Philippe Servais
ADAMAS
(Transcription de conférence)
Comme je l’ai annoncé, je voudrais vous présenter un cas qu’il est
intéressant de voir en parallèle au précédent. Il s’agit d’une femme de
soixante ans, professeur d’Université en sociologie, épouse d’un des plus
grands intellectuels français. Elle est venue me voir il y a six ans pour des
problèmes de circulation des membres inférieurs : œdèmes des chevilles, retour
veineux très mauvais, jambes lourdes en permanence et hémorroïdes. En outre,
elle est en dépression depuis quinze ans malgré des antidépresseurs permanents.
Elle est en psychanalyse ; elle a fait deux ‘’tranches’’ sur seize ou
dix-sept ans.
Elle avait un premier mari dans un pays étranger qui la choyait, qui
s’occupait beaucoup d’elle, qui s’occupait de sa carrière, qui s’occupait de
son bonheur, qui était à ses petits soins, et, à part des tas de petits ennuis
de santé, elle allait bien. Douze ans auparavant, elle a eu ce qu’elle appelle
sa grande révolution, c’est-à-dire qu’elle est tombée amoureuse de celui avec
lequel elle vit actuellement. Elle a donc refait sa vie, quitté son pays. Elle
a pu obtenir l’équivalence pour sa carrière puisqu’elle est à nouveau
professeur en faculté. Mais elle est déracinée, encore qu’elle puisse voyager
fréquemment et qu’il ne se passe pas deux mois sans qu’elle retourne dans son
pays. Elle a de l’argent et ne manque de rien. Mais elle reste, malgré le
divorce, totalement dépendante affectivement de son ex-mari qui, bien que ce
soit elle qui soit partie, est resté néanmoins très gentil avec elle. Il est
toujours aux petits soins. Elle l’appelle au téléphone trois fois par semaine,
elle se raconte, il est toujours prêt à l’accueillir quand elle retourne au
pays, etc.
« Je n’ai jamais pu guérir d’être sortie de la protection de mon mari
qui était ma mère, non pas mon père mais ma mère. Je suis une enfant
abandonnée. » Elle a soixante ans et elle est professeur de sociologie à
la faculté … ! « Quand il était là, je pouvais tout faire, il
était là. Je pouvais partir faire des conférences à l’étranger, il était
là. » Or le nouveau mari est un homme très différent, pas du tout
protecteur. Il a lui-même une ex-femme avec qui il entretient non pas ce type
de relation, mais des relations suivies à cause des enfants ; des
relations normales d’un couple divorcé dans de bonnes conditions. Elle en est
très jalouse. Ils ont vécu une grande passion au départ. Lui a trouvé en elle
une jolie femme qui était non pas à égalité avec lui, car il est quand même
très grand (!) mais qui était sur la même longueur d’onde que lui,
professeur de faculté.
« Un grand thème de ma vie, me dit-elle, est le foyer, le cocon, le
home. Je suis une casanière, je n’aime pas tellement voyager, je n’ai pas
supporté d’être ainsi déracinée… » Pourtant, quand elle me dit cela, je
sens que c’est faux. Je sens que ce sont des justifications d’intellectuel
psychanalysé qui a reconstruit un système justifiant son mal-être.
« Je suis, continue-t-elle, un animal de groupe, un animal de famille.
Je n’ai plus ma famille, j’ai un besoin pathologique d’amis. » Aussi
organise-t-elle des tas de dîners. « J’ai une peur bleue de la solitude,
je suis inquiète en permanence pour mes propres enfants (qui vont bien). J’ai
le fantasme de la misère, de l’absence, d’être à la rue », ce qui me
paraît dans son cas impossible ! Elle vient d’une famille aristocratique
mais un peu décadente. Quand elle était jeune, elle se promenait à cheval dans
le château familial. « Je ne supporte pas la souffrance. Si vous saviez,
docteur, à quel point je souffre pour les autres… D’ailleurs je donne aux
œuvres, et si j’ai fait sociologie, c’est tant l’humanité me fait
souffrir. » Mais moi, je ne le sens pas ! Parce qu’il y a un article
dans le Paris-Match de ma salle
d’attente sur le sujet, elle va jusqu’à me parler les larmes aux yeux de la
vivisection pour me prouver sa compassion ! Elle est pour ainsi dire en train
de tomber dans les pommes parce qu’elle pense à la vivisection ! Quant à moi,
elle me laisse froid comme un glaçon !
