Philippe Servais

 

CEDRON

 

                                   OU AVAIS-JE DONC LA TÊTE ?

 

            Toutes les stratégies d'approche d'un cas clinique sont utiles à connaître et aucun dogmatisme n'est de bon aloi face à un patient. J'en ai fait personnellement l'expérience.

 

            Il y a cinq ans, à la suite d'un petit traumatisme cervical, je me suis mis à développer une terrible névralgie dite du nerf d'Arnold. Vu la terrible souffrance endurée et la difficulté à m'en guérir, je fus amené à consulter un ami neurologue alors que cette névralgie, loin de s'amender, prenait de l'extension. En effet, les crises évoluèrent vers une atteinte concomitante du nerf trijumeau. J'étais atteint, selon les dires de la faculté, d'une "névrite d'Arnold avec relais au trijumeau". Cela me faisait une belle jambe si j'ose dire d'autant que la thérapeutique proposée consistait en anti-inflammatoires (en fait assez inefficaces) et ...Tegretol !!

            Ne parvenant pas, dans un premier temps, à me soigner par homéopathie (deux confrères en qui j'ai toute confiance s'y cassèrent les dents comme moi-même), je cherchai secours chez un acupuncteur, un ostéopathe, un kinésiologue sans plus de résultat.

            Après un mois et demi de souffrance, le problème devenait d'autant plus crucial que, ne dormant pas, je commençais à m'épuiser. Pour la première fois, "mon" simillimum, d'habitude plus fidèle que la meilleure des épouses, me trahissait. Des répertorisations multiples et variées me firent prendre sans apaisement Kalium bichromicum, Spigelia, Belladonna, Gelsemium, Bryonia, Ranunculus sceleratus, Elaps, Arsenicum album, Lobelia et Verbascum.

            Les crises se présentaient toujours de la même manière. Elles apparaissaient brutalement la nuit, me réveillant en plein sommeil, et s'estompaient progressivement en une à deux heures, m'obligeant à rester debout ou assis, tellement violentes que je compris qu'on puisse dans ces cas, comme c'est décrit dans la littérature médicale, penser à mourir. Il s'agissait d'une douleur partant de la deuxième cervicale et remontant à gauche vers un point précis du vertex. De là, après quelques minutes de stabilisation, il y avait atteinte secondaire mais pire encore du trijumeau gauche dans toutes ses branches. Cherchant désespérément les modalités spécifiques du mal, je décidai un soir de ne pas me coucher pour attendre de front (!) la crise quotidienne. Mon idée était de voir si le symptôme était "pain from (during) sleep" ou s'il y avait vraiment un horaire précis. J'avais en effet remarqué que la crise démarrait toujours vers une heure du matin. Je m'installai pour lire dans un fauteuil et attendis.

            Ce que j'ignorais était que ma montre n'était pas à l'heure mais avançait de trois minutes (vérification faite après coup à l'horloge parlante)! A une heure et deux minutes du matin donc, je me fis la réflexion, devant l'absence de crise, que c'était bien le sommeil qui était l'élément déclenchant et non l'horaire. Pourtant, à une heure et trois minutes, soudainement, la douleur apparut dans toute sa splendeur! J'avais pris l'habitude d'avoir toujours à portée de main ma trousse de deux cents remèdes qui jusqu'ici avait plus eu valeur conjuratoire que réelle. Mon ultime bribe d'imagination homéopathique me fit prendre deux granules de Cedron 30k (seule dilution que je possédais). A peine le remède sur la langue, je sentis quelque chose se produire. J'attendis, l'esprit sidéré comme d'habitude par la douleur. Celle-ci se dissipa miraculeusement en maximum deux à trois minutes.

            Le comble de cette histoire fut que je n'eus jamais à répéter le remède qui me guérit définitivement (du moins de cette névralgie car comme le diront sûrement les mauvaises langues, le reste est incurable!).