Philippe Servais – CLH  2009

 

REINVENTONS L'AVENIR

 

 

Les 20 ans du C.L.H. ! 32 ans de pratique ! L'idée m'est venue de réaliser une sorte d'inventaire de mon expérience de praticien, de faire mon propre bilan en analysant objectivement mes résultats, mes échecs et mes écueils. Non par retour narcissique sur moi -même mais pour juger des bonnes et mauvaises orientations, des bons et mauvais raisonnements, des pleins et des vides, si j'ose dire, de ma pratique.

Les questions que je me suis posées, face à des centaines de cas cliniques réexaminés ?

Pourquoi n'y suis-je pas arrivé ?

Pourquoi si tardivement ?

Pourquoi, pour certains, y suis-je arrivé tout de suite ?

Pourquoi ici ou là ai-je dû utiliser d'abord des ruses (j'entends par là des remèdes circonstanciels, approximatifs, des remèdes à visée miasmatique ou de déblocage etc.) ?

Pourquoi et pourquoi et pourquoi ?

Toutes ces questions, je me les suis posées autant devant des cas purement fonctionnels que devant des cas plus graves et profonds.

Et j'en suis arrivé à proposer un certain nombre d'observations qui, peut-être, pourront aider d'autres que moi. Le débat est ouvert car je n'ai pas prétention à la vérité !

 

Première observation : la réussite (je parle de guérison) n'est pas, la plupart du temps, dépendante de la gravité du cas. L'homéopathie est incroyablement puissante et peut résoudre les cas les plus graves. L'alea principal n'est pas la maladie elle-même mais le choix du bon remède. C'est pour vous une lapalissade ? C'est en tout cas, d'une certaine manière, rassurant !

 

Deuxième observation : l'autosatisfaction ou même la simple indulgence est un piège dans lequel on tombe invariablement ! L'important est donc d'être, vis-à-vis de soi-même, d'une extrême vigilance ! J'entends par là que la médecine homéopathique étant une médecine globale, il nous faut continuer à chercher tant que nous n'avons pas atteint cette globalité. (Cf. un cas de sclérose en plaques qui, "guéri״ pendant dix ans avec Cicuta virosa, a rechuté malgré la reprise du remède. Je me suis alors aperçu que "derrière" Cicuta se cachait depuis le départ Colocynthis qui, lui, s'est avéré magistral).

 

Troisième observation : se cacher derrière la notion de bonne ou mauvaise dilution pour juger si un remède est bon ou pas, s'il faut en changer ou non est très souvent un leurre. Au moins au départ d'un cas, si le remède est bon, il agira quel que soit le dosage utilisé (dans une gamme moyenne bien sûr).

 

Quatrième observation : ce n'est pas parce qu'un remède marche bien pendant des années sur la pathologie du patient et semble le simillimum qu'il protège l'individu de tout dérapage morbide ultérieur. Même dans ces cas d'apparente belle réussite, il faut se poser la question de savoir si le patient a réellement changé (ne pas se contenter de la disparition des symptômes). S'il n'a pas changé, il n'est pas protégé pour l'avenir. Combien de brillantes réussites se terminent, dans le décours, par un cancer ! Et là encore, il ne faut pas considérer le simillimum (même vrai) comme l'élixir définitif à l'instar d'Obélix et de sa potion magique. Un remède simillimum a besoin d'être ״réactualisé ״ de temps en temps, particulièrement lorsque des événements ״forts״ apparaissent dans la vie du patient. (Je viens récemment d'éviter - guérison en quinze jours - à une patiente une conisation pour papillomavirus avec cancérisation grâce au même remède que celui donné deux ans auparavant pour d'autres raisons. Dans l'intervalle, son compagnon avait trouvé une plus jeune partenaire ״plus douée sur la chose״ !)

