Philippe Servais
Congrès de SPA 16–18 Mars 2018
Question d’arpents et d'amiables
bornages
Ce matin du 20 août 2013, c’est un homme courtois et charmant, un brin vieille France, âgé de 67 ans, qui se présente à ma consultation. Il vient de la région d’Aix-en-Provence, envoyé par sa sœur que je soigne depuis longtemps.
Géomètre à la retraite, marié sur le tard (50 ans) à une musicienne, il a l’allure d’un grand jeune homme un peu efflanqué et souriant.
Asthmatique dès l’âge de 7 ans (avec un long passé de Cortisone), il ne prend plus qu’occasionnellement un peu de Sérétide®, l’affection s’étant minorée avec l’âge. Il reste, me dit-il, de nature "allergique" : conjonctivites et rhinites fréquentes, spécialement par temps orageux. "Dans l'enfance, l'asthme m'a permis de capter l'attention de ma mère et de passer un jour par semaine seul avec elle !" rajoute-t-il l'œil amusé.
L'objet de la consultation est tout autre : depuis novembre 2012, il est atteint d'une polyarthrite rhumatoïde. Il m'apporte d'ailleurs tous les éléments de preuve, bilan biologique et radiologique. Il est bien sûr sous traitement allopathique : Méthotrexate 20mg/semaine, Voltarène®, Ixprim® (Tramadol, Paracétamol). Il a supprimé les laitages et, à tout hasard, le gluten.
L'histoire de la maladie est la suivante. En octobre 2012, il se met à tousser pendant un mois jusqu'à la découverte d'une pleurésie gauche avec épanchement pleural. Traité par antibiotique, il enchaîne immédiatement sur une douleur violente avec gonflement du coude droit suivie d'une atteinte de la cheville gauche puis des épaules et des mains. Le diagnostic est rapidement fait par le rhumatologue : "polyarthrite rhumatoïde sévère".
"Incroyable, me dit-il, moi qui ai toujours été en bonne santé hormis l'asthme" !
Ce que le spécialiste ne sait pas – mais cela l'intéresserait-il ? – c'est qu'il y a concomitance entre le début de ses troubles et… la triste nouvelle du cancer du pancréas de son meilleur ami (qu'il accompagnera jusqu'à son décès dix mois plus tard) ! Quel rapport ? Je n'en sais rien mais la coïncidence est troublante et que savons-nous de la complexité de l'âme humaine ? Je le note ou plutôt, je le noterai car il ne m'en parlera qu'un an plus tard alors que je reviendrai une nouvelle fois sur les circonstances d'apparition de sa maladie.
Décrire les douleurs du patient est loin d'être simple car les médications cachent la nature précise de la symptomatologie. D'une consultation à l'autre, il va me parler de douleurs diffuses ici ou là dans diverses articulations (épaules, coudes, poignets, doigts, talons, chevilles, cervicales), concomitantes ou non, supportables ou fulgurantes, légères ou élançantes, écrasantes, au mouvement ou à l'arrêt, le soir bien souvent (à partir de 19h) ou la nuit ou la journée selon l'activité, pire l'hiver, plus persistantes sur la partie haute du corps. Après les périodes d'accalmie, je note qu'en général l'inflammation reprend sur une articulation des membres supérieurs pour quelquefois filer sur les chevilles. Ou alors, elle se fixe sur un poignet pendant des semaines. Je note également que, parfois, la latéralité est croisée. Ces observations sont, comme je l'ai dit, toutes relatives, contredites d'une consultation à l'autre car le traitement allopathique brouille les pistes.
Il aime le Sud et sa chaleur, a toujours aimé être bien au chaud. Il est sensible à l'approche de l'orage.
Je finis par comprendre que la position couchée lui est défavorable. Il est réveillé la nuit par ses douleurs et doit s'asseoir ou se lever (de même à l'occasion d'une sieste). La nuit, debout, il est plus apaisé.
Cet aimable et intéressant patient – que nous dénommerons Michel – est bien plus à l'aise à me parler de lui qu'à me décrire ses maux de manière précise. "Et pourtant, me raconte-t-il un jour, mon frère m'a très justement fait remarquer que je suis un grand perfectionniste, amoureux des détails, un peu emmerdeur". "Et, pour compléter le tableau, très impatient, avec l'esprit trop critique" rajoute-t-il avec un grand sourire.
Je note – est-ce significatif ? - sa facilité apparente à se déplacer, à bouger : non seulement venir à Paris me consulter mais aller voir un tel ou un tel ici ou là en France pour une visite amicale.
