtemps, il y a plus de vingt ans. C’était un grand industriel qui lui-même avait poursuivi l’affaire familiale de son père. Cela fait donc trois générations. Il y a quatre enfants, une fille et trois garçons. La mère est toujours vivante, elle a un hôtel particulier à Neuilly et un château en région parisienne. Des quatre enfants, il y en a un qui est médecin, qui est devenu chercheur à l’INSERM, la fille a fait un beau mariage et les deux autres enfants n’ont jamais rien fait. Lui en particulier a passé son temps, jusqu’à l’âge de 35 ans environ, à aller en délégation pour son père dans les ambassades, en voyage pour trois mois ici et en croisière là-bas. Il a donc baroudé, mais avec beaucoup d’argent, jusqu’à l’âge de 35 ans. Il s’est marié, il a eu une vie compliquée sur le plan amoureux, il a eu une fille qu’il aime beaucoup mais dont il s’occupe très mal, et il a fait des affaires. Il a fait de la finance — ce sont ces affairistes qui sont tous seuls et qui n’ont pas vraiment de structure —, il a fait des affaires… sûrement très mal puisqu’à l’âge de 60 ans il n’a pas un franc. Comme son frère, il est entretenu par la mère qui depuis toujours, depuis quarante ans donc, alloue une rente aux enfants. Mais le problème, c’est que, pendant quarante ans, quand on a un hôtel particulier et un château avec moult jardiniers, où le week-end on peut, avec les amis qu’on invite, se retrouver à cinquante ou soixante autour de la table et où la mère reçoit tout le monde avec son personnel, l’argent finit quand même par manquer. Il est donc très embêté parce que sa mère, il l’a appris il n’y a pas très longtemps, commençait à entamer le capital.

Je l’ai connu il y a dix ans et à l’époque il faisait encore des affaires. Il avait une Mercedes, mais une Mercedes qui avait quinze ans, et il y a des jours où il venait à pied parce qu’il n’avait d’essence à mettre dans la Mercedes. Comme c’est un homme très sympathique, un jour on a fini par aller boire un café ensemble et il m’a expliqué qu’il avait de l’argent placé qui allait lui rapporter 30 % l’an, et pendant des années il y a cru.

Je n’ai pas trouvé le remède tout de suite. J’ai trouvé un remède simile que je lui ai donné et qui l’a aidé, mais sans résoudre vraiment le problème. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’a pas de regard critique sur sa situation, sur sa vie, ça lui paraît normal. Il est, lui aussi, un petit peu décalé. En fait, ça lui convient parfaitement d’avoir de l’argent qui lui tombe du ciel et de voir la vie comme il voulait.

 

L’autre cas dont je peux dire deux mots, c’est une dame qui avait moult problèmes physiques, entre autre un rhume des foins épouvantable. Rien n’y faisait, l’allopathie, l’acupuncture, des remèdes homéopathiques apparemment bien ciblés. Elle faisait des crises d’asthme et elle avait en plus un ulcère d’estomac chronique.

Cette dame avait quitté son mari avec qui elle entretenait des relations correctes. Elle avait deux fils. Son but principal était de trouver le moyen de gagner le plus d’argent possible en travaillant le moins possible. Elle s’était branchée sur l’immobilier et, comme ces joueurs qui cherchent la martingale, elle cherchait la martingale… et elle continue. Je crois même qu’une ou deux fois elle a réussi parce qu’elle est arrivée à trouver un immeuble à revendre et à gagner beaucoup d’argent en très peu de temps. Elle m’expliquait combien c’était ça la vie. Elle avait même imaginé tout un système pour moi, parce qu’elle m’aimait bien : je devrais faire ceci et cela pour gagner beaucoup d’argent et pouvoir me consacrer plus à la recherche. Elle pensait que c’était ma vocation !

Il n’y avait qu’une chose qui l’intéressait vraiment, c’était de pratiquer le zen. Le zen était sa grande vocation, et pour ce faire elle avait un maître zen, elle allait suivre des stages, etc. Elle m’expliquait combien zen, ce n’est pas seulement une pratique, zen c’est la vie. Elle me parlait de zen, à quel point zen c’était l’idéal de la vie et combien il fallait que je sois zen aussi, que tout le monde soit zen, et à qu’à ce moment là il n’y avait plus de problèmes… Elle était tellement zen qu’elle avait un signe qui est quand même assez extraordinaire : elle arrivait, à force de vouloir être dans ce zen, dans cette espèce d’illumination permanente, à avoir très régulièrement des orgasmes spontanés nocturnes, toute seule, qui la comblaient totalement et qui lui avaient permis de se détacher définitivement des hommes qui pouvaient poser un problème. Elle avait donc trouvé son système clos. Ça la réveillait la nuit, comme une grâce de Dieu, et ça montait tout seul.

 

Voilà pour ce remède qui correspond à ces deux personnages. De toute façon, il n’y a pas besoin de symptôme pour trouver le remède.

Sans avoir besoin d’effort, il ou elle veut une belle vie, elle veut que tout soit là. Il y a une espèce de bonheur total, facile, que le travail ne peut pas donner, et ça dans l’immédiateté. Je vais vous aider beaucoup : ce sont des gens qui vous disent qu’ils sont en bonne santé alors qu’ils sont très malades.

 

Une intervenante – Ce n’est pas Opium ?

Philippe Servais – Oui, voilà. Il cherche le paradis sur terre. Il faut travailler le moins possible pour gagner le plus d’argent possible en un minimum de temps pour pouvoir être au paradis. C’est pour ça que je vous ai parlé du zen. C’est une forme d’immaturité, bien sûr, mais ce n’est pas infantile.

 

Je vais vous donner la suite, ce qui est arrivé après. Le remède les a guéris pour leurs divers problèmes de santé. Lui a bien amélioré sa mémoire, il est sorti de son impuissance, il a retrouvé une puissance tout à fait normale.

Et elle, à qui j’hésitais à ne donner que ça, a été totalement guérie de son rhume des foins — pourtant ce n’est pas un remède pour ça — et de son ulcère chronique. Du fait que ses fils  ont fait des études dans les grandes écoles, un jour ils ont dit : « Maman, ça suffit comme ça, tu as assez fait pour nous. A partir de maintenant on a décidé qu’on t’allouait une rente et que tu arrêtais de travailler. » Ils sont donc allés dans le sens de son symptôme. Je n’ai jamais vu des enfants aussi adorables, aussi parfaits à tous points de vue Ils sont beaux comme des dieux. En fait, ces enfants, c’est le paradis. Ils sont beaux, intelligents, gentils.

Lui aussi a résolu son problème à sa manière. Au pire moment de sa décrépitude, il est allé se réfugier au château, il se faisait nourrir carrément au château et il avait abandonné son appartement. Il m’avait dit en riant, comme ça : « je ne pensais pas qu’un jour, et j’aurais même voté contre, je puisse avoir besoin du RMI ! » C’est vous dire à quel point il était tombé bas. Sa mère était une maîtresse femme et je suppose qu’à un moment donné elle a dû un peu couper les vivres. Eh bien il a fini par résoudre son problème : il a rompu avec sa compagne et il a rencontré, tenez-vous bien, une des grandes héritières italiennes de je ne sais quelle industrie, milliardaire, de quinze ans plus jeune que lui, avec qui il parcourt depuis le monde en permanence, allant d’un palace à un autre. Et il me dit, sans aucune gêne : « ce qui est amusant, c’est que, quand on va à l’hôtel, dans les grands restaurants, elle est tellement raffinée, tellement discrète, elle me file en cachette sa carte de crédit et je paye ».

En fait, ce sont des destinées Opium.

 

* * *

 

Une intervenante – Cela pose tout de suite la question de savoir quels changements on peut véritablement opérer avec des remèdes homéopathiques dans la destinée des gens. C’est-à-dire que si tu pars de cette observation, on peut dire qu’elle a toujours le même type de comportement et donc, fondamentalement, il y a son illusion primordiale. Donc le questionnement est jusqu’à quel niveau de changement un remède homéopathique peut-il opérer ?

Philippe Servais – Je sens là derrière le spectre de l’idéalisme candide philosophique de Masi !

Un intervenant – Ce n’est pas de la rédemption.

Philippe Servais – Effectivement. C’est comme ce confrère qui dit : « il n’est pas guéri parce qu’il n’a pas reçu la foi, il ne croit pas encore en Dieu », ou bien qui dit : « il n’est pas guéri parce qu’il est toujours homosexuel ». On rêve ! Ce sont pourtant des choses qu’on entend. On est en plein délire !

Une intervenante – D’un autre côté, on a aussi des observations où réellement il y a une mutation profonde des gens qui se mettent à changer.

Philippe Servais – Le remède homéopathique met la personne en adéquation avec elle-même, dans son énergie, sur le plan physique, sur le plan psychologique, sur le plan personnel, et lui permet d’aller au mieux avec le plus d’harmonie possible dans son destin. Mais on ne va pas transformer un militaire en poète.