Ce que l’on retient de cela, c’est qu’elle a tout le temps besoin d’être
entourée, qu’elle a un sentiment d’abandon, de solitude, qu’elle a besoin
d’amis tout le temps autour d’elle, que son ami habituel, un homme très occupé,
ne fait pas tout ce qu’il faut, loin de là, que, entre autre, il râle quand, à
quatre heures du matin, elle ne peut plus dormir et qu’elle le réveille en lui
disant : « je ne peux plus dormir » et qu’il l’envoie promener.
Le mois dernier, me dit-elle, elle a eu une note de téléphone de 8 000 F parce
qu’elle téléphone à tout le monde, entre autre dans
son pays. Elle me dit quand même quelque chose de très intéressant :
« Je consomme les amitiés pour être rassurée ». Je lui dis
alors :
Comment faites-vous ?
J’ai des vagues d’amis, et je m’en fais des nouveaux régulièrement.
Donc elle les use, elle leur suce la moelle, elle leur prend de l’amour.
Elle m’avoue aussi qu’elle a accumulé les amants, et si elle a accumulé les
amants, c’est bien sûr pour qu’on l’aime. « Mon compagnon n’a pas pour moi
l’adoration totale qu’avait mon ex. L’autre jour, je me suis mise à pleurer
parce qu’une amie n’a pas tenu compte de mes conseils. » Comme on ne peut
pas être renvoyé quand on est professeur de faculté, elle n’y fait strictement
plus rien à part donner quelques cours, elle a
complètement arrêté toute recherche. Elle me dit d’elle-même des choses que
seuls des gens qui ont fait une longue psychanalyse osent dire sans honte :
« J’ai l’obsession d’être au centre d’une cour et je désespère si je ne le
suis pas. J’organise ma cour ». Elle est quand même un peu cynique, car
elle est très consciente d’elle-même. « Il faut que je sois le centre de
l’attention. Je ne supporte pas que mon mari manifeste des signes de
vieillissement. » Je ne vous dis pas combien de liftings elle a subi !
Hyper-jalouse, elle tourmente son mari et même son ex ! (Elle est
jalouse aussi de ses amis) « Et pourtant il m’a toujours été fidèle. Je ne
dirai pas la même chose de moi… Auprès de mon ex (qui est devenu l’homme idéal),
j’avais trouvé une mère, une famille, mais dès le début du mariage la relation
n’a plus été de l’ordre de la libido. Il était une mère pour moi et on ne fait
pas l’amour avec une mère ! Si une amie ne m’appelle plus, je lui en veux
énormément. Si une amie tout à coup manifeste de l’enthousiasme pour quelqu’un
d’autre, je ne le supporte pas et je romps. » Elle passe son temps à
soupçonner son mari actuel de trahison, ce qui n’est pas le cas. Elle a essayé
d’éjecter ses enfants. Elle ne les supporte pas, elle voudrait qu’il rompe avec
eux. Pas vraiment sympathique, la nana !
A un moment, elle commence une phrase comme ceci :
Quand mon mari m’a quittée…
Attendez, c’est vous qui êtes partie !
Ah oui, c’est moi qui suis partie. Je lui donnais toute ma confiance,
docteur, et vous savez ce qu’il a fait, après que je l’aie quitté ? Il a
trouvé une autre femme !
A propos de son nouveau mari, elle lui reproche d’être
narcissique (sic).
Elle fait des rêves d’abandon. Elle fait aussi des crises
de boulimie. Elle reste enfermée chez elle, à attendre qu’on s’occupe d’elle,
qu’on la sorte. « On m’appelle la taupe. » En même temps, dans son
« terrier », elle contrôle tout, elle sait ce que fait son ami, ses
horaires, etc., mais aussi ses enfants qui sont grands - elle a des enfants de
trente et trente-trois ans - et qui habitent à l’étranger. « Je contrôle
tout, je sais tout sur eux. Je sais s’ils baisent bien ou pas. Je sais leur vie
sociale, je connais leurs amis. Il faut que je sache tout d’eux. Je demande au
téléphone à mon fils s’il s’est coiffé ! De toute façon, avec mon ex
j’étais le chef. Je suis très snob ». Elle attache énormément
d’importance au niveau social, et si elle ne se met pas à la retraite
« c’est uniquement pour garder mon statut, sinon je les enverrais
promener. Ce que je fais ne m’intéresse absolument plus ».
