Philippe SERVAIS                                 Aix-les-Bains, le 2 décembre 2016

 

 

SO BRITISH…

 

 

 

Nous sommes en mai 2011. Quotidiennement, Anne prend son traitement homéopathique : Natrum muriaticum 30ch, Sepia 30ch, Aurum metallicum 30ch, Silicea 30, Arsenicum album 9ch, Phosphoricum acidum 30ch, Ambra grisea 15ch etc. ! Et elle ne va pas mieux. Le tripatouillo-thérapeute qu'elle a consulté ne manquait pourtant pas d'inspiration !

C'est qu'elle est consciencieuse, Anne, et qu'elle refuse de continuer à ingurgiter des antidépresseurs pris trop longtemps (elle les a arrêtés d'autorité il y a six mois).

Agée de 41 ans, elle est "déréglée" depuis belle lurette : aménorrhée depuis 6 mois, thyroïde pleine de nodules avec une TSH limite haute et une montée des anticorps anti-thyroglobuline. Mais surtout, elle est, depuis tant d'années, tellement "chahutée sentimentalement" qu'elle n'en peut plus et a sombré dans un état dépressif chronique.

Cela ne l'empêche pas d'assumer "à l'arraché" sa vie familiale et une vie professionnelle intense : iconographe, chargée de la gestion des fonds d'images dans une agence de publicité, elle y dirige une petite équipe.

 

Sa vie de jeune adulte a rudement commencé. Le père de ses enfants (10 et 15 ans) était toxico et c'est elle qui, à force de persévérance, lui a permis de s'en sortir. Ils ont vécu ensemble pendant quinze ans. Puis, il y a six ans, en 2005, après la naissance du petit dernier, il est parti avec une autre. "Je n'ai jamais fait le deuil de ma vie familiale. Je m'étais tellement investie pour mon conjoint ! Je suis encore en colère bien qu'en même temps je continue à avoir pitié de sa névrose. A cause des enfants, nous continuons à nous croiser régulièrement."

En janvier 2010, elle "a rencontré un homme merveilleux" mais il s'est envolé dès le printemps pour réapparaître en décembre puis repartir, cette fois définitivement, en mars 2011 (deux mois avant notre consultation). "Rupture brutale, nette et méchante". Elle s'est effondrée.

Pour lui déchirer plus encore le cœur, elle a appris il y a six mois que son ex-mari allait être à nouveau papa alors qu'il l'avait quittée en lui reprochant le deuxième enfant ! "Un très gros choc là aussi, mes règles se sont arrêtées dès cet instant. Ménopausée ! C'est tellement injuste."

 

Vous comprenez, je ne contrôle plus rien, mes règles, mes amours, ma vie… cela me panique !

Heureusement, les enfants vont bien. "Ma psychologue me dit que j'ai eu des repères défaillants dans mon enfance. Cela me fait une belle jambe !".

 

Anne est une petite femme vive et pétillante, dont le sourire, hélas, disparaît sous la trop grande et constante tension du visage.

 

J'ai constamment les poings et les mâchoires serrées, me dit-elle. Je suis trop anxieuse et même angoissée. J'ai des attaques de panique, c'est affreux. Par exemple, en conduisant, je suis parfois obligée de m'arrêter ou alors, en traversant à pied le pont de Sèvres : d'un côté, il y a les voitures, de l'autre l'eau qui m'attire. Je ne peux plus prendre un ascenseur, j'ai d’énormes vertiges dès que je suis en hauteur.

 

Mon caractère me joue des tours. Je mets la barre trop haut, je suis trop exigeante avec les gosses, avec les confrères, avec moi-même surtout. Je suis incapable de ne pas prolonger ma journée de travail si le boulot n'est pas terminé. Je suis en permanence tendue comme un arc, même à la maison. Il m'arrive trop souvent de m'énerver inutilement sur les enfants.

Perfectionniste, demandé-je ?

Non, pas trop, plutôt fantaisiste par nature, du moins je l'étais. J'étais même une adolescente assez excentrique. J'aimais l'improvisation. J'avançais à l'instinct, je n'organisais pas trop les choses, je reste plutôt désordre. Mais, par contre, je suis devenue extrêmement rigoureuse dans ce que je fais, presque trop. Je décortique tout, je me pose mille questions, je veux comprendre toute chose au plus fin, je suis une vraie machine mentale qui ne débranche jamais. J'analyse trop, il me faut toujours trouver une explication rationnelle. Ces dernières années, j'ai perdu toute légèreté,  spontanéité, je suis "encombrée".

 

Pourtant, tout me touche, je suis trop émotive, une vraie éponge, trop dans l'empathie. J'ai des  décharges émotionnelles qui me submergent. Une parole, une mauvaise nouvelle, ma fille qui pleure… Prendre la parole en réunion est aussi, pour moi, une vraie épreuve.

J'ai au fond du cœur un tel besoin d'être rassurée, comme si ma confiance dans la vie avait été sapée dès ma naissance !

