Dr Ph. M. Servais

 

 

DERMATOPOLYMYOSITE

 

         Patrick, étudiant, a vingt-quatre ans lorsqu'en Janvier 90 il est hospitalisé pour une dermatopolymyosite (maladie grave, incurable, auto-immune).

         Deux mois auparavant, sont apparues des myalgies "rhizoméliques" au niveau des épaules et des cuisses avec une asthénie importante et une grande faiblesse musculaire, un amaigrissement de cinq kilos en un mois et des arthralgies métatarsophalangiennes, des chevilles puis des genoux et des hanches, enfin au niveau des métacarpes, des interphalangiennes proximales des deux mains, des poignets.

Ensuite sont apparues des éruptions érythémateuses péri-unguéales, des ailes du nez, du cuir chevelu, du dos de la main, avec oedème de la face. En outre, gingivorragies, petites diarrhées, dysphagie légère, bouche sèche, syndrome sec oculaire avec conjonctivite, et oppression thoracique. L'examen clinique révèle en plus des adénopathies disséminées, une gorge érythémateuse avec quelques éléments ulcérés et purpuriques, des lèvres oedématiées, des "mains de manucure" avec rétractions cutanées douloureuses péri-unguéales, une érythrose des plis palmaires, une éruption dermique profonde papulovésiculeuse douloureuse aux 2ème et 3ème doigts, un oedème liliacé des paupières, une éruption érythématopapuleuse en aile de papillon sur le nez ainsi qu'au dos des mains, sur les cuisses, crêtes tibiales et dos des pieds. Enfin, deux plaques purpuriques sur les malléoles internes.

         Toutes les explorations imaginables spécialisées sont pratiquées dont une biopsie musculaire qui révèle un infiltrat inflammatoire polymorphe et des travées scléreuses interstitielles, un E.C.G. montrant des troubles de la repolarisation en faveur d'une myocardite. VS augmentée, CPK à 445, Aldolase à 12. Une fibroscopie révèle une oesophagite pseudo-membraneuse. Les épreuves respiratoires sont perturbées. En outre, on observe une double kératite ainsi qu'une hépatosplénomégalie.

         Dès la deuxième semaine d'hospitalisation, devant les risques de myocardite, le patient est mis sous 80mgs/jour de Cortancyl (cortisone).

         Le diagnostic est le suivant: dermatopolymyosite avec atteinte myocardique, pulmonaire, oesophagienne et oculaire.

 

         Lorsque le jeune homme vient me consulter en Novembre 90, soit dix mois après l'hospitalisation, le bilan clinique est le suivant: la cortisone a diminué l'intensité de la symptomatologie mais le patient ne peut absolument pas descendre en dessous de 15 mgs de Cortancyl sans voir apparaître une recrudescence des symptômes. A cette dose de cortisone, il présente quand même une sérieuse perte de force musculaire, des arthralgies, myalgies, des érythèmes douloureux entre autres péri-unguéales, une grande fatigue, des troubles pulmonaires, cardiaques, l'hépatosplénomégalie et...un désir effréné de bananes (dû à la cortisone!).

Rien dans l'interrogatoire ne m'apporte de réelle information supplémentaire si ce n'est éventuellement un goût très prononcé pour le lait et les huîtres.

Ce garçon, d'origine vietnamienne, se décrit comme très patient, trop franc, peu diplomate, trop confiant ("tout le monde il est beau il est gentil"), jamais anxieux ni même inquiet ("je me fous de tout, presque rien est important"), ne voulant pas entendre parler de problèmes quelconques et particulièrement de problèmes d'argent (il prête comme un seigneur le peu d'argent qu'il a!). Il a des impulsions soudaines qu'il doit satisfaire tout de suite: acheter une voiture, faire du parachutisme, suivre des cours de pilotage etc. Il est audacieux et même téméraire se lançant dans n'importe quoi sans crainte ni état d'âme. Il "ne supporte pas le désordre ni les gens qui ne sont pas rationnels". Je trouve qu'il a même un sacré recul face à sa maladie (ou est-ce de l'inconscience?): elle "l'ennuie prodigieusement" mais "essaie d'être au dessus de ça". Il a une sorte de rire asiatique en en parlant!

Seuls ses rêves, nombreux et récurrents depuis bien avant sa maladie me paraissent intéressants. Il rêve de toilettes qui débordent(!), de mer et de nage, d'obstacles à franchir pour atteindre un lieu avec des monstres, des serpents surtout qui veulent le mordre etc.; il rêve qu'il vole, de partouzes avec toute sa famille(!), qu'il devient un personnage important, est couronné et acquiert des pouvoirs.

Etant dans le plus complet brouillard homéopathique, je me tourne vers le tout premier symptôme apparu au départ de la maladie: inflammation autour des ongles: Conium, Hepar, Natrum mur.,Natrum sulf., Phosphoricum acidum, Sticta. Je tiens compte d'une modalité mentale certaine: ne supporte pas de parler de sa maladie et "pleurerait presque si on porte sur lui un regard de commisération".

