Philippe Servais

 

Natrum sulfuricum

 

 

 

Le lac se confondait avec le silence des lieux. Il se réveilla en sursaut, rempli de frayeur. Abasourdi. Il avait soif et mit quelques secondes à réaliser que sa fille dormait paisiblement dans la chambre à côté. Il la voyait encore tomber de la barque sur laquelle ils s'étaient tous embarqués pour une promenade sur le lac. La beauté des lieux avait un instant distrait son attention et la petite en avait profité pour plonger son regard dans le miroir de l'eau.

Sa vie était ainsi faite. On pouvait juste espérer passer entre les bourrasques qui, un jour ou l'autre vous rattrapaient sans coup férir. Vaste loterie! Et pourtant, quelle merveille que cet univers grandiose mais aussi quel aveuglement que de croire pouvoir jamais dominer l'inéluctable fatalité des temps. Sa vie toute entière était marquée du saut de l'imprévisible.

Sa pensée s'engouffra malgré lui dans la brume de l'enfance. Il se revoyait fragile sur ce lit d'hôpital, des regards inquiets penchés sur le moindre frémissement de ses paupières. Il avait, paraît-il été imprudent en montant dans l'arbre. Il ne se souvenait ni de la chute ni du choc de la tête sur le sol. Autour de cet événement qui l'avait immobilisé enfant, il s'était construit presqu'à son corps défendant une légende personnelle inscrite sous le sceau du mektoub, le "c'est écrit" oriental. L'histoire de sa vie n'en était-elle la preuve la plus absolue ?

 Ce mariage hâtif avec Solange enceinte de la petite et le scandale familial qu'il avait fallu au plus vite étouffer. La séparation puis la plongée dans cette passion sans issue pour Ingrid qui de mois en mois l'entretenait dans l'illusion d'une vie commune possible.

Lorsque le taraudait le vertige du suicide au point de n'oser trop longtemps rester seul, il se sentait envahi par ce sentiment diffus d'un échec inéluctable. Sidéré par les chocs répétés que la vie lui imposait, il ne voyait l'avenir que dans la contemplation apitoyée de son destin.

 

Le printemps arriva gorgé d'espoir. La jeune pousse osa tendre le cou vers le soleil tout neuf. Une rafale de vent inattendue. D'autres résistent; elle, mal exposée, fût arrachée de son tendre support et rejoignit déjà les cadavres de l'hiver !