Elle m’arrive un jour avec une grosse laryngite qu’elle
traîne depuis quinze jours, une laryngo-trachéite
dont elle ne se sort pas. Elle a pris des antibiotiques et des tas d’autres
choses, rien ne marche. Elle s’époumone à la consultation. Je me fais alors la
réflexion suivante : c’est une emmerdeuse, je n’ai pas trouvé son remède et en
plus je ne pourrai même pas trouver le remède de sa laryngite. C’est une
catastrophe, ça va être la dernière consultation, je ne la reverrai plus! Au
milieu de sa toux, elle me dit :
Vous savez, je suis une grande frustrée.
Frustrée de quoi ?
Je suis frustrée de ne pas être merveilleuse, de ne pas
être la plus belle et la plus acclamée !
Et elle me répète qu’elle veut être au centre du monde.
Hier soir, par exemple, j’ai fait un dîner chez moi (un
beau dîner avec cristaux, etc., avec bien sûr des gens remarquables,
extraordinaires) mais je suis déçue et déprimée parce que…
Ça ne s’est pas bien passé ?
Oh si, ça semble s’être très bien passé, au point même
que mon ami m’a félicitée, ce qui est assez rare, mais j’ai conscience que je
n’ai pas été la meilleure et la plus brillante. Il faudrait, pour que je sois
heureuse, que mon compagnon me fasse des compliments en permanence. (Elle me
sort tout ça sans fausse honte.) Dans un dîner, j’ai du mal à attirer la
conversation sur moi et j’en souffre.
Et, disant cela, elle est prise d’une quinte de toux
épouvantable. Elle ajoute, et c’est là-dessus que j’ai prescrit :
« Vous savez, docteur, je n’ai pas l’impression de mériter grand-chose,
mais j’ai un fort besoin d’être une star ».
Un intervenant : Est-ce qu’elle est belle ?
Philippe Servais : Pour une personne de soixante ans
elle est bien, elle est coquette…
Un intervenant : Platina ?
Philippe Servais : Je n’ai pas senti Platina, mais j’y ai pensé.
Un intervenant : Anantherum ?
Philippe Servais : Dans Anantherum il y a une
possessivité particulière.
Un intervenant : Une araignée ?
Philippe Servais : Il n’y a pas non plus la ruse de
l’araignée : elle est un peu brute, « il faut que je sois la plus
belle, il faut qu’on m’aime ». Elle n’établit pas de stratégie pour
l’obtenir. L’araignée construira un système, alors que, elle, il faut que ce
soit donné tout de suite.
Un intervenant : Hyosciamus ?
Philippe Servais : Ce n’est pas Hyosciamus, mais il est vrai
qu’il y a le côté « contrôle » de Hyosciamus, qui a besoin de
contrôler son univers et de garder le lien.
Un intervenant : Sulfur ?
Philippe Servais : Il y a une lucidité, elle n’est
pas non plus dans l’illusion. Je trouve qu’il y a un côté « brut de
pomme » chez elle.
Un intervenant : Tu veux dire
« minéral » ?
Philippe Servais : Pour moi oui, c’est un côté
minéral. C’est pour cela que j’ai mis ce cas en parallèle avec le précédent, parce que j’ai pensé pour elle à Palladium avec ce besoin de reconnaissance, etc. Mais j’ai trouvé
qu’elle était trop dure pour Palladium.
Il y a quelque chose d’émouvant chez Palladium,
il y a une souffrance. J’étais ému par la précédente patiente Palladium, j’étais ému par sa problématique.
Ici je puis vous dire que si elle m’avait dit qu’on lui avait coupé un bras, je
serais resté de marbre. Je n’avais aucune émotion, et c’est là-dessus que j’ai
prescrit, sur mon manque de compassion pour elle. Il me fallait trouver un
remède avec la problématique décrite mais qui tienne compte aussi de ma
sensation personnelle. Mon ressenti a fait que je n’ai pas donné non plus Platina, qui aurait pu correspondre.