"J'ai avant tout un grand besoin d'harmonie (sic) et c'est la raison
pour laquelle j'ai construit ma vie autour de la beauté, de la nature, de la
musique et de l'amitié qui sont, pour moi, les sources essentielles du bonheur.
Je suis un passionné
de musique, jazz et classique. J'ai d'ailleurs fini par épouser une musicienne,
ce qui me comble. La musique, c'est vibratoire.
Je pars seul des
journées entières photographier les oiseaux et toute la faune de Camargue avec,
bien sûr, le meilleur équipement possible que je trimballe partout. J'observe
pendant des heures. J'ose même quelques expositions photo qui ont du succès. Né
dans le Nord, je n'ai eu de cesse de retourner dans le Sud où j'ai retrouvé la
lumière de ma jeunesse. Celle-ci est indispensable à mon équilibre.
Quant à l'amitié,
c'est pour moi la vertu suprême. Les gens me passionnent, j'aime les relations
humaines, j'ai toujours envie de rassembler les morceaux, de mettre tout le
monde en relation, que tous soient amis comme une famille, que les amis de mes
amis se rencontrent, même si moi-même j'en suis exclu (ndr
: égotrophie masquée ?) !
Je ne peux m'empêcher de
m'occuper de ma copropriété. Même lors de funérailles, je suis heureux de
retrouver les vieux amis ! Je ne conçois pas, comme dans certaines familles, de
me fâcher avec mes frères et sœurs. Le relationnel me nourrit. Dans ma chorale,
je suis vite devenu le meneur, l'organisateur. Je tente toujours de me montrer
sous mon meilleur jour, de séduire dans le bon sens du mot. Je marche au
feeling, je sens les gens, les atmosphères, les lieux. Mon défaut : être trop
naïf, croire que tout le monde il est beau, il est gentil. Je suis aussi, vous
l'avez compris, un homme très fidèle.
J'ai ainsi pu
m'épanouir dans mon métier de géomètre car je me suis essentiellement occupé
des bornages amiables ! Déjà enfant, j'adorais les cartes.
Heureux de vivre, j'ai gardé, de l'enfance, une grande capacité d'émerveillement ! J'ai toujours été très autonome, célibataire heureux jusqu'à 50 ans avec quelques petites amies".
Je crois tenir le bon bout après lui avoir prescrit (suite de) NATRUM MURIATICUM, une dose de 30ch (20 août 2013).
Après cette dose, il fait une nette aggravation de 72 heures. Celle-ci est suivie d'une amélioration assez spectaculaire au point de se "sentir guéri". Il se remet à bricoler, à reprendre ses activités "comme il ne l'avait pas fait depuis des mois". Il arrête le Voltarène et l'Ixprim sans difficulté ! Ensuite, les douleurs reviennent peu à peu. Une dose de NATRUM MURIATICUM 1000k le 15 octobre l'apaise à nouveau.
Mi-décembre 2013, réapparaissent les douleurs initiales du coude droit. Il dit supporter beaucoup mieux son Méthotrexate (plus de petite anémie dans son analyse sanguine) et ne reprend d'anti-inflammatoire que ponctuellement. Il s'étonne que sa conjonctivite, toujours latente, se soit estompée. Il attend le 10 janvier 2014 pour reprendre une dose de NATRUM MURIATICUM 1000k, rendue nécessaire par la réapparition de douleurs. Cela lui permet de baisser le Méthotrexate (20mg>15mg). Un retour de douleur dans les mains (il a eu beau remonter le Méthotrexate à 20mg) lui fait prendre avec succès le 1er mars une dose en 200k et une autre le 15 avril.
Le 17 juin 2014, il n'a quasiment plus mal nulle part. La VS est à 9 et la CRP à 0,6 au lieu de 8 ou plus.
Il va très bien jusque fin août (lorsque le rhumatologue, tout heureux, décide de le passer à 10mg de Méthotrexate). Puis les douleurs réapparaissent à nouveau ici ou là.
Je m'interroge ! Au téléphone, il me précise que c'est à cause du temps orageux et, repensant à sa grande thématique de l'harmonie, je lui conseille de tenter une dose de NATRUM CARBONICUM 200k qui malheureusement sera sans aucun effet.
La prescription de NATRUM MURIATICUM 10.000k n'a, comme les précédentes, qu'un effet temporaire ce qui me fait tenter une dose de MAGNESIA MURIATICA 1000k (la cohésion etc.).
Le 10 mars 2015, le bilan est à nouveau excellent : quasi plus de douleurs, biologie parfaite, Méthotrexate 7,5 mg ! Malheureusement, la situation dérape malgré MAGNESIA MURIATICA 1000k répété en avril.