 

J’ai des gens que j’ai senti profondément transformés par leur remède, sans nécessairement que leur vie soit transformée. J’ai le cas d’un confrère de province qui souffrait depuis l’enfance d’un asthme épouvantable, ce qui faisait qu’il passait parfois trois fois par an en réanimation, sous cortisone, etc., et que Silicea a guéri totalement, définitivement, de son asthme. Un jour, lors d’une réunion de collègues, on s’est rencontrés autour d’une table et il a dit devant tout le monde — c’était un acupuncteur — que « ce que Servais donne, les traitements de Servais, c’est des bombes atomiques, ça fait de sacrés dégâts ». Je lui ai dit : « tu veux bien préciser ta pensée ? » et il m’a dit : « attendez, il m’a guéri de mon asthme mais il a aussi provoqué des tas de choses dans ma vie personnelle ». Là, il n’a pas voulu dire grand chose et après il est venu me le raconter.

En fait ce garçon était très Silicea, donc avec une espèce de timidité, de manque de confiance en soi. D’ailleurs, la première fois sa femme était venue avec lui et c’était vraiment une femme de tête, on sentait que c’était elle qui portait la culotte. Lui était très Silicea et elle je ne sais quoi, peut-être Lycopodium. Après le remède, il a commencé à prendre une espèce d’autonomie et cela s’est terminé finalement par un divorce. Il a eu conscience que Silicea avait déclenché la rupture. C’est relativement classique. On va dans le sens du destin, on ne le transforme pas. Il a été libéré, il n’a plus été sous ce joug.

 

La dynamique propre du patient, même si elle est équilibrée, reste là. Cela dépend à quel point on avait des lunettes déformantes. Ces lunettes seront moins déformantes. Autant l’homéopathie est tout de même assez extraordinaire, autant il ne faut pas non plus en faire une espèce de dieu excessif. Par exemple, vous donnez un simillimum, vous pensez vraiment que c’est un simillimum, vous résolvez des tas de problèmes, vous rééquilibrez quelqu’un, il est beaucoup mieux, ça se sent, puis vous ne le voyez plus pendant trois ans et il vous revient avec un cancer. On ne peut pas considérer que parce que vous avez donné une fois un remède à quelqu’un, il est couvert à vie totalement. C’est faux, même avec un simillimum !

 

Une intervenante – S’il revient avec un cancer, c’est qu’il était en égotrophie.

Philippe Servais – Pas obligatoirement. Si je lui ai donné un remède adéquat la dernière fois il y a trois ans, il peut très bien avoir été pendant un an et demi en parfait équilibre. Là on faisait de la pure prévention, il ne pouvait rien lui arriver. A un moment donné, ses forces de déstabilisation sont à mon avis la réponse suite à un souci qu’il a eu, à un traumatisme qu’il a subi, à des difficultés personnelles familiales très importantes. Il aurait eu besoin qu’on lui redonne le remède. Le remède n’a pas été donné, il a de nouveau dérapé. Ce n’est pas parce qu’on a un simillimum qu’on est tranquille pour la vie. C’est quelque chose que l’on doit ré-analyser de temps en temps, sur lequel on doit revenir.

Qu’est-ce que remettre quelqu’un en équilibre ? J’ai connu une jeune fille qui était pathologiquement timide au point de ne pas pouvoir demander du pain à la boulangerie à l’âge adulte. Silicea l’en a fait sortir. Maintenant elle est tout à fait équilibrée, socialement parfaitement bien, mais tout de même elle reste un peu réservée, un peu timide. C’est sa nature. Ce qu'on peut soigner, c’est la pathologie que peut créer cette nature.

 

Une intervenante – Et dans sa vie sentimentale, est-ce que la patiente Opium a arrêté d’avoir des orgasmes nocturnes et était-elle plus équilibrée après ?

Philippe Servais – Je lui ai posé la question, elle m’a dit que c’était devenu très rare.

Une intervenante – Et comment cela se passe-t-il avec les hommes ?

Philippe Servais – Il n’y a pas de monsieur particulièrement présent dans sa vie pour le moment.

Une Intervenante – Est-ce qu’elle est en égotrophie ? Elle dit que tout va bien, mais en fait elle a résolu de façon particulière son problème. Effectivement, elle n’est pas complètement en équilibre… C’est très important.

Philippe Servais – Il ne faut pas non plus idéaliser.

 

A mon avis, l’attitude qu’il faut tout le temps avoir, que j’essaie d’avoir toujours, c’est de me dire : « est-ce que je peux imaginer que ce qui me paraît être vraiment le bon remède ne me permet pas d’aller plus loin ? » Il faut toujours penser que, même si la prescription paraît formidable, il y a peut-être encore quelque chose d’autre. Il faut toujours être vigilant parce qu’effectivement, parfois très longtemps après, parfois quinze ans après, on s’aperçoit que ça ne suffit plus. J’ai un cas dont je vous parlerai, où c’est typique. On croit être pendant très longtemps sur le remède.

 

Une intervenante – Est-ce que justement, pour voir comment ça se passe après, on a des façons de les revoir quelque soit le résultat pour savoir s’ils vont bien. Comment cela se passe-t-il ?

Philippe Servais – Systématiquement, ou au moins me faire un compte-rendu téléphonique pour qu’on en discute.

 

Pour répondre à une question qui a été posée, tous les cas de cet après-midi sont des cas non répertoriés. Je n’ai pas dit qu’ils étaient non répertoriables, mais non répertoriés.

 

* * *

 

Claudine, lorsque je la rencontre en consultation, a 24 ans. Elle vient avec sa « môman » et pendant très longtemps elle viendra avec sa « môman ». Elle vit seule avec sa « môman », le papa est mort il y a longtemps. Pour vous donner l’ambiance, elle me regarde un petit peu par dessous, elle n’a pas vraiment confiance, elle n’ose pas me regarder en face, elle est gênée, elle est timide. Je soignerai sa maman d’ailleurs, de manière beaucoup plus épisodique, sans vraiment la suivre correctement. Dès le départ, je décide qu’il faut faire un prix à ces gens qui me paraissent assez modestes, sans leur poser de questions. Je mettrai quand même de nombreuses années à savoir la vérité, au détour d’une conversation.

Elle me parlait toujours de ce minuscule petit appartement dans la cour dont elle s’occupait, il fallait sortir les poubelles, etc. J’ai pensé que c’était une concierge. J’ai su après de très nombreuses années qu’en fait elle possédait les deux immeubles, soit à peu près cinquante appartements. Et elle habitait au rez-de-chaussée. En fait, c’était la propriétaire ! Mais vraiment, elle avait les cheveux comme ça, elle portait toujours la même robe, avec la fille un peu comme ceci, etc.

Donc la fille a 24 ans, elle travaille comme employée dans une société qui tourne autour du show-biz. Elle voit passer dans les bureaux les artistes du moment, mais elle n’en tire absolument aucune vanité. En fait, cette jeune femme a des tas de problèmes  — c’était en 1984 — et malheureusement il me faudra sept à huit ans pour arriver à trouver le remède. Vers les années 90-92, son asthme datant de l’enfance s'aggrave. Elle est devenue cortico-dépendante. La vie de Claudine, c’était le boulot, la maison, la loge de concierge et ses animaux. Elle était passionnée d’animaux. La mère était une emmerdeuse, mais sa fille, heureusement, a ses deux chiens dont elle s’occupe passionnement. Elle ne parle pour ainsi dire que de ça. Elle n’a aucune vie personnelle, si ce n’est de s’occuper de ses chiens et d’être aux côtés de sa mère.

Un jour, brutalement, sa mère fait une hémorragie cérébrale et meurt. Elle a totalement décompensé. A ce moment-là, je n’ai pas encore trouvé le remède, donc je l’aide un petit peu, je trouve des remèdes circonstanciels. Elle m’explique que d’une certaine manière elle va pouvoir maintenant un petit peu s’ouvrir, élargir son horizon.

En plus il y a de l’argent… C’est un syndic qui gère les biens. Elle se dit totalement incapable de gérer les immeubles mais elle a la chance, semble-t-il, d’avoir un gestionnaire honnête. D’ailleurs sa mère avait déjà ce gestionnaire. Cela fait qu’elle a de l’argent qui rentre et qu’elle n’a pas de problèmes de sous. Elle avait d’ailleurs arrêté de travailler depuis un certain temps, car elle a été licenciée. Elle me dit : « je vais pouvoir m’ouvrir enfin ». C’est vrai, avec une mère aussi autoritaire, emmerdeuse… Elle va construire dans sa cour des bâtiments pour les chiens. Cela fera d’ailleurs râler tout l’immeuble, mais tant pis, c’est elle la propriétaire. Ça lui permettra d’avoir d’autres chiens. A l’heure actuelle, elle en a quand même neuf !

