Philippe Servais
Simile versus Simillimum
Paris le 1er Mai 1995
La guérison, dans le sens
homéopathique du terme c'est à dire la disparition totale et définitive de la
maladie et le retour à un parfait état d'équilibre et de santé "sans
souffrance ultérieure" comme dit Hahnemann, ne semble pas pouvoir être obtenue
par différentes voies homéopathiques. Autrement dit, la vraie guérison ne peut
venir que d'un seul remède bien choisi, en parfaite similitude et non pas de
plusieurs d'entre eux en similitude partielle. Si une guérison est obtenue avec
Ptelea, elle n'aurait pu l'être avec Ambra. Cette constatation n'est pas
totalement vraie en ce qui concerne la guérison symptomatique d'un état
pathologique aigu (comme par exemple un mal de gorge) - ou même éventuellement
chronique mais d'étiologie précise ou de symptomatologie très circonscrite -
où, heureusement dirais-je, plusieurs remèdes peuvent s'avérer efficaces, même
si l'un d'entre eux peut apparaître plus rapide et plus souverain que les
autres. (Pierre Schmidt ne disait-il pas que l'homéopathie est généreuse !).
C'est toute la différence entre un Simile et un Simillimum.
La question est donc de savoir ce
qui va nous guider vers "le" bon remède dans le traitement (en vue
d'une guérison réelle) d'affections chroniques graves, incurables par la voie
allopathique. Notre maître Hahnemann nous a donné des règles précises à ce
propos : il faut trouver, parmi les symptômes, ceux qui sont les plus
expressifs, les plus spécifiques au patient que nous avons devant nous,
symptômes caractéristiques, rares, singuliers, surprenants, différents de ceux
d'un autre individu dans les mêmes circonstances pathologiques. En un mot, il
convient d'approcher au plus près l'individualité du patient.
La totalité des symptômes dont on parle en homéopathie n'est
donc pas la somme de tous les symptômes que présente le malade mais la somme de
ses symptômes originaux (en oubliant donc tous les symptômes pathognomoniques
ainsi que les symptômes communs et banals). En outre, pour manifester la
globalité du patient, ces symptômes particuliers doivent, dans la mesure du
possible, s'articuler entre eux selon une thématique commune donnant
"sens" à l'ensemble. On peut alors parler de haut degré de
similitude.
Cependant, d'autres questions se
posent. Que peut-on considérer comme étant un symptôme original (c'est-à-dire
de valeur homoeopathique) ? Ne s'agit-il que des souffrances, des sensations,
des manifestations subjectives ou objectives spécifiques à l'individu en
situation de maladie? Question corollaire: pourrait-on traiter ce patient en
l'absence de ce type de manifestations liées à la maladie ? En bref, les
symptômes - dans le sens d'expression d'un état morbide - sont-ils
indispensables pour parvenir au simillimum ? Peut-on imaginer pouvoir trouver
le bon remède en l'absence de signes caractéristiques apparus à l'occasion de
la maladie ? Ceux-ci sont-ils les seuls utilisables ? Ceci revient à se
demander ce qu'est un symptôme de valeur homéopathique puisqu'un individu
exprime son individualité en toute circonstance, même lorsqu'il est en parfait
équilibre de santé!
Je me propose de vous présenter ici un cas clinique qui tend
à répondre à ces questions.
DERMATOPOLYMYOSITE
Patrick, étudiant, a vingt-quatre
ans lorsqu'en Janvier 90 il est hospitalisé pour une dermatopolymyosite
(maladie grave, incurable, auto-immune).
Deux mois auparavant, sont apparues
les douleurs musculaires caractéristiques au niveau des épaules et des cuisses
avec une asthénie (=fatigue) importante, une grande faiblesse musculaire, un
amaigrissement de cinq kilos en un mois et de fortes arthralgies (douleurs aux
articulations) des pieds, des chevilles puis des genoux et des hanches, enfin
au niveau des mains, des doigts et des deux poignets.
Ensuite sont apparues les éruptions propres à cette maladie,
péri-unguéales (autour des ongles), au dos de la main, aux ailes du nez, au
cuir chevelu, avec oedème de la face. En outre, gingivorrhagies (saignements
gingivaux), petites diarrhées, dysphagie , bouche sèche, syndrome sec oculaire
avec conjonctivite, et oppression thoracique. L'examen clinique révèle en plus
des adénopathies (swelling glands) disséminées, une gorge érythémateuse avec
quelques éléments (spots) ulcérés et purpuriques, des lèvres oedématiées, des
mains "de manucure" (éventuellement laisser en français) avec
rétractions cutanées douloureuses péri-unguéales (=autour des ongles), une
érythrose (rougeur inflammatoire) des plis palmaires, une éruption profonde
papulovésiculeuse (papular , vesicular) douloureuse aux 2ème et 3ème doigts, un
oedème liliacé (traduction?)des paupières, une éruption érythématopapuleuse en
aile de papillon sur le nez ainsi qu'au dos des mains, sur les cuisses, crêtes
tibiales et dos des pieds. Enfin, deux plaques purpuriques sur les malléoles
internes.