En juin, l'état inflammatoire a repris depuis un moment, la CRP est remontée à 12,9 et le moral de Michel est à l'unisson. Quelle déception ! Une nouvelle prise de NATRUM MURIATICUM lui permet d'avoir un mois d'août parfait au Brésil au point… d'arrêter le Méthotrexate. C'est hélas une fois de plus temporaire d'autant que la mort affreuse du fils d'un ami au Bataclan réactive ses crises. (Un essai de sa part de NATRUM MURIATICUM ne donne plus grand chose).
Ce remède "Simile" est définitivement en bout de course.
Je suis perplexe. Le cas m'échappe !
Sous la pression de mon patient, impatient, s'ensuivent (sur diverses répertorisations) les prescriptions sans effet de NATRUM PHOSPHORICUM, RUTA, VANILLA, CARCINOSINUM (amélioration temporaire), CALCAREA PHOSPHORICA jusqu'au début janvier 2017 où, reprenant l'ensemble du cas, j'ai enfin l'idée du Remède X qui s'avère cette fois assez miraculeux ! Dans l'année, deux doses en 30ch (suivies d'aggravation temporaire), une dose en 200k et une en 1000k pour la reprise de très légères douleurs en décembre 2017, soit 4 doses en quinze mois de temps.
Actuellement, il va très bien, n'a plus aucune douleur, se voit "guéri" même s'il reste, comme moi bien sûr, prudent. Il a arrêté tout anti-inflammatoire sauf une dose légère de Méthotrexate "qu'il préfère continuer encore un peu par superstition".
Ce temps de recul n'est évidemment pas suffisant pour décréter que nous sommes enfin sur le Simillimum mais, ce qui me donne confiance, est le fait que ce remède est en dehors des sentiers battus et, surtout, qu'il correspond parfaitement à la problématique de mon patient telle qu'elle a été évoquée dans l'un ou l'autre groupe de recherche (dont le Gehu).
Ce cas pourrait venir confirmer les hypothèses proposées par ceux qui, comme moi, tendent à comprendre chaque remède dans son essence et sa spécificité.
SOLUTION
KALMIA
LATIFOLIA, le Laurier
des montagnes.
(Ordre
des Ericacées comme Ledum
palustre, Rhododendron, Chimaphila).
Pour quelles raisons vous présenter ce
cas ?
Tout d'abord parce qu'il est un
exemple parfait de notre difficulté quelquefois (de plus en plus fréquente et
que nos amis vétérinaires rencontrent sûrement moins) d'intervenir dans
l'épaisse brume symptomatologique créée par les traitements allopathiques : les
symptômes d'appel ("rares, bizarres et particuliers") de certains
cas, porteurs pour nous d'informations précieuses, sont gommés par des
"anti" divers et variés !
Ensuite parce que ce cas illustre
l'immense intérêt du travail inlassable entrepris depuis trois décennies par
quelques groupes (surtout francophones) pour mieux comprendre la spécificité
des remèdes. Face à la symptomatologie frustre de mon patient, j'aurais hésité
à prescrire KALMIA LATIFOLIA si une
recherche préalable sur ce remède n'avait pas été réalisée.
Autant, la Matière médicale sur le plan physique est abondante
autant celle du mental est pauvre. Seuls un travail d'extrapolation à partir de
l'étude minutieuse des symptômes, corroboré par des cas cliniques réussis (avec
l'écoute attentive des propos des patients) et l'étude de la Souche, permettent
de mieux comprendre le personnage "Kalmia"[1].
Rappelons le long
travail de synthèse réalisé par C. Garin, les cas cliniques d'algie faciale de
François Gamby, l'étude de Luc Vandamme,
les travaux du CLH et du GEHU ainsi que la recherche - probablement la plus
aboutie - réalisée par l'AFADH et synthétisée par Guy Loutan.
J'en oublie peut-être.
A propos de la souche, notons ceci :
La corolle de la fleur a une belle forme de coupe contre laquelle
les anthères de 10 étamines sont pressées dans 10 rainures.
Les fleurs possèdent un dispositif explosif pour larguer le
pollen sur les abeilles qui y butinent. Les étamines sont pliées en arc de
cercle dans la fleur épanouie et, quand elles sont touchées, déversent le
pollen sur l’intrus.
Il y a plus de vingt ans à propos
d'une patiente d'allure imposante, souffrant d'acromégalie et très fortement
améliorée par Kalmia latifolia,
j'avais parlé d'"avatar solaire",
tant elle répandait discrètement autour d'elle, avec un souci de convivialité,
ses conseils éclairés. Cette idée semble se confirmer aujourd'hui dans le cas
du patient que je viens de vous présenter.