 

Je suis épuisée. Je prends tout en charge, mes enfants, mes collègues au travail, toute l'équipe (mais j'aime cela), la vie domestique. Et le comble est que mes parents, mes amis me disent souvent que je suis pleine d'énergie et  infatigable ! Je suis surtout "speed", à courir dans tous les sens, à courir en réfléchissant.

Je manque totalement d'insouciance.

En outre, je dors très mal. Tous ces flots de pensées, ces cogitations… Toute excitation, même positive et joyeuse, a toujours beaucoup perturbé mon sommeil.

 

Je me sens découragée, j'ai des idées noires. Comme dit ma psy, je souffre d'incomplétude. Seuls mes enfants me tiennent la tête hors de l'eau mais je me fais trop de soucis pour eux : mon plus jeune est dans un mauvais collège, mon aînée accepte mal la naissance à venir chez son père etc.

 

Surtout il faut que j'évite d'être seule, particulièrement le week-end ! Je m'organise en conséquence. En compagnie, je me détends un peu et ne plonge pas dans des abîmes de tristesse.

Et puis, j'ai peur de moi-même, de mes impulsions, des idées qui me passent par la tête. Et si je me jetais par la fenêtre ? Et si…

Et si quoi, souffle-je ?

Et si je perdais le contrôle ? Si je ne maîtrise plus ma vie, le risque est que je ne maîtrise plus rien.

Quoi d'autre, insiste-je ?

D'une toute petite voix qui m'oblige à me pencher sur le bureau, elle ajoute :

J'ai peur de faire du mal à mes enfants !

 

 

 

Thea chinensis, pris à trois reprises en huit mois, en 30ch va changer la vie de ma patiente. Elle sort progressivement de sa dépression et voit disparaître totalement toutes ses phobies. Son cycle menstruel a repris un cours normal, ses anticorps antithyroïdiens se sont, au fil du temps, normalisés.

 

Depuis lors, elle me consulte une fois par an ("une petite dose de rappel !" comme elle dit). Elle est beaucoup plus calme et vit une belle histoire d'amour paisible avec un homme "normal" (tant que ce n'est pas Hollande, elle peut y croire !). Ses enfants suivent leurs études et vont bien. Elle a trouvé un nouveau travail qui lui plaît énormément.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Etude de Thea chinensis

 

Avant toute chose, je voudrais rappeler le beau cas clinique et l'analyse  approfondie de François Grumet en 2002 à Spa. Rendons à César…

De mon côté, fort de mes propres cas cliniques et des études faites non seulement par François mais aussi par l'AFADH et nos collègues anglais, Stuart Deeks et Melissa Assilem, je vais tenter de pousser un peu plus loin la compréhension de ce remède pour le rendre peut-être plus facilement prescriptible. Je pense, en effet, que nous passons sûrement parfois à côté d'un simillimum important pour notre patientèle.

 

 

 

Le théier, disent les adeptes du Zen, est né des paupières de Bodhidharma, qu’il avait découpées et jetées au loin pour s’interdire la somnolence pendant la méditation. C’est la raison pour laquelle le thé est utilisé dans le même dessein par les moines : se tenir éveillé.

A propos de certaines personnes incapables d'une compréhension fine de la vie, les Japonais en parlent comme "n'ayant pas de thé en elles". Au contraire, à propos de personnes trop zélées et excitées, ils disent qu'elles ont "trop de thé en elles" !

Pour les Hommes du Levant, l'art du thé représente "le noble secret de l'autodérision, le sourire de la philosophie".

L’architecture, l’art des jardins, la calligraphie et l’art floral participent à la "cérémonie du thé". Voie philosophique, le thé est un pont entre l’ici et l’ailleurs. Cet art y est d’ailleurs enseigné dans les écoles du thé.

 

En Chine, le thé s’est à jamais inscrit dans la vie artistique et intellectuelle, sous la dynastie des Tang (618-907). De simple boisson, il est devenu un "breuvage spirituel, thème de poèmes et de peinture, sujet de réflexions, prétexte de disputes courtoises qui enflamment les échoppes le long du fleuve bleu".

Les quatre principes fondamentaux de cet art sont : Harmonie, Respect, Pureté et Sérénité. C’est la “voie du thé".

 

Ainsi, le thé ramène à l’intellect, à l’art et la créativité, à l’échange et au lien.

 

François Grumet distingue dans la Matière médicale différents thèmes sur le plan mental, illustrés par des symptômes très caractéristiques :

      Le thème de l’exaltation des facultés intellectuelles

      Le thème de la cordialité, de l’esprit brillant, de l’intelligence

      Le thème des impulsions suicidaires et homicides

      Le thème de la mort

      Le thème des idées persistantes et tourmentantes

      L'insomnie et le thème du repos impossible

      Des rêves horribles, d'assassinat d'enfants, des cauchemars

 

Quant à l'AFADH, elle nous dit :

"Plaisir à se rappeler ses rêves de meurtre". Exalte l'intelligence et l'approche intellectuelle de la relation pour trouver le plus de plaisir. Il veut avoir confiance dans le côté étincelant de son esprit. Cherche en vain l'absolu par la méditation, l'attention soutenue sur l'objet créé.