Toutes les explorations imaginables
spécialisées sont pratiquées dont une biopsie musculaire qui révèle un
infiltrat inflammatoire polymorphe et des travées scléreuses interstitielles
(sclérose du tissu conjonctif), un E.C.G. montrant des troubles de la
repolarisation en faveur d'une myocardite. VS augmentée, CPK à 445, Aldolase à
12. Une fibroscopie révèle une oesophagite pseudo-membraneuse. Les épreuves
respiratoires sont perturbées. En outre, on observe une double kératite ainsi
qu'une hépatosplénomégalie.
Dès la deuxième semaine
d'hospitalisation, devant les risques de myocardite, le patient est mis sous
80mgs/jour de Cortancyl (cortisone).
Le diagnostic est le suivant: dermatopolymyosite
avec atteinte myocardique, pulmonaire, oesophagienne et oculaire.
Lorsque le
jeune homme vient me consulter en Novembre 90, soit dix mois après
l'hospitalisation, le bilan clinique est le suivant: la cortisone a diminué
l'intensité de la symptomatologie mais le patient ne peut absolument pas
descendre en dessous de 15 mgs de Cortancyl sans voir apparaître une
recrudescence des symptômes. A cette dose de cortisone, il présente quand même
une sérieuse perte de force musculaire, des arthralgies, myalgies, des
érythèmes douloureux entre autres péri-unguéales, une grande fatigue, des
troubles pulmonaires, cardiaques, l'hépatosplénomégalie et...un désir effréné
de bananes (dû à la cortisone!).
Rien
dans l'interrogatoire ne m'apporte de réelle information supplémentaire si ce
n'est éventuellement un goût très prononcé pour le lait et les huîtres.
Ce
garçon, d'origine vietnamienne, se décrit comme très patient, trop franc, peu
diplomate, trop confiant ("tout le monde il est beau il est gentil"),
jamais anxieux ni même inquiet ("je me fous de tout, presque rien est
important"), ne voulant pas entendre parler de problèmes quelconques et
particulièrement de problèmes d'argent (il prête comme un seigneur le peu
d'argent qu'il a!). Il a des impulsions soudaines qu'il doit satisfaire tout de
suite: acheter une voiture, faire du parachutisme, suivre des cours de pilotage
etc. Il est audacieux et même téméraire se lançant dans n'importe quoi sans
crainte ni état d'âme. Il "ne supporte pas le désordre ni les gens qui ne
sont pas rationnels". Je trouve qu'il a même un sacré recul face à sa
maladie (ou est-ce de l'inconscience?): elle "l'ennuie
prodigieusement" mais "essaie d'être au dessus de ça". Il a une
sorte de rire asiatique en en parlant!
Seuls
ses rêves, nombreux et récurrents depuis bien avant sa maladie me paraissent
intéressants. Il rêve de toilettes qui débordent(!), de mer et de nage,
d'obstacles à franchir pour atteindre un lieu avec des monstres, des serpents
surtout, qui veulent le mordre etc.; il rêve qu'il vole, de partouzes avec
toute sa famille(!!), qu'il devient un personnage important, est couronné et
acquiert des pouvoirs.
Etant
dans le plus complet brouillard homéopathique, je me tourne vers le tout
premier symptôme apparu au départ de la maladie : inflammation autour des
ongles: Conium, Hepar, Natrum mur.,Natrum sulf., Phosphoricum acidum, Sticta.
Je tiens compte d'une modalité mentale certaine: "ne supporte pas de
parler de sa maladie" et "pleurerait presque si on porte sur lui un
regard de commisération".
Jugeant
que si je n'ai pas ne fût-ce qu'une amélioration purement symptomatique je n'ai
aucune chance de revoir ce patient peu motivé, poussé par sa famille à venir me
voir, je prescris non pas un placebo pour me donner du temps mais une dose de NATRUM
MURIATICUM 30ch.