 

Cinquième observation : assez souvent, il faut avoir l'humilité de le reconnaître, la compréhension ״miasmatique ״ du patient (au sens masiste c'est-à-dire ״l'essence״ de l'individu) ne se fait qu'a posteriori. C'est-à-dire que la solution est trouvée grâce à une bonne répertorisation et ce n'est qu'une fois le remède trouvé que nous pouvons saisir véritablement la problématique fondamentale du patient (pour autant que le remède ait été correctement étudié). En l'état actuel de nos connaissances, seuls une centaine de remèdes sont suffisamment compris pour pouvoir éventuellement être prescrits directement à partir de la thématique principale du patient. Et là encore, cette approche peut se révéler hasardeuse car ce qui, de prime abord, peut apparaître central s'avère a posteriori quelquefois purement réactionnel. J'en ai fait souvent l'expérience.

 

Sixième observation : il y a une différence fondamentale entre symptôme spécifique et symptôme caractéristique d'un remède. Je l'ai compris dès 1986 et ma rencontre avec Elizalde Masi. Nous en discutons depuis bien longtemps Marc Brunson et moi au point d'avoir imaginé, chacun de notre côté, croyant l'un et l'autre être le premier à y avoir pensé, faire un répertoire d'uniquement les symptômes spécifiques. Il est probable que Marc, vu sa force de frappe (y compris sur le clavier !), y parvienne avant moi ! A moins que nous décidions d'unir nos forces et nos connaissances …

(Quelques exemples. Le symptôme "wandering complaints" (troubles erratiques, migratoires) est spécifique de Cimicifuga alors qu'il n'est que caractéristique chez Ammonium carbonicum ou Cocculus. Le symptôme "descending aggravated" est simplement caractéristique chez Conium ou Rhododendron alors qu'il est spécifique chez Argentum metallicum. Le symptôme "sensation d'être négligé" est spécifique de Palladium alors qu'il n'est que caractéristique chez Argentum nitricum, Naja ou même Natrum muriaticum.)

 

Septième observation : l'utilisation des symptômes répertoriés à partir des matières médicales pures (c'est-à-dire les pathogénésies) ou à partir d'expériences cliniques de qualité reste totalement indispensable à une pratique sérieuse car ces symptômes demeurent la source la plus sûre de la découverte d'un remède pour un patient. Ils sont les points d'appel clignotants sur le puzzle très incomplet de la matière médicale des remèdes. Vouloir s'en passer, en arguant de séduisantes analogies, relève souvent de la plus haute fantaisie et n'a d'intérêt que le désir d'une exploration aventureuse, fructueuse quelquefois je le reconnais. Je ne rejette donc pas cette dernière pratique a priori (je l'ai moi-même quelquefois tentée) mais demande simplement qu'elle soit dénommée comme telle et n'apparaisse pas, camouflée, comme un moyen sûr de pratiquer l'homéopathie.

 

Huitième observation (qui nourrira peut-être la polémique !) : la doctrine homéopathique n'a pour socle sûr et absolu que la règle de la similitude, comprise dans sa plus haute acception. Les concepts doctrinaux de miasmes, de barrages, de diathèses etc. ne sont que des repères théoriques aléatoires (même s'ils sont quelquefois bien utiles !) propres à nous aider dans notre recherche du simillimum.

 

Neuvième observation : ce n'est sûrement pas un hasard si les remèdes principaux (à part quelques exceptions comme Hydrogène qui, pour des raisons techniques, ne pouvait être expérimenté au début du XIXème siècle) ont été découverts les premiers. Nos prédécesseurs ont dû en recevoir l'inspiration car ils correspondent grosso modo aux principaux archétypes de la nature humaine (raison pour laquelle un simple simile peut être très efficace). Je suis loin d'être sûr que des souches comme gazon anglais, guépard ou niobium sont aussi importantes pour soigner nos patients que Lycopodium ou Aurum. Le spectaculaire, les "scoops" ont bonne presse aujourd'hui mais font-ils vraiment avancer le schmilblick ? Il y a tant de remèdes dans nos matières médicales fondamentales qui ne demandent qu'à être mieux expérimentés et mieux compris ! Pensez donc, un remède comme l'argent (Argentum metallicum) n'a commencé à être bien cerné que tout récemment, à un moment où la table de Mendeleïev, dernier avatar de la "fashion attitude", était déjà en pleine exploration par méthode purement déductive (en ne respectant donc pas les règles d'expérimentation homéopathique).