Jugeant que si je n'ai pas ne fût-ce qu'une amélioration purement symptomatique je n'ai aucune chance de revoir ce patient peu motivé, poussé par sa famille à venir me voir, je prescris non pas un placebo pour me donner du temps mais une dose de NATRUM MURIATICUM 30ch.

A mon relatif étonnement, il revient un mois après en Décembre 90 pour me dire qu'il a meilleur appétit, qu'il se lève plus facilement le matin, qu'il est moins épuisé, que ses forces musculaires sont un peu meilleures, que ses douleurs articulaires et son extrême sensibilité du bout des doigts sont un peu améliorées. Sa dose de Cortisone est inchangée. Ne trouvant toujours pas d'autres pistes après la deuxième consultation et puisque notre homme est satisfait, je lui donne du placebo quotidien ainsi qu'une dose de NATRUM MURIATICUM 200k à prendre s'il sent qu'il rechute.

Il prendra ce Natrum 200 en Mars 91 qui lui fera à nouveau du bien, ce qui permet qu'en Mai 91 il puisse réduire son Cortancyl, sans trop d'inconvénients majeurs, à 6 mgs/jour. Une dose de NATRUM MURIATICUM 10.000k en Mai 91 n'apportera plus aucun changement. Bilan en Juillet 91: "mieux à 50%"sur le plan subjectif mais pas d'amélioration des manifestations cliniques profondes de la maladie.

         A mon avis, Natrum mur.agit favorablement sur son état inflammatoire et son psychisme mais nous sommes loin du simillimum qui devrait avoir provoqué d'abord une aggravation temporaire pour donner ensuite un résultat bien plus spectaculaire.

Je me balade donc dans diverses répertorisations et matières médicales à la recherche d'un remède qui pourrait être intéressant compte tenu de ses rêves étranges qui seuls le personnalisent et ont donc une haute valeur homéopathique. La rubrique du Kent: weakness rheumatic (dans Extremities) retient mon attention parce que j'y trouve un remède, Bovista avec, dans le Hering, "rheumatic paresis and marked muscular atrophy of affected leg". Tout à coup, tout s'éclaire dans mon esprit et je comprends enfin l'esprit des rêves du patient qui devient pour moi un personnage cohérent! Bovista est gonflé d'orgueil et veut occuper une place plus grande qu'il ne lui revient. Dans ses rêves, le patient devient un grand personnage, au dessus des lois de la morale élémentaire; il est couronné, a des pouvoirs, affronte des obstacles (en plus, on trouve Bovista dans les rêves de serpents), ...même les toilettes débordent! Dans la vie, il est comme un seigneur, au-dessus des contingences: il donne de l'argent, il ne connaît ni la peur ni l'anxiété.

         Je lui donne donc BOVISTA 30ch, une dose en Juillet 91 et là, le résultat est assez spectaculaire. Après une phase d'aggravation physique importante (heureusement, je suis en vacances!), le résultat est étonnant. En Novembre 91, il me dit s'être senti et continuer à se sentir mieux à "90%"(!) et, forçant l'avis du spécialiste qui le suit toujours, il a arrêté la Cortisone depuis le mois de Septembre! Presque toute la symptomatologie a disparu, même la plus lésionnelle!

Pour les "10%" de symptômes qui lui restent et qui sont stationnaires, je lui redonne une dose de BOVISTA 200k le 19 Novembre 91.

         A l'heure actuelle, je soigne sa soeur qui me donne régulièrement des nouvelles de ce patient. Il me transmet son bonjour et me fait savoir qu'il est totalement guéri, va très bien et n'a plus besoin de me voir!

 

         Ce cas force donc à réfléchir dans la mesure où la solution a été trouvée en dehors des règles habituelles de répertorisation et de recherche de symptômes strictement similaires. Pour "oser" prescrire Bovista, il a fallu se référer non à la lettre mais à l'esprit de la matière médicale de ce remède. Si vous relisez tous les symptômes des pathogénésies, vous vous apercevrez que l'histoire de Bovista c'est la fable de La Fontaine "La grenouille et le boeuf" et que, comme tout remède, Bovista correspond à un archétype (ici, brillamment décrit par le poète français). Ayant avec d'autres homoeopathes réétudié une centaine de remèdes sous leur angle archétypal, il m'apparaît de plus en plus que c'est sous cet angle que transparaît le plus haut degré de spécificité d'un remède. Je ne veux pas dire par là qu'il ne faut plus répertorier ni suivre les voies d'approche classiques, bien au contraire! Mais une vision plus "aérienne" du cas et du remède prescrit va permettre de juger avec plus de rigueur de la finesse de la similitude utilisée, en permettant de vérifier celle-ci dans toute sa profondeur.

 

Plus je me penche sur des cas de pathologie grave, plus je me rends compte que la solution est à trouver hors des sentiers battus et plus je m'aperçois que par manque de confiance dans l'homéopathie, par manque d'entêtement et d'étude, par contentement trop rapide, nous nous interdisons nous-mêmes des réussites dans les affections les plus sévères.