En fait sa vie va être plus heureuse, elle s’épanouira au milieu de ses chiens. Cependant, bien sûr, les chiens, cela pose problème quand on a de l’asthme… Il faut dire que ni la mère, ni la fille n'ont jamais été très propres… Je ne suis jamais allé chez elles, mais visiblement on doit faire le ménage une fois par mois ou tous les deux mois, avec les chiens ! Et les chiens ont droit à tout, ils viennent regarder la télévision, ils viennent dans le lit. J’imagine l’horreur que ça doit être !

A partir du moment où j’ai trouvé le remède, son asthme et de sa bronchite chronique ont guéri complètement. Et puis elle pris de l’âge et un jour elle me dit : « j’ai rencontré un garçon ». Ah ! Je ne pensais pas qu’un garçon arriverait jamais, mais enfin... J’ai vu ce garçon qui est venu la chercher, c’est un brave algérien qui, visiblement, à l’âge de 40 ans n’avait jamais rien fait dans sa vie et qui avait trouvé quelqu’un pour s’occuper de lui. Elle me dit : « je ne sais pas s’il m’aime, mais enfin il est gentil ». C’est le mot du remède : « il est gentil ».

Un jour elle me téléphone : « je suis enceinte ». Je ne pensais pas que cela puisse arriver. Elle voulait me voir absolument tout de suite, « parce qu’il faut qu’on prenne une décision ». En fait, elle se posait vraiment la question si elle allait garder le bébé ou pas. Elle me dit : « j’adore les enfants. Pour une femme, avoir un bébé c’est quand même formidable, c’est une chance que j’ai ». Je lui dis oui mais il y a les chiens, il va falloir faire des petits choix. Elle me répond : « ah ! ça non, docteur, je préfère avorter que de me passer d’un de mes chiens ». J’étais un peu choqué.

En fin de compte elle a poursuivi sa grossesse, elle a accouché, elle s’est s’arrangée pour arriver trop tard à l’hôpital, ce qui fait qu’elle a accouché chez elle, en catastrophe, à Paris. Parce ce qu’il y a chez elle une espèce de naïveté par rapport à la vie, elle n’est pas au courant — c’est à peine s’il ne fallait pas que je lui explique comment son corps était fait —, au courant de rien, absolument de rien. Elle me que dit le bébé va bien. Le papa, qui d’ailleurs n’a rien d’autre à faire, s’occupe bien du bébé. Comme ça elle s’occupe de ses chiens et lui du bébé. Mais elle aime beaucoup le bébé.

Est-ce que déjà cela vous évoque quelque chose ?

 

Intervenante – Pour quoi est-elle venue au début ?

Philippe Servais – Pour l’asthme.

Intervenant – Savez-vous pourquoi elle aime tant ses chiens ?

Philippe Servais – Bien sûr, j’ai beaucoup posé la question. Elle dit que c’est parce qu’elle a toujours adoré les animaux. Les bêtes, c’est pas comme les hommes, c’est pur. Les hommes ne l’intéressent pas, les animaux oui. Pas uniquement les chiens, elle adore tous les animaux.

 

C’est quelqu’un qui n’a jamais pu avoir une vie sociale, qui a pour ainsi dire toujours refusé tout contact avec le monde, parce qu’elle estimait que cela avait été des expériences malheureuses. Être invitée par des gens du travail, par exemple, elle le fait une fois puis elle ne le fait plus, ça ne se passe pas bien, elle ne se sent pas bien. Elle vit donc dans un univers totalement clos.

Du point de vue extérieur, c’est quelqu’un de très timide. D’ailleurs, elle m’avait expliqué qu’elle arrivait au cabinet au dernier moment pour être sûre de ne pas être dans la salle d’attente avec quelqu’un d’autre, parce que ça la mettait mal à l’aise. C’est quelqu’un qui s’excuse beaucoup, qui va jusqu’à me dire : « docteur, vous m’excusez de vous demander de vous occuper de moi ? » Autrement dit, est-ce que j’en vaux la peine.

C’est quelqu’un qui a toujours eu l' impossibilité dans l’enfance de trouver sa place, par exemple avec son père. Il est mort quand elle était jeune, mais elle n’a jamais pu avoir une relation avec son père. Pourtant il était gentil, mais elle ne savait pas comment se comporter avec lui. C’est quelqu’un qui avait une possibilité d’avancement dans ce métier, m’avait-elle dit, mais qui avait refusé tout avancement parce qu’elle ne savait pas comment se mouler dans la situation où elle était. C’est quelqu’un qui n’est pas social, mais para-social, complètement décalé.

 

Un intervenant – Cuprum ?

Philippe Servais – Oui. Il faut faire très attention avec les animaux parce qu’à mon avis cela nous amène souvent sur des fausses pistes.

 

Vous connaissez un peu Cuprum ? Il y a chez Cuprum toute une dimension de timidité, de difficulté de sociabilisation, de rapport aux autres, mais il y a quelques symptômes de la Matière Médicale des pathogénésies qui sont vraiment intéressants à étudier. Entre autre deux illusions dans le délire qu’il fait, dans les délires de la pathogénésie : il y a le délire « qu’il est en train de cueillir des légumes » et un deuxième délire « qu’il est en train de rempailler des chaises ». Ça, c’est une chose. Deuxièmement, autre délire : « il est un général de l’armée et il fait un discours devant ses troupes » et pendant son discours il se met à pleurer, ce qui la fout mal pour un général !

Cela veut dire que, d’un côté, il est dans des choses très simples, très humbles, il rempaille, il cueille des légumes, et que de l’autre il est général, chef, il commande mais il ne tient pas son rôle puisqu’à un moment donné il pleure. Cela veut dire que lui même n’est pas appelé au commandement, lui-même n’est pas à sa place lorsqu’il dirige, lorsqu’il est général. En fait, le problème de Cuprum est de ne pas savoir où est sa place et de se situer par rapport à la place qu’il doit obtenir. Il aura tendance à aller vers une espèce d’humilité pathologique à travers laquelle il cherche son attitude juste. Autant être général, c’est être en égotrophie, autant n’être rien du tout, c’est égolytique. Il y a cet équilibre très difficile à trouver.

Donc soit il est chef, soit il est insignifiant. Il faut qu’il retrouve cet équilibre entre les deux en se disant qu’il ne doit être ni général, ni rien du tout. Les symptômes clés qui peuvent évoquer Cuprum, c’est humilité ; responsabilité, avec les difficultés à assumer sa responsabilité ou comment l’assumer ; tranquillité, je suis bien à ma place ; avoir la paix, rester à sa place. Vous verrez souvent des Cuprum décompensés et venir vous voir en consultation lors d’un avancement dans le travail, lorsqu’il y a une promotion. Ils sont calmes, ils sont au niveau qu’on leur propose, ils sont très laborieux, très consciencieux.

On leur propose un poste et à partir du moment où ils sont dans ce poste où le taux de responsabilité est supérieur à ce qu’ils estiment être leurs capacités, à ce moment-là ils décompensent et tombent malades. Je crois qu’il y a une chose qui permet de retenir ce que peut être Cuprum. J’ai présenté ce cas parce que je trouve que c’est extraordinaire.

Qu’est-ce que c’est que le cuivre ? C’est l’or du pauvre. Ce n’est pas de l’or, ça ressemble à de l’or, mais ça n’a pas vraiment de valeur. En plus ici vous avez une fortune, l’or, avec ces pauvresses qui habitent la loge de concierge.

Claudine, en fait, est à l’aise avec les chiens. C’est ce qu’elle estime être sa place, c’est le niveau auquel elle se situe, c’est là qu’est son équilibre. L’enfant ne peut pas lui faire accéder à un autre niveau : l’enfant est accepté au niveau des chiens, à ce moment-là elle ne le rejette pas. Humilité, cela fait penser à d’autres remèdes, bien sûr : trouver sa place, sa juste place, quel autre remède cela vous évoque-t- il ? Vous avez des gens qui dans leur vie jamais ne trouvent leur place, dont c’est une des thématiques. Vous ne pensez pas à un autre remède ?

 

Intervenant – Ils veulent viser plus haut, par exemple ?

Philippe Servais – Pas nécessairement viser plus haut, trouver sa place. J’ai eu un monsieur qui était un ingénieur de bon niveau et qui a été mis à la retraite. Cela a été, ce qui arrive fréquemment chez les hommes, la décompensation totale alors qu’avant il avait dit : « je m’intéresse à ceci, à cela. La retraite, aucun problème. Je vais vivre, c’est formidable pour moi la retraite ! » La retraite est venue, ça a été la décompensation la plus totale — ce n’était pas un problème social ou d’argent ou de reconnaissance, pas du tout — au point que, non seulement il a commencé à décompenser physiquement, il a fait un petit accident cardiaque, mais encore sa femme m’a dit : « il a vieilli. En un an, il a pris dix ans, même mentalement. J’ai l’impression d’avoir un vieillard cacochyme qui n’arrive plus à réfléchir, qui est ralenti, qui va vraiment très mal ». J’ai essayé de comprendre pourquoi. Il n’avait pas de problématique d’humilité de type Cuprum. En fait, il avait fantasmé des choses à faire, mais à la retraite il s’est retrouvé avec sa femme, il y avait des enfants et des petits-enfants qui étaient dans l’entourage, dans l’environnement, et lui même s’est trouvé là, perdu, parce que c’est un homme qui n’avait ni l’habitude ni les compétences pour jouer avec les petits enfants. En plus c’est quand même plutôt un intellectuel, donc cela ne le passionnait pas. Il avait pensé s’intéresser à des choses d’érudition et il se disait : « à quoi bon me lancer là-dedans, ça sert à quoi ? De toute façon, je ne vais pas devenir imminent en la matière, je vais simplement m’occuper ». Bref, il décompensait complètement.