 

Dixième observation : si le nombre de vrais simillimum possibles est sûrement important, il n'est probablement pas infini. En effet, le nombre de modèles invariants au sein de la nature humaine est, comme les planètes, les particules élémentaires ou les couleurs de l'arc-en-ciel, limité par essence. Ces simillimum sont comme des symboles primitifs et universels appartenant à l'inconscient collectif. Ils sont les ״principes ״ de l'âme humaine et, dans ce sens, composent la grande partition de l'univers du vivant. C'est avant tout d'abord vers la compréhension "archétypale" de ces remèdes qu'il nous faut tendre (c'est la raison pour laquelle j'ai entamé la tâche un peu ingrate de faire déjà le point sur les polychrestes pour, ensuite seulement, étendre mon étude aux confins de cette galaxie primordiale).

 ״Ce monde (…) (est) composé d'idées archétypes qui demeurent toujours au fond du cerveau (humain) ״ (Voltaire à propos de Platon).

Il n'est pas étonnant d'ailleurs que bien souvent la meilleure manière de "synthétiser" un remède consiste à le décrire sous forme métaphorique, rejoignant ainsi l'univers éternel du sens. (On dit par exemple de Calcarea carbonica ostrearum qu'il est dans sa coquille, dans son cocon et cela renvoie à l'idée de lieu, de maison, de protection, de matrice, d'enfance, de lactation, de polype, de fibrome, d'œuf, de maturation lente, de pensée en boucle et envahissante, de lune etc., toutes notions que l'on retrouve dans la matière médicale.)

 

Onzième observation : ce qu'il nous faut saisir tant dans un remède à l'étude que chez notre patient en consultation, c'est son primum movens c'est-à-dire sa "vibration" fondamentale de laquelle toutes ses réactions découlent. Celle-ci, qu'on peut aussi nommer fil d'Ariane, essence, noyau etc. peut se manifester non seulement par ses signes et symptômes physiques et psychiques mais aussi, en ce qui concerne le patient, dans les événements même de sa propre vie comme par un effet de résonance sur le monde. J'ai acquis la conviction que l'individu "vit" la problématique de son simillimum à la fois à travers son corps et sa psyché et à travers son histoire de vie.

 

Douzième observation : il n'y a pas d'attitude idéale du médecin homéopathe face à son patient. La démarche la meilleure pour l'un ne l'est plus pour le suivant. Il faut donc avoir, à tout instant, l'esprit ouvert, prompt à utiliser telle stratégie plutôt qu'une autre. Il n'y a malheureusement pas d'outil universel. Notre devoir de thérapeute est donc d'élargir sans relâche notre connaissance de toutes les stratégies utilisables. Tout l'art est de ne pas nous limiter à l'approche qui nous est la plus naturelle ! Et là est, à mon avis, l'une des plus grandes difficultés de notre pratique au quotidien. Je me souviens qu'à Homoeopathia, il y a longtemps, nous avions relevé vingt-sept stratégies possibles ! Pensez donc !

Au-delà de celle choisie, j'ai remarqué que l'attitude la plus fréquemment efficace consiste à se laisser "imprégner" par le patient en face de soi, grâce à une observation "flottante" permettant de faire la part du bon grain et de l'ivraie. Les subtils clignotants du fil d'Ariane invisible du patient peuvent ainsi être décelés plus aisément. J'ajoute que cette méthode a l'avantage de nous maintenir en position de candide c'est-à-dire celui qui ne sait rien et ne limite pas son champ d'investigation aux remèdes connus.

 

 

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