A
mon relatif étonnement, il revient un mois après en Décembre 90 pour me
dire qu'il a meilleur appétit, qu'il se lève plus facilement le matin, qu'il
est moins épuisé, que ses forces musculaires sont un peu meilleures, que ses
douleurs articulaires et son extrême sensibilité du bout des doigts sont un peu
améliorées. Sa dose de Cortisone est inchangée. Ne trouvant toujours pas
d'autres pistes après la deuxième consultation et puisque notre homme est
satisfait, je lui donne du placebo quotidien ainsi qu'une dose de NATRUM
MURIATICUM 200k à prendre s'il sent qu'il rechute.
Il
prendra ce Natrum 200 en Mars 91 qui lui fera à nouveau du bien, ce qui
permet qu'en Mai 91 il puisse réduire son Cortancyl, sans trop d'inconvénients
majeurs, à 6 mgs/jour. Une dose de NATRUM MURIATICUM 10.000k en Mai 91
n'apportera plus aucun changement. Bilan en Juillet 91: "mieux à
50%"sur le plan subjectif mais pas d'amélioration des manifestations
cliniques profondes de la maladie.
A mon avis, Natrum mur. agit
favorablement sur son état inflammatoire et son psychisme mais nous sommes loin
du simillimum qui devrait avoir provoqué d'abord une aggravation temporaire
pour donner ensuite un résultat bien plus spectaculaire.
Je
me balade donc dans diverses répertorisations et matières médicales à la
recherche d'un remède qui pourrait être intéressant compte tenu de ses rêves
étranges qui seuls le personnalisent et ont donc une haute valeur
homéopathique. La rubrique du Kent: weakness rheumatic (dans
"Extremities") retient mon attention parce que j'y trouve un remède,
Bovista avec, dans le Hering, "rheumatic paresis and marked muscular
atrophy of affected leg". Tout à coup, tout s'éclaire dans mon esprit et
je comprends enfin l'esprit des rêves du patient qui devient pour moi un
personnage cohérent! Bovista est gonflé d'orgueil et veut occuper une place plus
grande qu'il ne lui revient. Dans ses rêves, le patient devient un grand
personnage, au dessus des lois de la morale élémentaire; il est couronné, a des
pouvoirs, affronte des obstacles (en plus, on trouve Bovista dans les rêves de
serpents), ...même les toilettes débordent! Dans la vie, il est comme un
seigneur, au-dessus des contingences: il donne de l'argent, il ne connaît ni la
peur ni l'anxiété.
Je lui donne donc BOVISTA 30ch,
une dose en Juillet 91 et là, le résultat est assez spectaculaire. Après
une phase d'aggravation physique importante (heureusement, je suis en vacances !),
le résultat est étonnant. En Novembre 91, il me dit s'être senti et continuer à
se sentir mieux à "90%"(!) et, forçant l'avis du spécialiste qui le
suit toujours, il a arrêté la Cortisone depuis le mois de Septembre! Presque
toute la symptomatologie a disparu, même la plus lésionnelle!
Pour
les "10%" de symptômes qui lui restent et qui sont stationnaires, je
lui redonne une dose de BOVISTA 200k le 19 Novembre 91.
A l'heure actuelle, je soigne sa
soeur qui me donne régulièrement des nouvelles de ce patient. Il me transmet
son bonjour et me fait savoir qu'il est totalement guéri, va très bien et n'a
plus besoin de me voir!
Ce cas force donc à
réfléchir dans la mesure où la solution a été trouvée en dehors des règles
habituelles de répertorisation et de recherche de symptômes strictement
similaires. Pour "oser" prescrire Bovista, il a fallu se référer non
à la lettre mais à l'esprit de la matière médicale de ce remède. Si vous
relisez tous les symptômes des pathogénésies, vous vous apercevrez que
l'histoire de Bovista c'est la fable de La Fontaine "La grenouille et le
boeuf" et que, comme tout remède, Bovista correspond à un archétype (ici,
brillamment décrit par le poète français). Ayant, avec d'autres homoeopathes,
réétudié plus d'une centaine de remèdes, entre autre sous leur angle
archétypal, il m'apparaît que c'est quelquefois ainsi que transparaît le plus
haut degré de spécificité d'un remède. Je ne veux pas dire par là qu'il ne faut
plus répertorier ni suivre les voies d'approche classiques, bien au contraire !
Mais une vision plus "aérienne" du cas et du remède prescrit peut
permettre de juger avec plus de profondeur la finesse de la similitude utilisée.
Plus je me penche sur des cas de pathologie grave, plus je
me rends compte que la solution est à trouver hors des sentiers battus et plus
je m'aperçois que par manque de confiance dans l'homéopathie, par manque
d'entêtement et d'étude, par contentement trop rapide, nous nous interdisons
nous-mêmes des réussites dans les affections les plus sévères.