En 1994, Melissa Anana Assilem, une homéopathe anglaise, en a fait une étude très intéressante. C'est notre confrère Stuart Deeks qui m'en a parlé.

Dans la cueillette du thé, réservée aux femmes, plus minutieuses et patientes, seuls les jeunes bourgeons terminaux sont coupés. On ne prend donc que les dernières pousses, les "bébés" (enfants assassinés !). Le théier originel devrait être un arbre à fleurs de 30 pieds de haut (et non pas 3 ou 4 pieds de haut, constamment élagué).

Mais, pincé dans le bourgeon, il n'a droit qu'à sept jours de croissance. Les cultures sont ainsi faites que, plantés trop près l'un de l'autre, les arbres ne peuvent grandir et s'épanouir. Leurs racines sont d'ailleurs tordues par manque d'espace. Ils ne peuvent, comme les gosses, faire des cabrioles et sauter dans les flaques !

On leur interdit de manifester leur plein potentiel.

On ne leur laisse ni le temps ni l'espace nécessaires.

Une forme larvée de castration. Comme les petites filles japonaises à qui, selon la tradition, on bandait les pieds pour les empêcher de grandir !

Un symptôme de la MM y fait penser : "as if a weight of a sheet on the feet would crush the toes" !

 

Il s'agit donc d'une suppression, chez "l'enfant", de tout un potentiel de croissance et de créativité.

Avec des rubriques évocatrices dans la Matière médicale : Fear of losing self-control and fear she will kill her own child.

La cueillette se fait le plus souvent sous la brume, religieusement, comme en secret. On ne mutile pas en place publique ! Puisqu'il s'agit de tuer l'enfance, d'amoindrir toute sensibilité, insouciance, légèreté.

Un simple saut sémantique et vous vous retrouvez en plein dans la civilisation des buveurs de thé : les Anglais et leur flegmatisme (ou phlegmatisme).

Le thé ne favoriserait-il pas chez eux cette attitude flegmatique ?

"Keep a stiff upper lip" (rester impassible, faire bonne contenance) et "Rise and shine" sont deux expressions de la langue de Shakespeare ! Le thé permettrait  d'apaiser (ou même d'annihiler) toute  émotion excessive et de prédisposer à une réflexion pure, aiguisée, éveillée,  débarrassée de tout sentimentalisme. Juste "the matter of facts", juste la  capacité de raisonner de manière purement intelligente, dénuée de trop de sentiments. "Have a nice cup of tea" disent-ils à leur interlocuteur lorsqu'il risque de sombrer dans l'émotion ou le sentimentalisme. On sait que les Anglais, grands buveurs de thé, ont à la fois un self control étonnant et une pratique sadique dans les écoles ou sur les terrains de football. Ils ont, c'est connu, une violence froide. Le sort subi par les arbres à thé se refléterait dans l'esprit de la société qui en fait l'usage ! Un proverbe anglais ne dit-il pas : In life, a good cup of tea to halve the gravity of a situation.

MM de Clarke : « La pulsion homicide apparaît dans les rêves d'un des expérimentateurs (Teste) qui était tellement loin d'être horrifié par ses rêves de meurtre qu'il y prenait même plaisir à son réveil. » 

Par ailleurs, on retrouve dans la pathogénésie beaucoup de symptômes contradictoires, comme s'il y avait un conflit profond entre la nature sauvage de Thea et sa domestication, une révolte sous-jacente contre son asservissement :

Affectionate/quarrelsome – Witty/want of self-confidence – Loquacity/aversion to conversation – Eccentricity/fear of losing control – Ectasy, amourous/ aversion to everything – Cheerful, happy/morose and cross – Vivacious/fear of death – Concentration active/indolence – Strength, increased mental/aversion to mental work – Ideas abundant/aversion to thinking – Sense of muscular strenght/weakness, enervation.

Beaucoup de sensations de froid également comme si toute passion, tout feu intérieur étaient eux aussi annihilés ; de même, ses sensations d'être au bord de l'évanouissement comme s'il manquait de vigueur et d'assise.

Symptôme amusant : awoke suddenly as from a struggle of incubus. Quel refoulement !

Il y a donc chez Thea chinensis cet énorme bouillonnement de vie entravé, maté, muselé, cette émotivité bridée et contrôlée par un mental puissant, brillant et touffu qui autorise  une réflexion aiguisée, pure et détachée. (Rien à voir avec le thé des arabes qui est surtout une infusion de menthe très sucrée où le thé ne sert que de support et correspond à une tout autre problématique).

 

Foin de la démesure, soyons sagace, soyons "brexit" jusqu'à plus soif !

________________________

 

Diagnostic différentiel avec Coffea cruda : celui-ci s'imagine Dieu créateur, démiurge, intermédiaire entre la sagesse divine qui conçoit la création et la fabrication de cette création. Il voudrait être l'auteur de tout bien, organiser la création selon son ordre,  se sentant responsable de recréer l'harmonie de l'univers qu'il puisse  admirer et dont les beautés l'enchanteraient ; être un modèle à partir duquel créer les autres, en les jugeant plus ou moins conformes. Il s'enivre de son œuvre.