Aurait-il une vision plus large, plus
claire, plus distante des choses ? Ce qui paraît sûr, c'est que, comme l'a dit
je crois m'en souvenir Luc Vandamme, Kalmia décompense lorsqu'il perd son efficacité (mon
patient a "laissé mourir" son ami !).
L'AFADH nous apporte un éclairage plus
complet auquel font merveilleusement écho les propos de mon patient. Je ne
pourrais dire mieux :
(AFADH II-III.91)
Clarté des idées quand il est couché, cécité debout : ne peut mettre son
énergie simultanément dans le mouvement et la pensée. Douleurs augmentant et
diminuant avec le soleil. Le patient rayonne, donne l'énergie, et souffre du
soleil, il apporte le conseil, connaît tout et met en relation. Le monde se
tourne vers lui comme vers le soleil. Il est celui qui branche les gens les uns
sur les autres. C'est un agent de liaison, un conteur. Ne peut se lever que
quand le soleil est couché. Plein d'électricité, énergie exaltée. Ayant voulu
que le mouvement de son corps, de sa pensée et de son cœur ait la rapidité de
l'éclair, que les autres ne puissent vivre sans lui, il est châtié en étant
privé de toute énergie, ou victime de névralgies. Il a envié l'efficacité
divine.
(AFADH X.02) Rayonne
sur et pour les autres, sans besoin des autres. Magnétique, sent les gens,
écoute les autres et sent leurs intentions, comme avec les animaux. Il connaît
celles de tous, fait l'unité de la communauté, en est le centre, système
nerveux en transmettant, électrique et rapide, en mettant au courant. - Veut
conserver la mémoire, l’histoire, la tradition et la transmettre. Dépositaire
de l’histoire et de la mémoire de la communauté, doit la transmettre. Envie
l'instantanéité de l'efficacité divine, qu'idée, commande et réalisation soient
instantanées, arrête le temps, comme sa montre ! Bon et optimiste, soutien les
autres, donne son avis personnel sur tout. Par son côté relationnel, prend
beaucoup de place de façon charmante, le conjoint en paraît pâle ! Admire le
savoir-faire et le fait savoir. La relation lui donne vie.
Notons par ailleurs, cela
me paraît important, l'apparente modestie du personnage : il met en relation
sans se mettre lui-même en avant, s'effaçant éventuellement. Comme le
rayonnement solaire, il n'a pas besoin de retour ! Comble de l'humilité
ou égotrophie masquée ? N'oublions pas qu'en groupe
il devient vite meneur.
A posteriori, j'ai colligé
certains symptômes répertorisés (sans leur accorder
grande confiance !) au cours des diverses consultations (souvent
téléphoniques). C'est, en les relisant à
tout hasard, que l'idée de Kalmia latifolia,
parmi beaucoup d'autres, m'était venue. La connaissance préalable que j'avais
des diverses études réalisées m'a permis d'oser le prescrire.
1 |
1234 |
1 |
GENERALS - SIDE - crosswise |
137 |
2 |
1234 |
1 |
GENERALS
- PAIN - extending to - Downward |
54 |
3 |
1234 |
1 |
EXTREMITIES
- PAIN - Joints - wandering, shifting pain |
42 |
4 |
1234 |
1 |
EXTREMITIES
- PAIN - Joints - extending to - Downward |
1 |
5 |
1234 |
1 |
EXTREMITIES
- PAIN - Joints - extending to - Downward - wandering, shifting pain |
1 |
6 |
1234 |
1 |
EXTREMITIES
- PAIN - Joints - rheumatic - extending to - Lower limbs; from upper to |
1 |
kalm. |
puls. |
led. |
lyc. |
rhus-t. |
ant-t. |
chel. |
hyper. |
lach. |
berb. |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
10 |
6 |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
3 |
13 |
7 |
5 |
5 |
5 |
4 |
4 |
4 |
4 |
3 |
2 |
2 |
3 |
1 |
3 |
1 |
2 |
1 |
1 |
1 |
3 |
2 |
1 |
3 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
2 |
3 |
1 |
1 |
1 |
2 |
1 |
2 |
2 |
1 |
2 |
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2 |
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Ce qui me donne confiance, est le fait que ce remède est en dehors des sentiers battus et, surtout, qu'il correspond parfaitement à la problématique de mon patient telle qu'elle a été évoquée dans l'un ou l'autre groupe de recherche (dont le Gehu).
Ce cas pourrait venir confirmer les hypothèses proposées par ceux qui, comme moi, tendent à comprendre chaque remède dans son essence et sa spécificité.