Le remède qui l’a vraiment sorti d’affaire, c’est Aloe. Parce qu’Aloe a aussi ce problème de trouver sa place, de trouver sa juste place, de trouver sa relation à la terre qui lui permet d’être là où il faut. Vous savez que le problème d’Aloe, c’est un problème du premier chakra. C’est donc là que cela se passe la problématique d’ Aloe.

Ce que j’ai compris simplement — mais c’est superficiel, je le reconnais —, c’est que le problème de trouver sa place chez Aloe n’est pas du tout le problème de Cuprum. Chez Cuprum, c’est trouver sa place à un niveau hiérarchique qui lui correspond, tandis que chez Aloe ce n’est pas du tout cela : c’est un problème de trouver sa fonction, de retrouver sa place dans le sens de retrouver sa fonction.

 

Intervenante – Mais cette personne, en tout cas, n’avait pas tellement de responsabilités importantes !

Philippe Servais  – Non, elle n’a pas pris de responsabilités importantes. Elle n’a pas voulu en prendre, elle n’a pas cherché à en prendre, elle a voulu rester à sa juste place. Elle avait pourtant l’argent, elle pouvait transformer sa vie, elle pouvait vivre de ses rentes dans une belle maison sur la Côte d’Azur, tout lui était permis. Elle avait des millions, mais elle est restée à sa juste place. Elle a juste construit des cages pour les chiens…

Intervenante – C’est son humilité qui t’a fait penser à Cuprum ?

Philippe Servais – Oui, c’est cela qui m’y a fait penser. Je me suis dit : « elle est dans une humilité incroyable ».

 

Elle fait tout à fait son âge. Physiquement, elle va parfaitement bien. Elle a mis au monde cet enfant. Je pense vraiment que Cuprum, que je lui ai redonné en tout début de grossesse, lui a permis de prendre la décision de ne pas avorter parce qu’elle m’a dit que dès qu’elle a pris le remède, au moment où elle pensait avorter, elle s’était sentie mieux. Elle a retrouvé le moral, elle a fait cet enfant. J’avais très peur en me disant qu’à la limite, dans une situation comme cela, est-ce que la DDASS ne devait pas être au courant ? Peut-être qu’un enfant vit dans des conditions épouvantables, puis j’ai senti que le danger était passé avec Cuprum.

Avec Cuprum elle a bien assumé sa grossesse, elle a accouché… chez elle, mais enfin c’était dans sa logique. Elle s’occupe très bien de son enfant. Mais ce que je vois, c’est qu’elle n’est plus malade, qu’elle s’occupe parfaitement de son enfant, qu’elle fait tout ce que je pensais inimaginable chez elle de faire avec un enfant. Elle l’élève correctement, elle a compris la relation qu’elle a avec son ami, donc elle comprend que son ami est encore plus infantile qu’elle et qu’il dépend d’elle. Elle l’a admis, c’est-à-dire qu’elle a refusé de vivre avec lui, mais il est là à mi-temps. Elle le garde un peu à distance, il est gentil pour l’enfant, l’enfant a un père. Maintenant, elle commence à sortir à la campagne pour aller promener l’enfant. Quelquefois elle oublie même ses chiens, enfin… les chiens passent après.

Je l’interroge régulièrement sur la place respective des chiens et de l'enfant ! Visiblement, les chiens sont en recul par rapport à son fils ! Avec Cuprum, elle a compris par exemple que les chiens ne pouvaient plus entrer dans la chambre.

C’est une histoire extraordinaire. Elle a humanisé sa vie. Mais on n’est pas au bout de l’histoire, il faudra que je vous en reparle dans dix ans. On en est là.

 

* * *

 

Je vous avais expliqué tout à l’heure ma vision concernant les archétypes, dans la mesure où on avait à faire à une série d’archétypes qui sont ceux de la nature humaine. Ici, des deux derniers cas que je vais vous présenter, il y en a un qui rentre aussi dans un archétype et un autre qui en est totalement éloigné.

 

Le monsieur que je vois en 1992 a 39 ans. J’ai tout le compte-rendu hospitalier parce que c’est un homme qui est suivi en neurologie depuis toujours, puisqu’il est atteint d’une maladie héréditaire dont son père était également atteint et qui s’appelle la maladie de Strumpell-Lorrain. Il était donc soigné par Liorésal, mais qui ne servait vraiment pas à grand chose. C’est une maladie qui est essentiellement neurologique, caractérisée par une spasticité musculaire de la partie inférieure du corps qui commence au niveau de la taille et au niveau lombaire, une spasticité extrêmement invalidante.

Imaginez mon patient, qui est un homme d’un mètre quatre-vingt, qui a une belle stature, qui est grand, mince, un beau type, et qui marche très difficilement. De plus, il est extrêmement cambré. C’est donc un énorme handicap avec lequel il a appris à vivre, mais il a appris à vivre très mal. Il n’a jamais intégré vraiment cette maladie. Donc, problème de spasticité et de contraction, contractures permanentes. Il se compare lui-même à un pantin désarticulé. « Je suis, me dit-il, fataliste. Malheureusement, je ne suis pas un grand battant et en plus je suis un grand émotif », ce qui s’avère vrai. Vous le verrez plus tard, il est extrêmement émotif.

C’est un homme qui supporte mal la compagnie des autres, qui a toujours eu depuis son enfance un problème de rapport aux autres très difficile. Il n’est pas timide, loin de là, mais c’est un solitaire. Il déteste les manifestations collectives. Il a un grand besoin d’être seul, il déteste qu’on le connaisse vraiment, il a beaucoup d’autonomie et d’indépendance, il est très pudique dans ses sentiments, dans l’expression de ses sentiments. A cause de son handicap, entre autres, il manque de confiance en lui. C’est un casanier.

Du point de vue pathologique, sa maladie malheureusement continue à évoluer, ce qui fait que d’année en année, il lui est de plus en plus difficile d’avoir une vie normale. Pourtant c’est un homme brillant, il a deux diplômes, un diplôme de vétérinaire et un diplôme de pharmacien. Il travaille dans l’industrie pharmaceutique où il est cadre supérieur. Il a perdu tout enthousiasme dans son travail, dans sa vie. Il a trois enfants, une femme qui est sage-femme, il a « tout » pour être heureux, si ce n’est son handicap. Il sent bien qu’il s’enferme de plus en plus dans une espèce d’inertie et, sinon de déprime, du moins de passivité, de manque d’enthousiasme, de manque d’intérêt, de manque de sens dans sa vie.

Son travail, cela fait un bon bout de temps que ça ne l’intéresse plus. Il réagit à cela d’une manière qu’il essaie de contrôler. Il est extrêmement émotif, je vous l’ai dit. C’est quelqu’un qui retient ses larmes, qui ne montre pas grand chose, et aussi — de cela il en souffre — de manière très agressive vis-à-vis de l’entourage. Il essaie encore de se contenir au travail, mais il a grand mal en famille. Le rapport de couple est devenu un peu difficile à cause de cela et les enfants en ont un peu peur parce qu’il peut être très agressif, mais en fait c’est une agressivité purement réactionnelle, car fondamentalement c’est un homme qui a vraiment du cœur. Je vais m’apercevoir à moult reprises de cette émotivité parce qu’il se met très souvent à pleurer ou à se retenir en parlant. Il dit : « j’ai toujours refusé de suivre une psychothérapie, une psychanalyse, parce que je me sais trop fragile pour travailler sur mes émotions ».

Je reviens sur son rapport un peu misanthropique au monde. Je vous ai dit qu’il détestait toute manifestation collective. C’est le cas… Il ne supporte pas, il refuse d’ailleurs, de sortir, de voir des amis, d’aller à des dîners, à des soirées, ce qui fait beaucoup souffrir sa femme. Déjà enfant, il ne supportait absolument pas le groupe, donc il ne pouvait pas aller en colonie. A l’école, en classe, il avait un rapport difficile avec les autres. « Je ne supporte pas, je n’ai jamais supporté, d’être au milieu des autres, même en vacances, même avec les enfants et ma femme ». Prendre des vacances est pour lui la pire des choses. « Je ne supporte pas d’avoir des obligations, de devoir me composer un personnage. Seule la solitude me libère des tensions, spécialement musculaires. » Pour être mieux sur le plan spastique, il faut qu’il soit tranquille et tout seul. « J’ai toujours eu des envies de fuir : fuir les copains quand j’étais petit, fuir la famille quand j’étais ado, fuir la famille actuelle, pourtant je les aime, fuir le boulot, j’y vais avec des boulets aux pieds. C’est scandaleux, je le reconnais, j’ai envie de fuir ma femme et mes enfants. J’ai toujours eu le sentiment d’être pris au piège. Souvenirs de colonies, souvenirs de vacances familiales... Le pire pour moi, c’est sentir qu’on veut me forcer la main ».