Avec Platina, on se sent remis en
question, on se sent obligé d’être au niveau, on se sent impliqué, on se sent
jugé, on est obligatoirement dans un rapport de pouvoir.
Un intervenant : Adamas ?
Philippe Servais : Oui, tout à fait. Je donne
souvent les remèdes moi-même mais je n’avais pas ADAMAS. Je lui ai donc prescrit non pas Adamas, car ce n’est pas dans la
nomenclature, pas sous ce nom-là, mais autre chose, que j’ai écrit sur
l’ordonnance et qui lui a plu infiniment. Pour
sa toux, la guérison a été spectaculaire. Savez-vous ce qui figure dans la
nomenclature française ? Diamant blanc.
Diamant blanc 30ch ! J’étais
d’ailleurs un peu inquiet : était-ce vraiment Adamas. En tous cas elle a trouvé
ça merveilleux, elle est allée chez le pharmacien d’à côté, elle l’a commandé
pour l’après-midi et elle a eu son diamant blanc !
Elle a fait une réaction, d’une heure ou deux pour la
toux, une aggravation, puis celle-ci a disparu progressivement en vingt-quatre
heures. Peu après, elle est revenue me voir en disant : « Vous savez,
vous êtes la première personne, le premier thérapeute, y compris les
psychanalystes, qui ait jamais pu me faire du
bien ». Après la dose de 30 CH, elle a réduit de moitié les divers
produits allopathiques qu’elle prenait. Une autre dose en 15 CH, deux mois et
demi après, lui fera arrêter complètement l’allopathie. J’ai commandé une dose
d’Adamas
1000 K et pour le moment elle est dans l’attente de la prendre, mais elle n’en
a pas encore eu besoin. Sa dépression a disparu.
Que peut-on dire du diamant ? Comme l’or, il a de la
valeur, mais plus encore que de la valeur, il a de l’éclat, il brille de mille
feux. Si vous mettez un diamant dans son écrin ou dans le noir, il ne brille
pas, il n’a soudain plus aucune valeur. Il ne brille que dans la lumière. En
fait, le port du diamant sert à mettre la
personne en valeur. Les femmes qui portent des diamants, le font pour se mettre
en valeur. Comment se donne-t-on de la valeur ? Par la réaction provoquée
à l’extérieur. On retrouve cela chez ma patiente : son deuxième mari lui
sert de faire-valoir. Il est comme le diamant que l’on porte : il est
tellement connu, tellement influent (même si en fait il ne lui correspond
pas ; elle était beaucoup mieux avec le premier)!
Elle a cet homme comme en pendentif, comme un faire-valoir. En égotrophie, grâce à lui, elle éclipse les autres, comme le
ferait un beau diamant.
Comme chez Palladium,
il y a ce ressenti de ne rien valoir, mais Palladium
c’est par l’affectif qu’on pourra le combler et lui donner ce sentiment de
valoir quelque chose. Ici c’est purement par l’extérieur, c’est par les apparences.
« Il faut que je brille. Tout ce qui me fera briller sera bon. »
C’est pour cela que je pense qu’elle aurait pu continuer
sans résultats pendant vingt-cinq ans sa psychanalyse, il n’y a pas d’envie de
se connaître elle-même ou de faire le moindre travail sur elle. Auprès des
thérapeutes, sa seule demande est de la sortir de la dépression, sans éprouver
elle-même une quelconque envie d’évoluer.
A y réfléchir, on se dit que ça ne pouvait être
finalement rien d’autre qu’Adamas. C'est vrai que le diamant, c’est froid. Brut, il a
peu de valeur. Il en acquiert par le travail de taille et donc par ce que l’on
fait pour lui de l’extérieur.
J’ai trouvé intéressant d’analyser ces deux personnages, Palladium et Adamas, qui ont une problématique
apparemment assez semblable, mais en fait très différente.
Un intervenant : Et le besoin de protection ?
Philippe Servais : Ce n’est pas le besoin de
protection, c’est le besoin d’être mis en valeur, camouflé derrière un apparent
besoin de protection.
Un intervenant : Et la nostalgie de la protection du
premier mari ?
Philippe Servais : Le premier mari s’en occupait en
permanence, elle était sa déesse et il était l’esclave attentif.