Tout cela fait que depuis une quinzaine d’années — ce qui correspond au mariage, à la vie adulte — il s’exprime comme ça, en état de colère rentrée, de colère contrôlée. A partir de moult symptômes liés à ses contractures, plus ce sentiment de colère rentrée et contrôlée, je lui donne Staphysagria. Jusqu’il y a deux ans d’ici, au printemps 2000, il revient régulièrement me voir, c’est-à-dire une ou deux fois par an, cela suffit — après on en rit —pour chercher sa dose. Parce que Staphysagria va l’aider énormément. Il me dit qu’après Staphysagria, assez rapidement et pendant un certain temps, parfois des mois, il est moins spastique et moins contracturé, qu’il se sent mieux dans son corps et qu’il se sent mieux même dans sa capacité à continuer sa vie, que ça le détend, qu’à une ou deux reprises, Staphysagria lui a permis de pouvoir remonter les escaliers alors qu’il n’y arrivait plus.

Mais mon idée c’est : je l’ai amélioré, je l’aide à supporter sa situation, il est moins agressif avec la famille — sa femme me le dit d’ailleurs. C’est déjà un beau résultat, on ne peut pas faire mieux, il a une maladie héréditaire, de toute façon personne ne pourra jamais le guérir. Je lui donne donc entre 1992 et début 2000, c’est-à-dire pendant huit ans, une à deux doses par an de Staphysagria à diverses dilutions. Il ne venait que pour chercher sa dose. Je pensais donc que j’étais sur son simillimum, vu le bon résultat.

Puis il revient en tout début 2000 en me disant : « il me faut de nouveau un traitement, ça ne va plus, j’ai revu le neurologue, j’ai quand même encore une aggravation de ma situation neurologique, neuromusculaire ». Ce qui me fait un peu tiquer parce qu’un remède simillimum ne va pas le guérir, mais au moins qu’il n’y ait plus de dégradation de son état lésionnel ! « J’ai des pertes d’équilibre, je suis fatigué, exténué en fin de journée, la vie devient très difficile ». Et j’ai droit de nouveau à ce discours : « je ne supporte pas les autres, d’être au milieu des autres, les vacances, les enfants, j’ai besoin d’être seul, etc. ».

Je me dis : là, j’ai à faire ! Je pense que le cas est intéressant aussi d'un point de vue doctrinal : vous pouvez avoir un très bon résultat avec un remède simile pendant de très nombreuses années, vous pouvez aider quelqu’un, mais il faut toujours garder cette vigilance en se disant : « est-ce que je continue avec ce remède ? Est-ce qu’il ne faut pas aller chercher plus loin dès que l’occasion se présente ? » C’est ce qui se passe. Il me dit alors en consultation : « j’ai toujours rougi, spécialement lorsque je suis pris par surprise ». Et il répète : « je ne veux pas qu’on me connaisse ». Il me parle du trac qu’il a dans les réunions, du trac qui entraîne même des tremblements. Il n’a rien aux membres supérieurs mais ce sont des tremblements d’angoisse. Il me reparle de son souci d’indépendance, d’autonomie, de son côté casanier, des problèmes qu’il a avec sa femme à cause de ça. Il me dit : « de toute façon, toute ma vie, aussi loin que je me souvienne, j’ai eu des périodes de perte d’enthousiasme accompagnées d’agressivité plus ou moins contrôlée, et tout le monde m’a toujours reproché mon manque d’intérêt. Ce n’est pas que ma femme, c’est aussi mes parents, mes professeurs. J’ai besoin de liberté de mouvement avec juste quelques repères que je me suis créés ». Il ajoute : « je suis une espèce d’électron libre. Qu’est-ce qui me pose le plus de problèmes dans mon travail et qui m’en a posé pendant toutes mes études ? C’est que j’ai toujours eu tendance à passer outre les procédures ».

Donc il shunte les procédures dans son travail et cela pose problème : il y a un minimum de rigueur à avoir et il a du mal à la respecter. Et les loisirs, les vacances ? On revient là dessus. « Vous avez des enfants, vous ? Vous vous rendez compte, docteur, de la somme de contraintes qu’impose le fait de vouloir prendre du plaisir ? » Je trouve que c’est une belle phrase.

Je vous ai dit qu’il déclinait toute invitation. Par contre, il adore les interconnections entre les gens et participer à ces interconnections. Il adore par exemple reprendre contact avec des amis du passé, etc., mais il ne le fait jamais que par téléphone. Et il ajoute : « j’ai une sainte horreur des on va déjeuner ensemble ».

Je m’intéresse aussi à sa maladie en me disant : « quelle est la spécificité de cette maladie ? » Je me penche donc là-dessus, je vais voir dans des bouquins de médecine et je tombe effectivement en gros sur un syndrome de spasticité, contractures, etc. Je lui en parle et il me dit : « ah oui ! Mais, docteur, j’ai une particularité, paraît-il, d’après le professeur, qui n’est pas commune de cette maladie ». Je lui dis : « laquelle ? ». Il me répond : « c’est que les contractures, les spasmes musculaires, sont uniquement de la musculature postérieure ».

A partir de là, on pouvait donner le remède et ce remède, je le lui donne. Il me téléphone exactement un mois après. Je lui avais dit : « on change de remède, tenez-moi au courant par téléphone parce que je suis sur un remède pointu et que c’est un peu la loi du tout ou rien. Ou bien je me plante complètement et cela ne vous fait rien, ou alors on trouve un truc formidable. Donc appelez-moi dans un mois ». Il me téléphone un mois après et il me dit : « écoutez, franchement, est-ce qu’on ne pourrait pas reprendre le remède précédent parce que là, je ne vois rien, je ne vais vraiment pas bien, j’ai eu des crises un peu importantes, ça ne va pas bien ».

Je ne sais pas pourquoi, intuitivement, sans vraiment oser le lui dire parce que je reconnais que c’est dur d’attendre, je m’arrange pour lui dire : « écoutez, cette fois-ci j’aimerais bien vous revoir », tout simplement pour avoir un délai supplémentaire parce que quelque chose dans sa manière de parler au téléphone me paraissait différent. Et je me dis que si je pouvais avoir une dizaine de jours en plus, on y verrait un peu plus clair, je ne suis pas si sûr que ça que ça ne marche pas. Effectivement, il revient me voir quinze jours plus tard et me dit : « heureusement qu’on a pas changé de billes, c’est génial ! ». Brutalement, tout s’est débloqué. Evidemment je ne vais pas le guérir de sa maladie, mais il a arrêté de souffrir de ses contractures, de sa spasticité. D’après le kiné qui le suit, le résultat est assez spectaculaire au niveau de sa détente musculaire. Lui même souffre beaucoup moins. Il me dit que, c’est son critère, il peut à nouveau prendre l’escalier. Mais aussi et surtout, il est à nouveau allé voir le neurologue et il en tire lui-même comme conclusion que s’il arrive à se stabiliser — il a donc une vision plus optimiste des choses —, il y aura éventuellement une usure prématurée des articulations qui sont dans des positions anormales, mais on peut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’autres aggravations. Il me dit : « pour la première fois de ma vie, je suis serein, j’accepte ma situation, j’accepte mon handicap ».

Il faut connaître le personnage, qui est quand même quelqu’un qui prend sur lui, qui a beaucoup d’orgueil, beaucoup de volonté. Il me dit : « vous allez être content, je sens que vous avez fait tomber mon frein, ce frein psychologique, que j’ai enfin intégré ma maladie et, regardez, j’ai acheté une canne ». Que lui se serve d’une canne, c’était le signe qu’il y avait vraiment un changement profond qui s’était fait. Et il me dit : « ce n’est pas tant la canne que le fait que j’ai aussi enfin accepté de prendre un statut de travailleur handicapé à temps partiel ».

Là, tout à coup, il a intégré, accepté sa maladie. Sa femme est très heureuse et elle m’a dit que le traitement lui faisait un bien fou, qu’il n’était plus hors jeu dans la famille. Il s’équilibre, il est moins agressif, tout va mieux. Il n’a plus de tremblements, parce qu’en plus qu’il avait des tremblements, il n’a plus de crampes qui viennent se surajouter, il m’affirme qu’il maîtrise infiniment mieux ses émotions. Est-ce que cela vous fait penser à quelque chose ?

 

Un intervenantPlumbum ?

Philippe Servais – Très bien, parfait ! Voilà, c’est un cas de Plumbum.

 

Ce qui a déclenché le tilt, c’est d’apprendre qu’il n’avait d’atteinte que des muscles postérieurs, donc il est tiré vers l’arrière. C’est tout Plumbum ! Vous connaissez les coliques de plomb : l’abdomen est tiré vers l’arrière avec une douleur atroce. Mais aussi, c’est toute la problématique de Plumbum qui est le frein, qui est freiné, tiré, qui ne peut pas aller de l’avant.

 

Je suppose que vous avez déjà lu des choses sur Plumbum. Un des premiers cas de Plumbum qui a été raconté, c’est un cas de médecin, de Jacques Kersten qui est passionné de cheval et qui a un cheval. Le cheval de Jaques Kersten, lorsqu’il était attaché, cassait son licol. C’était insupportable. Une fois qu’on lui enlevait le licol, qu’on le laissait en liberté, il restait tranquillement à sa place, ce n’était pas pour fuir. A partir de là, il y a eu tout un travail remarquable de fait, entre autres par Guy Loutan qui conclut que le problème de Plumbum, c’était le problème de la transgression. On est donc parti de là pendant longtemps. Ça a été entre autre confirmé par ce cas du cheval de Jacques Kersten.

Lorsque au GEHU on s’est intéressé à Plumbum et que j’ai lu toute la matière médicale de Plumbum, ce qui m’a paru très évident, du fait que j’avais fait pas mal d’astrologie, c’est la relation incroyable qu’il y avait entre la matière médicale de Plumbum et Saturne. Le saturnisme, c’est l’intoxication au plomb. Il y avait vraiment une relation et en parlant de Plumbum, on parlait de Saturne. On retrouvait les thématiques saturniennes de limitation, de rétraction. Si on va voir du côté de la spagyrie, des anthroposophes, on trouve les mêmes thématiques. Guy Loutan en avait donc conclu que Plumbum n’accepte pas l’interdit et qu’il est enclin à le transgresser. Il veut décider lui-même de faire le bien, le mal, mais il ne veut pas obéir à la loi. Nous avons donc chez Plumbum un certain nombre de mots clés qui se retrouvent dans cette magnifique matière médicale très fournie. Si ça vous intéresse, au GEHU nous avons fait un gros travail sur Plumbum, il doit y avoir une vingtaine de pages. Il y a des mots clés qui correspondent à Plumbum : rétraction, retrait, limitation, limitation de l’espace vital, enfermement, éloignement. Il y a aussi toute une thématique de la violence et même de la brutalité. Menace : il y a un gros thème chez Plumbum de la menace. D’ailleurs, je crois que c’est le seul remède qui imagine, qui rêve, qu’il est poursuivi par ses amis. Même ses amis sont menaçants.

 

Donc, chez Plumbum, il y a la sensation que son territoire est menacé. Il est envahi, un peu comme l’ermite qui ne voudrait pas voir son territoire envahi par les autres. Or quelle est la pire des menaces ? C’est la contrainte, c’est vraiment la contrainte que Plumbum ressent comme une menace. Obligatoirement, il aura besoin de transgresser. Mais ce qu’il y a de particulier chez Plumbum, c’est qu’il pourrait transgresser de manière très égolytique, très neptunienne. Il transgressera donc tout en s’imposant lui-même ses propres règles, ses propres limites. Il se fixera lui-même ses propres limites, il se fixera lui-même sa propre règle du jeu, ses propres lois. Mais il s’imagine que sa propre loi pourrait être remise en cause, donc il devra en permanence protéger cet espace. Il devra en être le gardien et donc il imaginera — il y a beaucoup d’imagination chez Plumbum — sans arrêt des scénarios de protection. C’est étonnant parce qu’il a des peurs imaginaires, des sensations liées à cet envahissement, tout en n’ayant pas de peur réelle. En fait, c’est cette imagination qui l’aide à maintenir son rôle de gardien et de gardien de sa propre loi. Saturne, en tant que planète, — vous savez qu’il y a un anneau, c’est la seule planète qui a un anneau — et le côté saturnien de Plumbum se retrouvent dans cet anneau. Il est à la fois dans l’environnement et en dehors. Il est dans la propre règle qu’il s’est établie, c’est-à-dire de suivre quand même l’astre lui-même. Une espèce de métaphore, pourrait-on dire. Je pense donc que l’idée de transgression est juste, mais qu’elle limite à mon avis trop le remède et que dans le cas présent, c’est quelqu’un qui ne transgresse pas vraiment mais qui subit les conséquences du fait de son incapacité à transgresser, et qui transgresse sur le plan intérieur plus que sur le plan extérieur.

 

Je pense que ce remède correspond à cette idée de limitation, d’individualité. Comment être tout en n’étant pas. C’est une problématique qu’on a tous, qui est propre à la nature humaine : comment être soi-même, singulier, au milieu d’un groupe social. C’est toute l’idée du plomb qui doit devenir or.

 

* * *

 

Je vais vous plonger dans un univers totalement différent et on terminera ainsi la journée. On pourrait intituler ce cas : où la biographie du patient nous aide à comprendre sa bio-pathographie.

 

Je n’imaginais pas, ce jour de mars 1995 où j’ai rencontré ce bonhomme, je n’imaginais pas qu’il allait m’entraîner dans des contrées pour moi totalement inconnues. Ex abrupto, il commence la consultation ainsi : « vos confrères se sont déjà cassé le nez sur moi plus d’une fois », et il dit cela avec un petit sourire provocateur. « J’ai déjà reçu, — et il insiste — sans aucun résultat, quantité de remèdes, dont Sulfur, Conium, Tellurium, Hyoscyamus, Calcarea carbonica, Calcarea phosphorica, Ferrum metallicum, Sepia, Thuya, Lycopodium et Chamomilla. Et, dit-il, ne vous étonnez pas, j’ai lu Hahnemann, j’ai lu Hahnemann et Kent, ne vous étonnez pas de mon petit vernis homéopathique. On m’a même qualifié de sycotique dépassé. » Un homéopathe qui n’en pouvait plus lui a dit : « mais vous, vous êtes un sycotique dépassé ! ». « Et, me dit-il, je me reconnais tout aussi bien dans la sycose d’Hahnemann — qu’il a donc lu — que dans la luèse. Et peut-être est-ce mon problème ». Je lui dis : « mais pourquoi venez-vous me voir puisque vous n’avez aucun résultat ? » Il me dit : « mon ami Pierre m’a chaudement recommandé de venir, il a fait votre promotion depuis que vous l’avez guéri de ses polypes. Notez que franchement, pour moi, je n’y crois pas. Mais la démarche m’intéresse. Je lui dis : « vous avez traversé toute la France pour venir me voir ? » C’était l’occasion de venir quelques jours à Paris voir de vieux copains, surtout qu’il ne serait jamais venu rien que pour moi ! Et moi, pris au jeu de ce discours vraiment de provoc’, j’ajoute : « vous me rassurez, car visiblement il n’y a aucune chance que je puisse vous aider. Mais puisque vous êtes là, allons-y ». Il commence donc à me raconter sa vie.

C’est un homme qui a eu une vie très remplie. Il a soixante ans. Après des études de philosophie, il a passé dix ans dans la communauté de Lanza del Vasto. Je ne sais pas si vous connaissez, c’est une communauté spirituelle des années soixante-dix qui a plutôt bonne presse. Ensuite il a passé dix ans en Afrique, en brousse, comme responsable d’une société de développement. Mais parallèlement à cela, puis par la suite et encore maintenant, il va faire de longs séjours en Inde dans différents ashrams. A l’heure actuelle, il est devenu un maître yogi, paraît-il de grande réputation. Actuellement, son activité dans ce domaine consiste à faire des formations de recyclage aux professeurs de yoga des différentes écoles, donc c’est un super professeur. Il a, paraît-il, à la fois — car j’ai aussi plein de renseignements par son copain — une grande réputation pour ses hautes connaissances et à la fois il est redouté par ses exigences et ses prises de position qui font scandale dans le milieu yogi, qui est sûrement un milieu très conformiste. Il mène donc une guerre inlassable aux petits gourous et autres soi-disant détenteurs d’une quelconque vérité ou sagesse, y compris les écoles hindoues. Mais là ne s’arrête pas son activité, car il est un des plus grands traducteurs actuels de sanscrit. Il a étudié le sanscrit depuis trente ans, il a traduit quantité de textes anciens et il est aussi un des meilleurs spécialistes du tantrisme, reconnu même en Inde. Donc c’est un homme multiple.

Malgré tout ça, il a une santé totalement déficiente. Vous allez le voir, c’est une catastrophe ! Il m’énumère une litanie de maux que je vous livre en vrac. Une des choses les plus importantes — c’est sa plainte principale —, c’est une rhizarthrose généralisée qui entraîne des nodosités articulaires, donc il souffre en permanence de crises d’arthrite. Il souffre beaucoup, surtout particulièrement au dos et aux mains, et les articulations sont déformées. Cette maladie se manifeste par poussées de douleur qui sont soudaines, violentes, transfixiantes, fugaces et erratiques, et ce, dans tout le corps. Il me dit une chose étonnante : « j’ai toujours eu, même si c’était a minima, ce type de douleur depuis l’enfance ». Il a un énorme rhume des foins. Dans sa jeunesse il faisait même de l’asthme. La désensibilisation a été une catastrophe, ça a aggravé la situation. Il fait de l’eczéma chronique. Il a eu un zona à quarante-cinq ans. Il a des bronchites tous les hivers. Dès l’enfance, il était constamment malade. Il a des migraines ophtalmiques gauches à répétition.

Il a une particularité, c’est qu’il a un odorat anormalement développé, une hypersensibilité aux odeurs, ce qui lui entraîne des nausées quasi quotidiennes parce qu’il y a toujours une odeur qui traîne, et ce depuis l’enfance. Il a cet odorat extraordinaire. L’odeur qu’il supporte le moins, c’est l’odeur de fuel, de pollution des villes et l’odeur de brûlé. Toute odeur de brûlé lui est insupportable. Il a une aversion totale pour le café à cause de ce côté brûlé du café. Des vertiges accompagnent souvent les nausées, tout particulièrement dans les mouvements d’accommodation rapide des yeux. Par exemple, se mettre à lire puis faire la vaisselle tout à coup, et il est pris à la fois de nausées et de vertiges. Il a bien sûr le mal des transports +++. Il a un mégadolichocolon avec de la colite presque permanente. Il a de très grosses varices, d’énormes varices. Il a des kératoses sur le visage où il a été brûlé à plusieurs reprises. Il a eu de très nombreux condylomes tant génitaux qu’anaux qui ont été brûlés moult fois et qui réapparaissaient chaque fois d’autant plus, c’est classique. Et finalement il a résolu le problème lui-même en prenant Thuya tous les jours pendant six mois !

Vous voyez cette litanie de maux, ce type qui est perclus de douleurs, qui est quand même un personnage étonnant parce que très contrasté. Réflexion amère au bout de cette litanie, il me dit : « jamais aucun traitement n’a agi, du plus allopathique au plus subtil. C’est vexant pour un professeur de yoga, mais c’est ainsi. Végétarien depuis toujours, j’ai étudié et tenté tous les régimes, des plus orientaux aux plus occidentaux ». Donc c’est l’échec total de tout. Et j’ajouterais quelques symptômes, qui sont une frilosité extrême, une sensibilité anormale au moindre air qui passe, au moindre courant d’air, au fait que — je l’ai observé en consultation — tout à coup il devient vraiment cramoisi à cause de la chaleur ambiante. Grande sensibilité à l’humidité, au froid, au grand froid, à la trop forte chaleur, à l’humidité, mais aussi à la trop forte sécheresse. Une espèce de réactivité du corps quasi permanente.

Ses ongles sont cannelés, ses ongles des pieds sont mycosés. Il a une salivation nocturne qui l’incommode beaucoup parce qu’il mouille son oreiller. Il a un symptôme qu’il me décrit plutôt pour rigoler, c’est qu’il a des éructations en se levant du lit, mais il me dit : « ce sont des gaz, des éructations, ce sont des gaz irruptifs », parce que cela l’amuse. Il a une aversion pour le fromage fermenté, pour l’amer, et pire encore pour les odeurs de brûlé, y compris le café et même le bord des biscottes. C’est un grand buveur de thé.

Il a une passion pour les chats et une phobie pour les oiseaux et les poules. Ce bonhomme a une belle tête, il a soixante ans, il a une tête de beau baroudeur, ce qu’il n’est pas vraiment d’ailleurs. L’œil surtout est très vif et malicieux. On sent qu’il va vous mettre dans l’embarras.

C’est donc un grand provocateur. Au dire même de ses proches. Il vit en pleine campagne, sa maison est isolée, il ne supporte pas le monde des contrainte sociales, etc. Il peut pendant des jours ne parler à absolument personne, mais lorsque l’occasion se présente il peut aussi, pour défendre ses idées, devenir un bavard invétéré, tenir un discours où personne n’a la parole. Il est donc tout le temps dans les extrêmes.

Il me dit avoir un sentiment profond de colère, mais pour lui cette colère est son moteur. Colère sur un objet qui lui résiste, colère sur les faux spiritualistes, comme il les appelle, colère sur les gens de pouvoir. Il paraît que ses colères sont homériques. Chose extraordinaire, il arrive quelque fois à se provoquer des colères presque comme un jeu, par exemple sur ses chats : tout d’un coup, comme par jeu, il se met à engueuler ses chats. Il se fait une colère comme d’autres vont se faire un bon café !

Il se dit autoritaire, dictateur et tyrannique, ce qui est confirmé par l’ami et par l’épouse qui est venue me voir et à qui j’ai donné son remède, Psorinum. Il aime à l’occasion prendre le pouvoir mais il n’éprouve aucun intérêt à le conserver. Il peut être violent, du moins il pourrait l’être. C’est un pressé, un impatient qui, s’il a l’occasion de pousser sa voiture à 180 km/h sur la route, le fait. C’est en même temps un perfectionniste, un méticuleux qui approfondit tout ce qu’il touche. C’est aussi un amateur d’entomologie.

Il y a donc en même temps ce côté un peu rigoureux et le fait qu’il est dans l’imprévoyance totale, spécialement au niveau de l’argent. Il est dépensier. Entre autre, uniquement pour ne pas être obligé de se déplacer à Paris parce que ça l’ennuyait, il a vendu par téléphone à un agent immobilier qu’il ne connaissait pas son héritage familial, un appartement qui valait 2,5 millions de F et qu’il a vendu un million. C’est totalement illogique !

Comme vous l’avez vu, bien qu’il ait tous ces maux, toutes ces douleurs, il a en même temps une grande énergie et entre autre une grande énergie sexuelle. Il continue à vouloir absolument débiter chez lui son bois à la hache. Il me dit qu’il lui arrive sciemment de surpasser ses douleurs en affirmant que, quand il arrive à les surpasser, ça lui fait du bien. Il me dit : « j’adore me dépasser et, plus encore, j’adore me briser ». Il ne se couche jamais avant trois heures du matin pour pouvoir étudier et écrire tranquillement. Il me dit avec un petit air malicieux : « ma femme est gentille, mais chiante ».

J’ai repris exactement les propos de son ami d’enfance : « dans la famille, on le surnomme le cheval noir. Il peut sortir de chez lui et, dans les champs alentours, se mettre à hurler, à gueuler, à hennir comme un pur-sang qui se cabre. Cela lui fait paraît-il du bien. Il est paillard, il aime lancer des gros mots. En Afrique, il était connu pour sauter toutes les filles qui passaient. C’est, vous l’avez compris, un grand provocateur, et volontiers exhibitionniste : même une fois en famille, il a mis ses couilles sur la table. Il l’a fait !

Il déteste le mesquin, le petit, il n’aime que ce qui a de la grandeur. Il a un côté, vous l’avez compris, auto-destructeur et même looser à l’occasion. C’est un vrai paradoxe vivant, adoré de ceux qui le supportent tel qu’il est, tant il peut être généreux, et excessif, outrancier, même dans ses ouvrages de sanscrit et de tantrisme qui sont de véritables thèses de doctorat. Tout est chez lui ou fabuleux, ou de la merde. Il est le contraire de l’homme raisonnable et pourtant il y a en lui une très grande sagesse dont il se défend et dont ses proches et ses élèves savent profiter.

Pendant quatre ans je tente des remèdes — je le vois très peu, la plupart du temps il ne vient pas, mais je l’ai au téléphone — et je lui donne Phosphorus : aucun résultat ; Hepar Sulfur : petite amélioration temporaire des migraines ; Colchicum, qui va lui faire une réaction au niveau articulaire pendant trois semaines, mais qui ne donnera pas plus, bien que je le répète. En effet, il a fait une réaction à tout point de vue : il fait en hiver une réaction de rhume des foins, un renforcement des nausées, suivis d’une amélioration partielle, transitoire et légère des douleurs. Je l’ai répété et je lui ai donné Colchicum 30 CH, je l’ai donné en 200 et cinq ans plus tard en XM, mais je n’ai eu à chaque fois qu’une petite amélioration partielle. Puis je lui ai donné sans résultat Medorrhinum, Mercurius, Nux vomica. Je lui ai donné Belladona, deux doses de Belladona parce qu’il y avait des thématiques qui pouvaient y faire penser. Ça ne donnera rien de plus. Puis je lui ai donné encore Cantharis, Berberis et Sanguinaria, tout ça en quatre ans.

Je l’ai revu en consultation au début décembre 1999. Il est amer mais triomphant. Son premier mot a été : « je vous l’avais bien dit, docteur, vous n’arriverez pas à me guérir ». Je lui ai donné Phytolacca, mais j’étais persuadé qu’il ne viendrait plus me revoir. Dès le 2 ou 3 janvier 2000, il m’appelle pour me dire que Phytolacca ou un autre, ça n’avait aucun effet et qu’il avait très mal. Mais il vient d’avoir un accident sérieux, un de ses chats l’a agressé et il a de sales plaies dues à une morsure. Au téléphone, je lui donne Hypericum et Ledum qui feront merveille et le guériront très rapidement. Ça devait être une mauvaise période pour lui : un mois plus tard, en défrichant avec une débroussailleuse, il reçoit un caillou dans l’œil. Hémorragie interne, déchirure grave de la cornée. L’ophtalmologiste est catastrophé, se demandant s’il y aura une survie de l’œil possible. Au téléphone, je lui donne Arnica, puis Hamamelis, puis Ledum et, l’un dans l’autre, tout ça aura un effet spectaculaire qui permettra de rendre le tableau un peu moins sinistre. Il conserve son œil, mais il a perdu 50 % de la vision de manière définitive. L’ophtalmologiste est ravi qu’il ait pu conserver son œil.

Là, il a le culot de me dire au téléphone : « pour des petites choses comme ça, docteur, vous êtes efficace !! »

Ensuite, en février 2000, donc peu après, il me rappelle encore, sûrement parce qu’il a compris que je n’étais fait que pour le soigner au téléphone pour des choses ponctuelles. Il vaut mieux être un peu soigné que pas soigné du tout. Il me dit : « j’ai une crise aiguë de sciatique ». Je l’interroge sur sa sciatique, sur ses modalités. Il y met de la mauvaise volonté et je ne tire rien du tout de cette sciatique, malgré ma bonne volonté.

 

Philippe Servais – Mais il y a eu un facteur déclenchant…

Le patient – Non, non, ce n’est pas venu à la suite d’un effort. Pourtant, je vais vous dire quelque chose que j’ai dû oublier de vous dire : j’ai constaté que chaque fois dans ma vie que je fais un certain rêve, j’ai des ennuis de santé après.

Philippe Servais – Ah bon, et alors ?

Le patient – J’ai fait ce rêve et la sciatique est venue.

Philippe Servais – Et ce rêve, vous le faites depuis longtemps ?

Le patient – Oh oui, aussi longtemps que je me souvienne, je faisais ce rêve et j’étais sûr que j’aurais un problème de santé après.

Philippe Servais – Lequel ?

 

Et là, il me sort un rêve : il rêve d’éruption volcanique, de volcan. Je lui dis : « permettez que je compulse mon répertoire ». Ce symptôme n'existe pas ! (D’ailleurs, par après j’ai demandé aux copains, entre autre à ceux qui ont un répertoire sur Mac Intosh. Personne, jamais, ne trouvera nulle part une matière médicale où il y a des rêves de ce type).

A ce moment là, à cet homme qui a eu le culot de me dire que pour les petites choses je pouvais lui être utile, qui est incapable de donner le moindre paramètre intéressant sur sa sciatique alors qu’il sait comment l’homéopathie fonctionne, qui fait preuve de tant de mauvaise volonté et qui me raconte ce rêve, j’ai dit dans un mouvement d'humeur : « prenez le remède X en 5 CH ».

Je n’en avais pas terminé avec lui parce qu’il me rappelle quatre jours plus tard. Il a le culot de me dire : « docteur, vous auriez pu y penser plus tôt ! C’est génial, votre truc ! Non seulement ma crise de sciatique a disparu en quelques heures — j’ai juste pris trois granules deux fois —, mais depuis lors le plus gros de mes douleurs se sont estompées. »

Je l’ai donc en consultation téléphonique régulière et trois semaines après, je lui conseille de prendre du 7 CH. L’amélioration continue et il me dit : « c’est fantastique, mes déformations et mes kystes synoviaux sont en train de régresser complètement. »

Dans le courant de l’année 2000, je lui donne une dose de 9 CH, puis une 30 CH. Je ne le reverrai, cette fois en consultation, qu’en janvier 2001 : très forte amélioration de ses douleurs. Je ne reconnais pas ses mains tellement elles ont repris une forme normale. Il me dit : « j’ai rajeuni de vingt ans ». Il n’a plus de maux de dos. Il me parle de ses pieds qui sont douloureux, de ses intestins qui se manifestent depuis un an et du fait qu’une autre dose en 30 CH qu’il a prise de lui-même sans autorisation n’a eu aucun effet.

J’étais quand même un peu excité par l’histoire, j’avais imaginé le futur et j’avais donc des doses de chez Schmidt-Nagel, dont une dose en XM. A la suite de cette dose, il a fait une aggravation, heureusement fluctuante, de ses douleurs pendant deux mois. Ses douleurs se promènent partout mais elles sont supportables. Il me dit : « j’ai bien senti que le remède agissait ». Il évite même de prendre de l’aspirine (avant il prenait de l’aspirine, des anti-inflammatoires, etc.). Pendant ces deux mois, il me tient au courant de ce qui lui arrive et il voit réapparaître d’anciens symptômes, entre autre son zona d’il y a quinze ans qui réapparaît pendant 24 heures, comme une loi de Hering classique. Au bout des deux mois, l’amélioration s’installe vraiment et ne fera que s’amplifier au fil du temps. Les intestins ne le gênent plus et il devient infiniment moins provocateur en me disant qu’il se sent psychiquement beaucoup mieux dans sa peau. Ce qui me fait dire qu’il est moins provocateur, ce n’est pas tellement avec moi, parce qu’on peut imaginer que si je lui fais du bien, il me provoque moins, c’est que la famille — parce que j’ai soigné d’autres membres de la famille — m’a interrogé sur ce que je lui ai donné. « On ne le reconnaît plus » me dit sa tante. « Il est devenu de compagnie agréable, moins excessif, plus à l’écoute des autres, il dit à qui veut l’entendre que vous avez trouvé son remède et que ça a changé sa vie ».

Autre évolution surprenante qui a lieu à partir d’avril 2001, donc dans les quatre mois : la vision de son œil accidenté s’améliore lentement mais sûrement et il récupérera 80 % de la vision, ce que ne comprend absolument pas l’ophtalmologiste. Je ne lui donnerai que onze mois après une dose en 18 CH, en novembre 2001. Je l’ai revu il y a quinze jours : le remède est précisé parce que ça va vraiment bien. Il y a un petit retour des douleurs, mais je viens de lui redonner une XM.

C’est un personnage étonnant!

 

Une intervenanteCaulophyllum ?

Philippe Servais – Je n’y ai pas pensé. A la répertorisation, il a dû y avoir une raison de penser que ça ne correspondait pas. En fait, Caulophyllum n’a une atteinte que des petites articulations.

Le remède, c'est Hecla lava.

C’est donc la lave du Mont Hecla, en Islande. En fait ce remède est cité dans toutes les matières médicales, mais ils se copient tous les uns les autres. Ce remède a été découvert par hasard parce qu’il y a eu une intoxication des moutons par les cendres de la lave. Les animaux ont développé des exostoses, des atteintes osseuses. On s’en sert symptomatiquement dès qu’il y a une exostose. C’est un remède d’abcès dentaire, mais il faut que l’abcès soit à la racine. Si vous avez un abcès à la racine, c’est le remède unique et il est souverain. C’est donc un remède à profil osseux, qu’on donne dans les hypertrophies osseuses. Voilà en résumé tout ce qu’on connaît sur ce remède, il n’y a jamais eu quoi que ce soit d’autre là-dessus. C’est donc un remède qu’on a donné plutôt de manière symptomatique en homéopathie et qui, quand il est prescrit précisément, a son effet sur un certain nombre de symptômes.

La raison pour laquelle je l’ai donné, c’est parce que je ne savais absolument pas quoi lui donner pour sa sciatique et qu’il m’a parlé de ses rêves prémonitoires qui précédaient ses accidents de santé, des rêves de volcan, et que je ne trouvais pas de remède à « rêve de volcan ». Donc je me suis dit que j’allais lui donner « volcan ».

 

C’est le volcan Hecla qui se trouve en Islande. Vous savez que ce pays s’appelle le pays de glace et de feu. Il est situé sur une des zones les plus instables de l’écorce terrestre, ce qui veut dire que les volcans y sont en constante éruption. Je dois dire que notre patient semble en être le prolongement, « en constante éruption », et pour faire un jeu de mots on pourrait dire qu’il vivait en perpétuels éclats !

On n’a jamais essayé d’autres laves, d’ailleurs j’en ai parlé avec le patient qui m’a dit : « c’est formidable, mais peut-être que ce serait mieux avec la lave d’un autre volcan » ! Je lui ai répondu du tac au tac : « connaissez-vous d’autres volcans qui soient à la fois, comme vous, de glace et de feu ? Vous vous voyez en similitude avec l’Etna ? » Il m’a répondu : « non, l’Etna ça ne m’attire pas. ».

 

Autant on était resté jusque là relativement dans les règles, autant effectivement ici on est dans une espèce d’aventure hors du commun. Une vraie pathogénésie s'avère nécessaire.

 

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